Jonathan Piron

Nous faisons ce que l’Etat islamique attend de nous

Jonathan Piron ETOPIA - Conseiller à la prospective

Pas un seul jour ne se passe sans que nous subissions les conséquences tragiques de la guerre en Syrie. Aussi bien ici que là-bas nous voyons se succéder crises et tensions, développant souvent un sentiment d’impuissance face aux drames en cours.

Mais nous adoptons également différentes mesures et positions qui remettent nos politiques étrangères et intérieures en question. La crise de réfugiés, les attentats qui se succèdent et les épouvantables massacres en Irak et en Syrie nous forcent à nous remettre en question. Mais la succession, ces derniers jours, de plusieurs rapports d’ONG dénonçant les mesures liberticides, les violations de masse en Syrie ainsi que la hausse du racisme et de la xénophobie en Europe doivent nous inquiéter et nous amener à changer de politique. Car en agissant de la sorte, nous faisons exactement ce que l’État islamique et ses sbires attendent de nous. Explications.

Nous devons comprendre, premièrement, que la victoire actuelle du régime syrien contre les rebelles, en Syrie, grâce à l’appui des forces russes, dans une complète apathie européenne, légitime fortement l’État islamique. En laissant le champ libre aux forces de Bachar al Assad, les Européens apparaissent comme des complices indirects des persécuteurs, consentant à leurs actes. Ce sentiment représente un vecteur important de radicalisation islamique sunnite favorable à l’État islamique. Pire, les propositions récentes, comme celle envisageant des frappes belges en Syrie, témoignent du fait que nous ne sommes plus maître de nos décisions stratégiques : plutôt que d’éteindre le brasier, les frappes et interventions extérieures attisent les braises et les répandent ailleurs, comme en Libye, mais aussi au Yémen et en Égypte. Il est fondamental de sortir de l’idée selon laquelle une victoire militaire contre l’État islamique réglera la question. Les membres de l’État islamique sont loin de n’être que les fanatiques intégristes voire les psychopathes régulièrement décrits. Au caractère messianique et apocalyptique porté par le groupe s’ajoute une structure d’organisation dotée d’objectifs politiques. En ne comprenant pas la dimension historique et politique dans laquelle s’inscrit l’État islamique, aussi bien en Syrie et en Irak que dans d’autres régions, nous échouons à le combattre effectivement. Si l’État islamique est bel et bien l’ennemi, nous peinons à intégrer le fait qu’Assad, ainsi que les milices étrangères en Irak et en Syrie, font partie du problème. Sans comprendre cela, nous ne ferons que renforcer le groupe terroriste, et lui donner la légitimité qu’il revendique dans et hors de ses frontières.

Nous échouons également à prendre pleinement conscience de la victoire morale que l’État islamique est en train de remporter au vu des différentes mesures qui sont prises ici, sur le sol européen. Alors que l’essentiel des réfugiés syriens fuit les exactions commises par le régime dAssad, l’hystérie collective qui frappe l’Europe sur leur arrivée profite à l’État islamique. L’instrumentalisation de la peur voire de la haine des réfugiés, les amalgames entretenus entre migration et propagation de l’islam ainsi que la fermeture des frontières sont du pain béni pour la propagande de l’organisation terroriste. De même, nous attendons le prochain attentat en répondant à la menace de l’État islamique exactement comme celui-ci attend que nous le fassions. Le tout au sécuritaire, les réponses liberticides aux attentats et le climat de peur à l’égard de la communauté musulmane sont des buts clairement poursuivis par l’organisation. C’est ce à quoi aspirait un de ses membres, dans cette déclaration en 2014 : « vous en payerez le prix quand vous marcherez dans vos rues, tournant à droite et à gauche, en ayant peur des musulmans. Vous ne vous sentirez plus en sécurité, même dans vos propres lits. ». Et c’est ce que le groupe enseigne dans ses manuels : « Dans les mots mêmes de l’ennemi, tu peux découvrir ses peurs, tu peux identifier ses points faibles, ses problèmes, et tirer avantage de tout ça dans tous les différentes étapes de la préparation de ton opération. » Les 15 années qui viennent de s’écouler ont démontré l’inefficacité de la lutte antiterroriste. C’est bien l’État islamique qui, aujourd’hui, détermine l’agenda et les réactions adoptées.

Si nous voulons réussir à éradiquer complètement la menace que représente l’État islamique, il est de notre devoir de comprendre les réalités historiques et politiques qui permettent son enracinement. Le drame actuel qui se déroule en Syrie, où l’opposition non djihadiste se voit éradiquée sous les coups de butoir syriens et russes, sans que l’Europe ne réagisse, contribue à renforcer l’État islamique. L’incapacité à lier les dossiers irakiens et syriens et à élaborer des alternatives politiques pour les populations persécutées contribue à renforcer l’État Islamique. Il est ainsi proprement sidérant qu’aucune réelle alternative post-Daesh incluant à la fois l’Irak et la Syrie n’ait encore fait l’objet d’un vrai débat, tant ici que là-bas. De même que la dynamique de peur qui s’étend ici et son instrumentalisation par les mouvements racistes et populistes contribue au renforcement de la dynamique terroriste. Le délitement de l’Europe face à la crise des réfugiés syriens et le repli sur le tout au sécuritaire ainsi que le tout identitaire est la pire des solutions à suivre. D’autres issues sont pourtant possibles, comme nous le montre le Canada. En ouvrant ses frontières, en retirant ses avions de chasse, en repensant sa stratégie dans la formation de troupes locales et de la hausse de l’humanitaire, le gouvernement Trudeau ose une autre approche, plus compréhensive des réalités de terrain.

Au final, nous ne battrons l’État islamique que par un départ d’Assad du pouvoir en Syrie et par une vraie politique d’accueil des réfugiés. Il nous revient de proposer un modèle de société qui donne de l’espoir, notamment à notre jeunesse. Sans cela, nous n’y arriverons pas.

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