Mahomet et Jésus, vision d'Isaïe. Vestiges des siècles passés manuscrit, 9e siècle de l'hégire, Iran (XVIe) © François Catonné/Archipel 3

Les manuels scolaires d’histoire trop complaisants envers l’islam ?

Le Vif

Les manuels scolaires d’histoire abordent l’Islam et ses conquêtes de manière peu objective et parfois complaisante. C’est en tout cas l’avis de Barbara Lefebvre, professeur d’histoire-géo et auteure de nombreux ouvrages sur l’enseignement de l’histoire dans les écoles françaises. Elle a accordé un long entretien au Figaro. Nous en avons retenu l’essentiel.

Barbara Lefebvre rappelle que l’enseignement de l’histoire sert à « transmettre aux élèves des connaissances factuelles appuyées sur une pratique du questionnement critique des sources ». En espérant que cela leur servira plus tard à exercer leur propre esprit critique et à penser par eux-mêmes. Or, selon elle, cette branche est trop souvent utilisée pour exercer « une influence normative sur les élèves ».

Il est pourtant important, pour lutter contre l’idéologie politico-religieuse qui inquiète beaucoup de pays occidentaux actuellement, de ne pas « mettre sous le tapis ce qui nous dérange pour enseigner une histoire de la civilisation musulmane sans aspérité, confinant parfois à l’apologétique ».

Barbara Lefebvre affirme ainsi que lorsque sont évoqués les contacts entre les civilisations chrétiennes occidentales et byzantines et l’islam, cela n’est pas fait de manière objective. « On peut être troublé de la volonté explicite des programmes d’accorder davantage d’attention aux « contacts pacifiques » comme le commerce ou les sciences, plutôt qu’aux contacts guerriers, à savoir les croisades et le jihad de conquête », explique-t-elle au Figaro. La volonté du programme scolaire serait donc d’affirmer que les rapports entre le monde musulman et le monde chrétien ne se résument pas à des affrontements militaires. « C’est ainsi qu’on procède à la construction des représentations sociales et culturelles », déplore-t-elle.

De plus, les auteurs du programme scolaire français défendraient une vision d’un cours d’histoire « mixte ». « Or, étrangement, sur la condition de la femme en islam médiéval, c’est le silence qui prévaut. De fait, aucun manuel n’évoque la place des femmes dans l’islam sinon pour évoquer une régente de la dynastie des Ayyoubides au 13e siècle [Belin] comme si cette exception servait à décrire la place de la femme en Islam. Verrait-on un historien décrire la condition féminine en France à la fin du 16e siècle à travers l’exemple de Catherine de Médicis? », interroge Barbara Lefebvre.

Concernant la vie du prophète Mohamed, l’historienne regrette également le manque d’informations. Ce que retiennent les élèves à son sujet se résume en trois lignes, selon elle. « Pourtant la figure du prophète, modèle parfait et indépassable de l’homme musulman, mériterait qu’on regarde de plus près son style de vie, d’autant que sa vie privée étant publique, elle fut racontée par ses disciples et se trouve exposée à titre d’exemple à suivre dans le Coran et la Hadith ».

Par ailleurs, « la vie de Mohamed, fort humaine par ses sombres aspects, serait à replacer dans son contexte, précisément pour contrer le discours de l’islam politique, producteurs de jihadistes (…). Il serait salutaire de ne pas rester dans les non-dits par souci de ne pas heurter les susceptibilités supposées de certains élèves et leurs familles », affirme-t-elle.

Concernant les périodes conquérantes et guerrières de l’islam, les manuels scolaires font également preuve de complaisance et prennent des précautions pour équilibrer le récit et éviter une présentation violente des conquêtes islamiques.

En outre, les objectifs de cette conquête ne sont jamais abordés. Or, la conquête territoriale était un instrument du prosélytisme islamique de Mohamed. « Cette fusion du politique et du religieux doit être soulignée si l’on veut éclairer certains discours fondamentalistes actuels pour les déconstruire. Ici, la notion de jihad devrait être abordée, elle sert dès le début de l’islam à une justification religieuse de la conquête de type impérialiste – tout à fait banale à l’époque – constituée de pillages, de massacres et de colonisation », commente-t-elle.

De même concernant les guerres saintes, si les manuels évoquent la violence des croisades chrétiennes, le jihad lui n’est pas du tout abordé.

Durant la période post-conquérante, les manuels parlent de coexistence pacifique entre chrétiens, musulmans et juifs dans certaines régions, mais la situation à l’époque n’est pas si simple. En Arabie, il apparaît que « tout le monde serait devenu musulman comme par magie, sans pression guerrière ». Or, les païens et certaines tribus juives avaient le choix entre la conversion et la mort. De plus, « les manuels utilisent la source musulmane sans appareil critique pour offrir une vision idyllique des relations entre musulmans et non-musulmans. On trouve des textes de différents auteurs arabes médiévaux que l’élève est amené à accepter de facto ».

Enfin, la délicate question de la traite arabe n’est évoquée par aucun manuel. « La traite orientale a, en effet, ponctionné l’Afrique pendant treize siècles (…) et il est difficile de trouver trace de mouvements abolitionnistes arabo-musulmans à la différence des Européens qui luttèrent pour l’abolition de ce commerce inhumain contre leurs contemporains négriers ». Cette traite aurait conduit à la déportation de 17 millions d’individus, selon les historiens.

Cela peut s’expliquer en partie par la spécificité de la traite arabe : 7 esclaves sur 10 étaient castrés. Un grand nombre d’entre eux mourraient suite à l’opération, les autres ne donnaient pas de descendance. Il y a donc peu de traces des esclaves africains dans la démographie des sociétés musulmanes orientales actuelle, comparée à la population afro-américaine par exemple.

En conclusion, Barbara Lefebvre regrette que « l’histoire scolaire [poursuive] un objectif qui s’éloigne de sa prétention affichée à éclairer la conscience des élèves pour en faire un citoyen éclairé et de développer chez lui l’esprit critique qui passe par l’analyse des sources historiques et non l’apprentissage d’une doxa ».

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