Alain Destexhe

« Nous sommes tous Charlie » Vraiment ?

Alain Destexhe Ex-Sénateur

Je me méfie de ces grands élans unanimes de compassion lors des grandes tragédies. Aptes à canaliser la tristesse et l’émotion générale, ils risquent aussi de masquer l’essentiel.

Ce n’est pas à « la liberté d’expression », que se sont attaqués les assassins mais à la liberté de blasphémer l’islam et de critiquer et caricaturer le prophète.

Si « nous sommes Charlie », tous les journaux de France et d’Europe devrait s’empresser de reproduire les dessins qui ont condamné à mort les journalistes de Charlie Hebdo. Le feront-ils ? Probablement pas.

Si « nous sommes en guerre », il faudrait peut-être songer à dire contre qui et non se contenter, comme le Président de la République, de termes vagues censés nous faire comprendre qui est l’adversaire (« l’obscurantisme », « le fondamentalisme »,…) sans offenser « la grande religion de paix et de bénédiction » (David Cameron) au nom de laquelle un attentat terroriste est commis tous les jours dans le monde.

On ne peut réduire l’islam radical à une poignée d’égarés ou d’illuminés. C’est un phénomène de société qui touche un nombre croissant de jeunes.

Bien sûr, l’immense majorité des musulmans sont horrifiés, mais on ne peut réduire l’islam radical à une poignée d’égarés, d’illuminés ou de « déséquilibrés ». C’est un phénomène de société qui touche un nombre croissant de jeunes.

On se demande d’ailleurs si les actes de « déséquilibrés » avant Noël ont bien permis au gouvernement français de saisir la nature et l’ampleur de la menace.

Les ennuis de Charlie hebdo avec les islamistes radicaux remontent à la reproduction dans l’hebdomadaire des caricatures du journal danois. A l’époque certains qui « sont Charlie » ont jugé cette attitude « provocante » et « inutile ».

Dans un livre récent The Tyranny of Silence, Femming Rose, l’éditeur danois du Jyllands-Posten, revient sur les caricatures de Mohamed qu’il a publiée en 2005 et montre le peu de soutien qu’il a reçu dans les sociétés dites libres. Qu’au lieu d’affirmer haut et fort que ces caricatures restaient dans le champ de la liberté d’expression, des sociétés privées et les gouvernements européens ont cherché à se démarquer du Danemark, bien seul en première ligne. Le représentant de l’Union européenne de l’époque, Javier Solana, cherchant à tout prix à apaiser l’ire des gouvernements musulmans et de l’Organisation de la Conférence islamique. En sera-t-il autrement après l’attentat de Paris ? J’en doute.

N’en déplaise au Président de la République, passé le stade de l’émotion, on va évidemment voir refleurir les divisions dans l’analyse ainsi que sur les mesures à prendre.

On va voir – on voit déjà – ceux qui appelleront à « ne pas provoquer » (avec des phrases ou des dessins) car « ce serait mettre de l’huile sur le feu ».

On voit déjà ceux qui « condamneront le terrorisme » mais dans le même communiqué appelleront à « lutter contre l’islamophobie », un concept qui s’est, hélas, imposé dans les médias, mais qui n’est autre que la liberté de critiquer l’islam en tant que religion (l’islam n’est pas une personne).

On voit déjà « dénoncer le risque d’amalgame », une ritournelle chaque fois qu’un incident grave est provoqué par l’islam radical. Certains sujets seraient donc tabous ? N’est-il pas temps, au contraire, d’engager un débat sur les sujets qui divisent et par exemple celui-ci : le refus de l’apostasie est-il compatible avec les valeurs de nos sociétés ? N’est-il pas temps de reparler d’intégration voire d’assimilation autrement qu’en se balançant des insultes ?

On voit déjà, surtout, comment l’autocensure, qui est – déjà – la règle dans les rédactions, risque de triompher encore un peu plus. Nous aurons peur et c’est bien le but recherché. Les terroristes seront en prison mais le souvenir de la terreur qu’ils peuvent imposer restera et en ce sens ils auront gagné.

Pourtant, si nous acceptons l’idée qu’une religion, et une seule, a le droit de ne pas être caricaturée ou offensée, nous aboutirons à cette « tyrannie du silence ». Ce sont les soi-disant offensés qui décideront in fine ce qui se publie ou pas.

Certains qui « sont Charlie » voudraient limiter la parole et l’audience d’Eric Zemmour, un autre « provocateur », lui aussi menacé, qui « ne mérite pas d’être lu » selon le Premier Ministre Valls. Défendre Zemmour, c’est aussi honorer la mémoire des journalistes de Charlie Hebdo.

Zemmour prophétise des guerres civiles en Europe : des propos inacceptables pour d’aucuns. Ironie du sort, cette semaine, le jour de sa visite à Bruxelles, un commissariat de police était attaqué au cocktail Molotov par une cinquantaine de « jeunes », selon la terminologie consacrée. En Allemagne, à Dresde, PEGIDA mobilise 18 000 personnes contre l’islamisation de l’Europe ; en Suède quatre mosquées sont visées par des incendies,… Ce n’est pas encore la guerre civile mais cela commence à ressembler à des sociétés profondément divisées, en désaccord sur des valeurs fondamentales. Les mêmes qui « sont Charlie » refusent souvent de débattre de ces sujets autrement qu’en disqualifiant ceux qui les abordent en les traitant de racistes ou de fascistes.

Charb, le directeur de Charlie Hebdo disait « Je préfère mourir debout que vivre à genoux ». Reste à voir comment nos sociétés vont honorer sa mémoire. Mais je crains que Plus ça change[1]

[1] « The more it changes, the more it’s the same thing », un épigramme de Alphonse Karr en 1849.

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