Emmanuel Macron © REUTERS

Macron peut-il gagner ?

Le Vif

La victoire de Benoît Hamon à la primaire socialiste lui ouvre un boulevard au centre-gauche et l' » affaire Penelope Fillon  » pourrait attirer vers lui les déçus de la droite. Jusqu’où ira Emmanuel Macron ?

Emmanuel Macron est très superstitieux. Lui, ex-étudiant en philosophie, ex-inspecteur des finances, ex-banquier d’affaires, ex-ministre, n’organise jamais de réunion ou de repas à 13. Alors, dans ce moment où tout paraît lui sourire, il se garde de trop anticiper.  » Il ne parle pas de ceux qui pourraient devenir ses ministres « , dit un proche. Par peur d’attirer le mauvais oeil ? Comme dans un conte merveilleux, les barrières s’ouvrent, une à une. Le 27 novembre dernier, la primaire de la droite élimine le candidat le plus gênant pour lui – Alain Juppé ; le 1er décembre, le renoncement de François Hollande lui évite la situation la plus embarrassante – affronter son mentor à la présidentielle; le 29 janvier, la primaire de la gauche neutralise le candidat a priori le plus dangereux – Manuel Valls ; et, ces derniers jours, les révélations du Canard enchaîné affaiblissent le compétiteur le mieux placé – François Fillon. A l’inverse, la polémique sur les frais de représentation de l’ancien ministre français de l’Economie, lancée par le livre de Marion L’Hour et Frédéric Says, Dans l’enfer de Bercy (JC Lattès), a fait long feu.

Si la chance fait partie du talent, Macron n’en manque pas, et la question – loufoque il y a six mois – se pose désormais : peut-il gagner le scrutin des 23 avril et 7 mai prochains ?  » L’hypothèse n’est pas à exclure, affirme Bernard Sananès, président de l’institut de sondages Elabe. S’il franchit durablement la barre des 20 % d’intentions de vote au premier tour, certains électeurs peuvent préférer un candidat susceptible de gagner à celui qui leur fait plaisir mais n’a aucune chance.  »

Cette barre-là, il l’atteint, selon un sondage Kantar-Sofres-OnePoint diffusé le 29 janvier. Le président d’En marche ! est crédité de 21 % des intentions de vote et François Fillon de 22 %. Ces scores passent respectivement à 20 % et 21 % en cas de présence de François Bayrou. Mais 61 % des électeurs de Fillon sont sûrs de leur choix, versus 41 % pour ceux de Macron. Et Hamon, avec ses 15 % d’intentions de vote, n’est pas rejeté dans les oubliettes. L’espoir qu’il abandonne la course, caressé par les macronistes, reste très aléatoire.

Aversion réciproque

Si Macron fait clairement partie du peloton de tête, les inconnues sont multiples. Que fera François Hollande, dont Emmanuel Macron a froidement rejeté l’éventuel soutien, le 19 janvier ? Et Manuel Valls, qu’une puissante inimitié lie à son cadet ?  » Les deux hommes doivent se parler, analyse Robert Zarader, communicant proche de Macron. Seraient-ils capables, comme Mitterrand et Rocard, de surmonter leur aversion réciproque pour gouverner ensemble ?  » Ségolène Royal en doute. Elle a rencontré Emmanuel Macron à plusieurs reprises, mais aussi, discrètement, Benoît Hamon, dont elle reconnaît l’intelligence : il ne se prend pas pour un président de la République ! Dans l’esprit de la ministre de l’Environnement, il est plus facile, malgré les apparences, de réconcilier ces deux-là que de mettre d’accord Macron et Valls. Elle-même se rendra sans doute à un meeting de Macron, mais elle veut choisir son moment.

La question des ralliements – à la fois nécessaires et étouffants – n’est pas la moins embarrassante.  » Macron croit que la défaite de Valls lui ouvre l’espace, mais maintenant, l’héritier de Hollande, c’est lui, estime Yannick Jadot, candidat Europe Ecologie les Verts à la présidentielle. La seule campagne qu’il puisse faire, c’est de centre-droit. Il a besoin d’un deal avec François Bayrou.  » Le combat pour l’accès au second tour – face à Marine Le Pen, à en croire les sondages – ne fait que commencer.

De 400 à 500 réunions par semaine

Maintenant, l’héritier de Hollande, c’est Macron »

Pour l’emporter, Macron compte des atouts et quelques faiblesses. La dynamique est de son côté. François Patriat, sénateur de la Côte-d’Or en Bourgogne-Franche-Comté et soutien  » inconditionnel « , a noté le rôle crucial de la trêve des confiseurs :  » Sa candidature s’est imposée comme le sujet des repas de famille.  » Les six frères et soeurs de l’élu envisagent de voter Macron, y compris ceux de droite.  » Avec son discours sur Jeanne d’Arc ou sa visite au Puy du Fou, il les a séduits.  »

Les chiffres le confirment. Sur le terrain, les 3 500 comités locaux d’En marche ! (et autant d’animateurs) organisent de 400 à 500 réunions chaque semaine. Les meetings provoquent un afflux, même dans des villes petites ou moyennes. A Lille, 5 000 personnes viennent écouter Macron, le 14 janvier. La capitale française bat des records avec 15 000 présents porte de Versailles, le 10 décembre. La moitié de tous ces participants n’ont jamais assisté à des meetings, selon le questionnaire qu’En marche ! leur adresse. Le candidat attire même quand il ne fait pas partie du programme.  » Les champignons poussent même quand Macron n’est pas là, s’enthousiasme Frédérique Dumas, élue centriste (UDI), membre du comité politique d’En marche !

Au Grand Palais, à Lille, le 14 janvier, 5 000 personnes ont écouté le discours du fondateur d'En marche !
Au Grand Palais, à Lille, le 14 janvier, 5 000 personnes ont écouté le discours du fondateur d’En marche !© D. CHARLET/AFP

Partout déborde l’envie de parler, de débattre, d’en être.  » Cela tord le cou à l’idée que les gens se détournent de la politique « , confie le responsable d’un comité parisien. Jean-Marc Borello, président du groupe SOS (économie sociale), engagé à gauche et très proche de Macron, témoigne :  » Dans ces réunions, on trouve des profils étonnants, retraités, banquiers, mères de famille. Je me revois en 1980, quand Mitterrand était candidat.  » Un membre d’un groupe de travail sur la santé confirme :  » Nous nous réunissions tous les quinze jours de 20 à 22 heures. On a dû arrêter les recrutements en novembre, sinon nous serions 50.  »

Une nouvelle ligne de fracture

Les comités débattent, font remonter leurs propositions au siège, qui les retourne à la base. Cet animateur local n’est pas dupe :  » Comme dans les histoires d’amour, les débuts sont très exaltants. Il y a de l’authenticité, de la bienveillance, de l’énergie et une maturité politique de gens qui n’ont jamais été en contact avec la politique. Cela dit, plus on avance et moins la dimension participative est forte, mais le débat ne cessera pas, les gens viennent surtout pour ça.  »  » Cette soif de démocratie est la clé de l’affluence dans le mouvement. Le succès dans les sondages, lui, s’explique par d’autres raisons, estime Jérôme Fourquet, directeur à l’Ifop. Une forte envie de renouvellement ; l’aspiration des Français à une grande coalition ; le besoin d’ouverture d’une frange, certes minoritaire, mais importante, de la population ; le sentiment qu’on ne peut plus tout attendre de l’Etat, que les entreprises, les individus, les associations, les collectivités locales sont capables de remettre la société en mouvement.  »

Débordé par le succès

Ni de droite ni de gauche. Ou encore : et de droite et de gauche. C’est ainsi que Macron qualifie sa démarche. Comme Marine Le Pen, il invente une nouvelle ligne de fracture. Elle, parle de  » patriotes et mondialistes « . Lui, de  » conservateurs et progressistes « . Ce n’est pas le moindre des paradoxes macroniens : il dit se battre pour que Le Pen ne figure pas au second tour. Mais si son analyse est juste, c’est bien un match Le Pen-Macron qui s’annoncerait pour le 7 mai.

 » Emmanuel Macron a joué sur la décomposition du système et il a vu juste « , estime Benjamin Griveaux, son porte-parole. Mais la route est longue.  » Si, nationalement, Macron incarne la nouveauté, et que, localement, il ramasse les recalés, ça va poser problème « , affirme Olivier Faure, président du groupe PS à l’Assemblée nationale. En marche ! est débordé par le succès : à ce jour, 4 000 demandes d’investiture aux législatives ont été déposées sur Internet. Pour éviter l’embouteillage et le recyclage des socialistes, le mouvement a fixé une règle : la moitié des CV retenus devront venir de la société civile. Olivier Faure dit ressentir beaucoup de réticences chez les électeurs PS, pourtant il reconnaît :  » Dès lors que Macron progresse, qu’il devient le candidat anti-Fillon, il sera celui de la gauche.  » Demandez-lui qui sera élu en mai. Un silence, puis :  » Macron « .

Pour gérer l’apport du PS sans s’aliéner les électeurs du centre-droit, la question du programme est essentielle. En principe, il dévoile ses cartes au début de mars (voir encadré plus bas). Avec deux obligations : maintenir cet équilibre précaire de candidat attrape-tout, alors que nombre de propositions ne feront pas l’unanimité ; sortir de son costume d’agent d’ambiance de la démocratie pour revêtir l’habit présidentiel. Sa jeunesse est une force, son manque d’expérience un problème.  » 37 % des Français regrettent le fait qu’il n’ait jamais été élu « , rappelle Bernard Sananès (sondage Elabe du 26 octobre dernier).

Attendu au tournant sur le terrorisme et l’international

De droite sur les sujets économiques, de gauche sur le sociétal : ce piège-là, ses adversaires vont le lui tendre

Sécurité intérieure et extérieure, lutte contre le terrorisme, dialogue musclé avec Trump, Poutine et consorts, il est attendu au tournant. Le candidat travaille donc l’international : déplacements au Liban et en Jordanie, bientôt au Maroc et en Algérie (il s’est déjà rendu en Tunisie). D’autres voyages sont prévus. A Berlin (10 et 11 janvier), il peaufine son credo européen. Le 24 janvier, il publie une tribune dans le Financial Times.

Police-justice-sécurité, le candidat va bientôt accueillir un spécialiste, Didier Casas, conseiller d’Etat, actuellement chez Bouygues Télécom. Son équipe rêve d’une embauche de luxe : celle de Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense unanimement respecté. Pour tordre le cou au procès en légèreté, alors que la France est à la merci d’un nouvel attentat.

Avec sa visite au Puy du Fou, en août 2016, ou son discours sur Jeanne d'Arc, l'ancien ministre de François Hollande a su flatter une partie de l'électorat de droite.
Avec sa visite au Puy du Fou, en août 2016, ou son discours sur Jeanne d’Arc, l’ancien ministre de François Hollande a su flatter une partie de l’électorat de droite. © L. VENANCE/AFP

C’est un défi majeur pour le président d’En marche ! : conjuguer le besoin d’autorité des Français avec son libéralisme qui n’est pas qu’économique. Sa conception de la laïcité est ouverte. Un ami politologue l’a mis en garde après des photos où il apparaît, à Nancy, auprès de femmes voilées lors de la visite d’un centre social. Son explication des attentats est sociale. Le 21 novembre 2015, il déclare :  » Il y a un terreau que nous avons laissé constituer et ce terreau, c’est notre responsabilité.  » Son approche de la question des réfugiés est  » merkellienne « . Il félicite la chancelière allemande de son large accueil.

De droite sur les sujets économiques, de gauche sur le sociétal : ce piège-là, ses adversaires vont le lui tendre. Je suis ailleurs, tentera-t-il de répondre, en parlant au pays, en parlant du pays.  » S’il approche de la qualification pour le second tour, il aura besoin de s’adresser à la nation. Pour cela, il lui faut un Guaino « , dit son ami politologue dans une allusion au conseiller de Nicolas Sarkozy. Henri Guaino est l’auteur des discours de campagne, en 2006 et 2007, qui surent donner des tripes et des racines à l’élu de Neuilly. Bernard Sananès complète :  » Le risque pour Macron est d’apparaître comme le candidat de la France qui va bien, alors qu’à peine un quart des Français disent boucler facilement leurs fins de mois.  »

Jean-Marc Borello, 59 ans, connaît bien Emmanuel Macron, 39 ans. Il l’a eu comme élève à Sciences po, en questions sociales, il l’appelle toujours  » mon grand « .  » J’ai une parole brutale et libre, dit Borello, je lui ai récité Le Petit Prince : « On ne connaît que les choses que l’on apprivoise, dit le renard. […] Tu ne dois pas l’oublier. Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisé. » Une manière de dire qu’il faut être à la hauteur de l’espoir que l’on suscite.  » Dans les locaux d’En marche !, rue de l’Abbé-Groult, à Paris, une jeune retraitée assure bénévolement l’accueil. Pull rose et yeux brillants, elle confie :  » Pour la première fois de ma vie, je vais voter pour.  »

Un « contrat avec la nation » plutôt qu’un programme détaillé

C’est une marque de fabrique, presque une coquetterie, d’Emmanuel Macron : ne rien faire comme les autres. Alors, les programmes avec des mesures très détaillées, très peu pour lui. Mais la pression est forte – et légitime – pour savoir ce que ce candidat surprise de la campagne prépare. Après avoir parlé de « plan de transformation » – puisque point de « programme » – le voilà qui présentera, début mars, un « contrat avec la nation ». Un contrat qui l’engage, lui, auprès des électeurs, ainsi que les candidats aux législatives investis par En marche ! Pour mener à bien ce travail, Macron a embauché Jean Pisani-Ferry. L’économiste a participé à la campagne de Lionel Jospin en 2002 et, dans une moindre mesure, à celle de François Hollande en 2012. Sa mission ? Mettre de la cohérence dans les nombreuses propositions qui remontent du terrain et trouver le juste équilibre entre un excès de généralités et une minutie technocratique. Le chiffrage de chaque mesure sera communiqué en même temps que le contrat.

Toutefois, d’ici à début mars, deux événements vont nourrir la curiosité. Le site d’En marche ! rassemblera prochainement toutes les propositions d’Emmanuel Macron égrenées lors de ses meetings (création d’une police de proximité, nationalisation et généralisation de l’assurance-chômage, vente de médicaments à l’unité, etc.) pour leur donner de la visibilité. Puis, vers la mi-février, le candidat présentera son analyse de la situation française, avec sa stratégie économique et budgétaire. Macron devra notamment se situer par rapport à la règle qui limite les déficits publics à 3 % du PIB et répondre à cette question : la France est lourdement endettée, mais les taux d’intérêt étant très bas, ne faut-il pas en profiter pour contracter des emprunts destinés à investir ? Logiquement, le candidat aurait dû tout présenter en même temps, l’analyse, la stratégie, le chiffrage et les mesures étant liés. Mais Macron choisit le compte-gouttes pour occuper en permanence l’espace médiatique et politique.

Par Corinne Lhaïk.

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