A Jérusalem, après que le président américain a reconnu la ville comme capitale d'Israël, le 6 décembre 2017. © A. awad/reuters

« Le processus de paix entre Israël et la Palestine est mis à mort »

Le Vif

Pour Elias Sanbar, ambassadeur de la Palestine à l’Unesco, l’administration Trump a porté un coup fatal à la paix. Il explique pourquoi.

Les printemps arabes ont placé le conflit israélo-palestinien au second plan. Que reste-t-il de la question palestinienne ?

Ce constat de la disparition de la Palestine des radars est récurrent. Nous l’entendons chaque fois que le contexte régional subit des secousses. Je vous avoue que cela ne me perturbe pas vraiment. Je ne suis pas un inconscient, mais quant à penser que la question de la Palestine est en voie de disparition, comme le craignent certains et le souhaitent d’autres… Nous ne sortirons pas de sitôt de la scène que notre tragédie occupe, hélas, depuis plus d’un siècle. Deux raisons à cela. La Palestine est à la fois l’épicentre sismique d’une cause juste dont les ondes se répercutent sur toute la région et une  » caisse de résonance  » de problèmes et de tensions régionales et internationales. Sa centralité permanente vient de là, de ce double mouvement, celui qui part de Palestine, celui qui y aboutit. La question palestinienne subit certes les effets de la gravité des événements régionaux. Cela la place face à des défis difficiles qu’elle devra relever.

La décision de Donald Trump de déménager l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem ne vient-elle pas, pourtant, entériner son déclin ?

C’est une décision aux conséquences gravissimes : violation du droit international, irresponsabilité politique et jeu d’apprentis sorciers. L’annonce intervient alors que le processus de paix est moribond, que l’ensemble de la région connaît des temps extrêmement troublés. Certains des pays voisins de la Palestine sont même en train de disparaître. J’entends que la Syrie, l’Irak, le Yémen ne seront plus ceux que nous avons connus des décennies durant. Deux puissances sont aujourd’hui sur le chemin d’être des suprématies régionales nouvelles : la Russie et l’Iran. Le fondamentalisme religieux se développe et continuera à le faire même si le groupe Etat islamique a subi de grands revers militaires. Et c’est dans ce contexte que le président américain décide – décision rejetée par un vote de la majorité écrasante des Etats membres de l’ONU – de tout fonder sur une prétendue légitimité religieuse millénaire pour déclarer cette ville capitale du seul Israël. La négociation de Jérusalem portait sur deux aspirations à une souveraineté politique. Elle se retrouve prisonnière du religieux assaisonné à la sauce des délires millénaristes du vice-président américain. Le processus de paix tel que nous l’avons connu est mis à mort. La question est dé- sormais double : la communauté internationale aura-t-?elle le courage politique de porter un autre processus ? Laissera- t-elle le pire s’installer et les fondamentalismes ravager la Palestine et Israël ?

L’Arabie saoudite et Israël sont-ils, selon vous, devenus des alliés objectifs face à l’Iran ?

Elias Sanbar, historien, essayiste et ambassadeur de la Palestine auprès de l'Unesco.
Elias Sanbar, historien, essayiste et ambassadeur de la Palestine auprès de l’Unesco.© u. andersen/aurimages

Vous allez vite en besogne. De quoi sommes-nous certains aujourd’hui ? De deux choses. Des contacts existent mais, les rumeurs étant à exclure, nous ne savons rien du niveau que les échanges ont atteint. Certains Etats arabes sont certes dans l’illusion que des ouvertures en direction d’Israël pourraient amener ce dernier à entrer en guerre pour les défendre contre l’Iran. Les responsables israéliens n’arrêtent pas de déclarer que leur pays ne fera pas de guerre à la place d’un autre. Mais personne ne semble les entendre. Il y a une interrogation cachée dans votre question. Je suppose que vous voulez me demander si certains pays arabes ne sont pas tentés de sacrifier la Palestine sur l’autel des offrandes faites à Israël. Je n’y crois pas une seconde, car la question ne porte pas sur les intentions de certains, mais sur leur capacité à brader la Palestine.

Comment rester audibles ?

Le moment est grave et difficile. Le nier serait irresponsable. Mais les Palestiniens conservent en main plusieurs atouts. Ils savent compter sur eux-mêmes. Ils l’ont prouvé depuis plus d’un siècle. Notre disparition était programmée, mais nous avons tenu tête dans les circonstances les plus dures. Je pense à la Nakba, en 1948. Nous avons également pour nous notre conviction que ce conflit ne peut être résolu que sur la base des principes du droit international, de l’égalité absolue entre les aspirations des deux peuples et de la construction d’un voisinage harmonieux et réconcilié. Cette conviction nous a attiré une formidable et nouvelle empathie des sociétés civiles à travers le monde. A nous de continuer à lui donner un répondant, à lui faire écho.

Donald Trump, devant le mur des Lamentations, le 22 mai 2017.
Donald Trump, devant le mur des Lamentations, le 22 mai 2017.  » La position palestinienne est que les Etats-Unis ne peuvent plus être seuls à la table des négociations. « © r. zvulun/reuters

Cela ne reflète-t-il pas néanmoins l’impuissance de l’Autorité palestinienne ?

Nous assistons à un échec. Celui du processus initié, il y a vingt-sept ans, à Madrid, avec pour seul résultat tangible la présence de plus de 700 000 colons installés sur un territoire normalement dévolu à l’Etat de Palestine. Certes, nous avons commis l’erreur de céder à l’illusion que les Etats-Unis détenaient toutes les clés de la solution, vu qu’Israël n’a cessé d’affirmer qu’il n’acceptera que les Etats-Unis dans le rôle des  » intermédiaires honnêtes « . Nous ne sommes ni idiots ni naïfs. Il était clair que la période transitoire prévue par les accords n’avait qu’un but : devenir définitive. Cet argument a servi d’alibi à beaucoup de partenaires, qui ont beau jeu de dire aujourd’hui :  » Pourquoi avez-vous été aussi crédules ? Les Etats-Unis, qui prétendaient être des intermédiaires honnêtes, n’aspiraient qu’à vous transmettre les demandes israéliennes.  » A ces partenaires essentiels – ONU, Russie, Union européenne – nous retournons la question. Vous qui êtes infiniment plus puissants que la Palestine, pourquoi avez-vous cédé à l’injonction de vous changer en spectateurs attentifs de la négociation, en simples fournisseurs d’aides financières ? Pensez-vous que la Palestine se serait opposée à votre présence à la table des négociations ?… Vous auriez été là, nous n’en serions pas là.

N’est-ce pas risqué de ne plus reconnaître les Etats-Unis comme médiateur ?

Cette négociation devient une mascarade. Les Américains continuent à dire qu’ils réfléchissent à un plan, afin de placer les Palestiniens dans le camp du refus. En fait, ils ont liquidé l’affaire. Du côté palestinien, personne n’a affirmé que les Etats-Unis sont à jamais exclus. La position palestinienne est qu’ils ne peuvent plus être les seuls à la table. Le président Mahmoud Abbas l’a redit lors de la session du Conseil central de l’OLP. La Palestine veut négocier, mais elle ne le fera que dans un cadre multilatéral.

La solution à deux Etats est-elle morte ?

L’idée est toujours valable. Le processus, comme principe de solution juste et réalisable, qui devait y mener est, en revanche, mort. Il y a un paradoxe dans cette histoire : les occupés font face à un blocage, mais les occupants aussi. Que peuvent-ils faire ? Construire d’autres murs ? Laisser la situation pourrir ? Qui peut dire :  » Je signe une paix à la place des Palestiniens ?  » Personne. Cela ne marche pas, pour une raison simple : nous sommes la question, le noeud de la question.

Par Romain Rosso.

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