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Les « mythes » du lac Tchad

Le Vif

Véritable poumon économique et environnemental du Sahel, le lac Tchad aurait perdu 80 % de son eau en 10 ans. Sans minimiser l’ampleur de la catastrophe, une équipe de géographes français et africains apportent tout de même quelques nuances à certaines annonces alarmistes sur le lac avec leur nouvel atlas du lac Tchad.

Le lac Tchad est à cheval entre le Tchad, le Cameroun, le Niger et le Nigeria. Son bassin touché par la pauvreté, la sécheresse et les violences est devenu l’un des symboles des problèmes environnementaux que rencontre la région du Sahel en particulier et l’Afrique en général.

La disparition du lac Tchad sous l’effet du réchauffement climatique, une hypothèse prise au sérieux, pourrait en effet priver des millions de personnes de l’eau nécessaire pour survivre grâce à la pêche, l’agriculture, l’élevage et le commerce. Une situation rendue encore plus précaire par le fait que la population ne cesse de croître dans la région. On estime que, dans le Sahel, la population devrait augmenter de 150 millions de personnes dans les trois décennies à venir. Au Niger, pays classé dernier dans l’indice de développement humain de l’ONU, une femme a en moyenne sept enfants.

Au-delà du drame écologique, l’assèchement renforce l’instabilité de la région

« Le lac Tchad se meurt » comme l’a encore souligné le président nigérien Mohamadou Issoufou lors du sommet intitulé « Défi climatique et solutions africaines » qui a eu lieu en marge de la COP21. Le président camerounais Paul Biya note lui que le lac a déjà perdu « 90% de sa surface ». La superficie du lac est passée « de 25.000 km2 en 1960 à 2.500 km2 aujourd’hui », précise encore le président du Tchad Deby. « Cette diminution a réduit la production agricole et halieutique et forcé les habitants à migrer. En plus de son assèchement, il est devenu un repère des terroristes de Boko Haram ».

En effet, le conflit avec les insurgés islamistes de Boko Haram, venus du Nigeria, a déjà déplacé 2,5 millions de personnes dans la région du lac Tchad. Des réfugiés qui puisent à leur tour dans des réserves d’eau douce qui s’amenuisent et créant des conflits avec la population locale.

‘Droit à la catastrophe’

Les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne ont déjà promis d’aider, y compris militairement, les quatre pays du lac Tchad et le Bénin pour faire face aux violences meurtrières de Boko Haram. Mais les spécialistes estiment qu’il est essentiel d’offrir des perspectives économiques à la jeunesse de la région qui est tentée par les activités florissantes que sont le trafic de drogue, d’armes et d’êtres humains, ou de rejoindre les rangs de groupes violents, a plaidé M. Lanzer, coordinateur humanitaire de l’ONU pour le Sahel. « Tous les ingrédients sont là pour qu’on aille tout droit à la catastrophe », a-t-il mis en garde. « Dans un monde où les crises semblent se multiplier et croître toujours plus, il faut intervenir avant que cela ne devienne trop grave ».

Un atlas pour une topographie objective

Si personne ne nie que la situation dans la région a tout d’une poudrière, certaines conclusions les plus largement répandues sur le lac Tchad manqueraient pourtant de nuances selon Roland Pourtier, président de l’Association de géographes français, interrogé par Libération et l’un des auteurs de L’Atlas du lac Tchad. Il a été réalisé avec l’aide de 46 chercheurs africains et européens. Si ce dernier revient sur la réelle problématique que représente Boko Haram et l’explosion démographique de l’Afrique tropicale, il cherche aussi à relativiser la vision parfois un peu simpliste que l’on a de la régression du lac.

Par exemple ceux qui disent que le lac a perdu 90 % de sa surface en eau depuis les années 1970 oublient que le lac n’est en réalité qu’une grande flaque d’eau peu profonde qui est très sensible aux variations de température et peut rapidement s’évaporer. Sa surface a donc depuis toujours été sujette à d’importantes variations.

Par ailleurs, la véritable surface du lac est difficile à mesurer, car une grande partie de ce lac est composé de marécages. Les images montrées par la Nasa, le rond bleu au milieu du désert, ne montrent que la partie libre de plantes. Or la réalité, selon les chercheurs de l’Atlas, c’est que, depuis les années 2000, la tendance d’assèchement aurait plutôt tendance à s’inverser. Par exemple en 2013, le lac montrait la même surface qu’en 1908. Autre élément que l’on oublie souvent, c’est que les terres ainsi sorties des eaux depuis les années 70 ont fait de très bons pâturages. Des terres d’autant plus précieuses dans ces contrées désertiques. L’Atlas dénonce aussi les chiffres « fantaisistes » qui circulent sur la population dépendant du lac. On annonce des chiffres de 30 à 50 millions alors que seulement 2 millions de personnes vivraient à la proximité du lac et que « la commercialisation des productions agricoles, pastorales et halieutiques du lac touche un vaste hinterland d’environ 13 millions d’habitants. »

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