© Reuters

Mali: « On peut craindre une volonté de revanche de l’armée »

Le Vif

À mesure que l’armée malienne va regagner des villes occupées par les groupes armés, certains observateurs s’inquiètent de possibles représailles, notamment contre les Touaregs. Un risque réel compte tenu des fortes tensions entre communautés, explique Florent Geel, responsable Afrique de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH).

Des ONG dont la Fédération internationale des droits de l’homme commencent à alerter sur la possibilité d’exactions de la part de l’armée malienne, lors des opérations de reconquête du nord du pays.

Qu’est-ce qui vous fait envisager ce risque?

C’est une crainte que l’on nourrit depuis un moment, compte tenu des forces en présence, ainsi que de la population mixte de Touaregs et de Songhaïs [l’ethnie majoritaire] qui cohabitent dans les régions nord. Par le passé, des rébellions touaregs ont déjà donné lieu à des représailles. Avant l’intervention armée, le contexte était d’ailleurs déjà très explosif. Au début de son offensive, le MNLA (Mouvement national pour la libération de l’Azawad) a mené une campagne de viol ciblée contre les femmes noires. On a appris plus récemment qu’à Tombouctou notamment, le Mujao (Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest) avait capturé des femmes pour en faire des esclaves sexuelles dans ses camps d’entraînement.

Ces différents épisodes, comme l’humiliation de la prise des villes du Nord, ont nourri une volonté de revanche. L’attaque d’Aguelhok en janvier, où une centaine de soldats d’un poste malien ont été exécutés à l’arme blanche dans la première offensive sérieuse du MNLA et des islamistes, a d’ailleurs entraîné la constitution de milices songhaïs. Nous disions déjà, ces derniers mois, que toute intervention armée lancée sans une certaine préparation de la force malienne et le contrôle des ONG présentait un risque de représailles. On avait travaillé en ce sens et la résolution 2085 prévoit d’ailleurs une formation des troupes au droit international humanitaire, ainsi que le déploiement d’observateurs. Mais l’urgence a fait que le garde-fou des droits de l’homme n’est pas encore là.

Avez-vous eu connaissance de cas précis de représailles depuis le début de l’intervention armée?

Pour l’instant, cela reste un peu un présupposé. Mais l’on sait que des rumeurs d’arrestations de personnes qui collaboreraient avec des djihadistes courent dans certaines villes. Nous avons aussi répertorié le cas avéré d’un homme arrêté à Sévaré et « porté disparu », dans le langage officiel, donc probablement exécuté. Aux environs de Konna et Mopti, des check-points servent à intercepter les armes des populations qui fuient les combats vers le Sud. Un certain nombre de personnes y ont été arrêtées par les forces maliennes, sans que l’on sache dans quelles conditions elles sont détenues. Compte tenu des combats et des tensions, on craint que les forces maliennes ne « se lâchent », particulièrement dans la reconquête des villes du Nord. Il faut garder à l’esprit qu’elles interviennent dans un contexte de grande tension. On se trouve à un moment où tout peut déraper. La distinction entre civils et combattants est très difficile parce que les djihadistes pratiquent une sorte de guérilla urbaine, au milieu de la population, et qu’ils jouent sur cette confusion, en s’habillant par exemple comme elle. Toute la complexité est de savoir s’il s’agit de bavures ponctuelles ou de représailles plus organisées et systématiques par les militaires maliens, ce qui changerait la physionomie du conflit. Pour l’instant, il faut rester prudent.

L’armée française et la communauté internationale ont-elles les moyens de veiller au respect des droits de l’homme?

C’était tout l’enjeu de la saisine de la Cour pénale internationale par l’Etat malien en juillet. Elle ciblait initialement les crimes du MNLA, mais la CPI ne sélectionnera pas les exactions en fonction de qui les commet. Elle les jugera tous, ce qui oblige les Français comme les Maliens à veiller à des conditions d’hostilités plus « propres ». Cela leur ajoute une certaine pression. La France a d’ailleurs déclaré qu’elle ferait tout pour garantir le respect des droits de l’homme, même si, évidemment, toute mort de civil n’est pas assimilée à un crime de guerre.

On peut penser que, même si l’armée française n’a pas toujours été exempte de reproches par le passé, les risques viennent plutôt des armées maliennes et africaines. La France parviendra-t-elle à les contrôler? Elle a, semble-t-il, compris que l’intervention n’était pas un but en soi, qu’il s’agit de permettre au Mali de retrouver son intégrité et de relancer un projet politique qui inclut de nouvelles élections et une réflexion autour de la place des Touaregs. Si elle perd de vue cet objectif, elle aura échoué politiquement dans cette intervention.

Propos recueillis par Alexia Eychenne

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire