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Le pape est-il anti-américain ?

Le Vif

Le pape des « périphéries », ennemi de la finance toute-puissante et idole des Latinos, se rend pour la première fois aux Etats-Unis, où de nombreux conservateurs se demandent s’il n’est pas aussi anti-américain.

Les prises de position du premier pape latino-américain contre un système économique injuste, son encyclique appelant à une révolution écologique, à la décroissance et à la fin du gaspillage, ses attaques contre l’idolâtrie de l’argent-roi sont restées en travers de la gorge des ultra-libéraux. De Wall Street au Tea Party, beaucoup le soupçonnent d’être un « marxiste » camouflé. Mais même si Jorge Bergoglio, qui n’a encore jamais posé le pied aux Etats-Unis, considère que la première puissance mondiale a une responsabilité accrue en raison de son statut, il n’en est pas pour autant anti-américain. Dans ses écrits, il n’a d’ailleurs que peu mentionné les Etats-Unis, notent ses biographes comme le Britannique Austen Ivereigh. Depuis son élection en 2013, le pape François a surtout visité de petits pays, préférant aux grandes puissances les « périphéries », du Sri Lanka en Asie à l’Albanie en Europe, ou encore la Bolivie en Amérique Latine. Interrogé en juillet sur les critiques américaines contre lui — un présentateur télévisé américain l’avait alors qualifié d' »homme le plus dangereux de la planète » — François avait promis de les « étudier » dans le calme. Et il a longuement travaillé à ses discours pendant l’été.

‘L’anti-Donald Trump’

Plus qu’avec l’Amérique, dont il exaltera à Philadelphie le rôle pionnier pour les libertés, c’est avec une certaine droite américaine ultralibérale, xénophobe et souvent religieuse, très remontée contre lui, qu’il devrait en découdre. « Le pape contre Donald: l’anti-Donald Trump arrive chez nous. Et il parle espagnol aussi », ironise ainsi un éditorial du journal américain Politico, alors que le candidat à l’investiture républicaine pour la présidentielle de 2017 s’est distingué par ses attaques contre les immigrés hispaniques. Selon le vaticaniste italien Iacopo Scaramuzzi, le pape sera ferme mais pas agressif: « Il ne manquera pas de répéter les concepts exposés dans son encyclique qui lui ont valu des hostilités de candidats à la présidence et des milieux économiques ». « Mais il sera aussi à l’écoute de la culture nord-américaine, parce qu’il en est l’invité, et aussi parce que, sur des questions comme les migrations, l’urgence écologique et les discriminations raciales, il est en syntonie avec de nombreuses réalités ecclésiales américaines », ajoute-t-il. Jorge Bergoglio a ainsi déjà fait l’éloge du « travail grandiose » des religieuses catholiques américaines en faveur des immigrés. Premier pape à s’adresser au Congrès, « il a volontiers accepté l’invitation parce qu’il a ainsi l’occasion de parler à tout le peuple américain à travers ses représentants », a expliqué son porte-parole. Cette volonté de ne pas se contenter des contacts avec l’establishment est perceptible dans le programme: sans-logis, immigrés, prisonniers et jeunes sont prioritaires.

‘Petite caste de super-riches’

« Le pape, affirme Marco Politi, vaticaniste et biographe de François, ne vient pas attaquer le capitalisme des Etats-Unis. Comme les autres pontifes, il entend rappeler la superpuissance à ses responsabilités. François veut que l’Amérique réfléchisse au fossé croissant entre des milliards de pauvres et une petite caste de super-riches ».

Il fait partie de ces prélats latino-américains pour qui les Etats-Unis sont un peu « perçus comme la cause et la solution des problèmes », relève le vaticaniste américain John Allen. « Il ressent un sentiment ambivalent comme beaucoup d’évêques latino-américains. C’est un mélange de terreur face à la puissance économique et militaire et de respect pour la générosité des Américains dans les périodes difficiles. A cela s’ajoute l’histoire en ombres et lumières des Etats-Unis en Amérique Latine », note John Allen. Selon Andrea Tornielli, un autre vaticaniste réputé, François « n’est pas anti-américain ». « Ce qu’il dit sur l’économie qui tue fait partie de la doctrine sociale de l’Eglise. Une doctrine oubliée de ceux qui –aussi dans les milieux catholiques– exaltent le système actuel comme le meilleur des mondes possibles ».

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