Marche contre le racisme à Tokyo © REUTERS

Le Japon adopte sa première loi contre le discours haineux

Stagiaire Le Vif

Le Japon vient d’adopter sa première loi contre le discours haineux. Une décision nécessaire au vu de la montée des rassemblements et discours haineux envers les étrangers et en particulier les Coréens. Néanmoins, cette loi, bien qu’appréciée dans la forme, semble présenter des insuffisances sur le fond.

Le Japon ne disposait pas, jusqu’ici, d’une loi qui interdisait toute forme de discrimination ou d’incitation à la haine. C’est désormais chose faite depuis ce mardi.Un projet de loi sur l’interdiction des discours de haine avait déjà été proposé en août 2015, mais avait finalement été reporté faute d’accord sur la liberté d’expression. Ces actes discriminatoires n’étaient donc pas considérés comme illégaux. Mais la Diète, le parlement japonais a finalement réussi à faire passer cette loi, répondant aux volontés de l’ONU. En effet, en août 2014, le Comité du Haut-commissariat aux droits de l’Homme de l’ONU avait « instamment prié l’Etat japonais d’adopter une législation spécifique et globale interdisant la discrimination raciale, à la fois directe et indirecte afin de permettre aux victimes des faits visés de demander réparation en justice« , rapporte le site Asialyst

Un pas en avant donc pour le Japon qui a, pendant longtemps, laissé le racisme s’étendre malgré le fait que le pays soit membre des Nations Unies. L’organisation internationale ayant fait du sujet l’une de ses priorités au travers, notamment, de sa Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale.

Une loi qui présente des lacunes

Comme l’explique le sociologue Takehiro Akedo dans un article pour le webmagazine Synodos, le Parti libéral-démocrate (PLD, formant la majorité au parlement) n’était pas particulièrement enthousiaste à l’idée de promulguer cette loi, mais s’est senti obligé de suivre l’initiative lancée par le Parti démocrate (PJD, dans l’opposition) mais qui n’avait jamais abouti lorsqu’il était au pouvoir.

En outre, un fort scepticisme suit cette loi. La plupart des critiques estiment que le texte est majoritairement philosophique. Comme le rapporte le Japan Times, le terme racisme et les propos discriminatoires sont désormais considérés comme « impardonnables« , mais la loi n’interdit pas légalement le discours haineux et aucune sanction n’est prévue. En outre, d’autres critiques, incluant une ONG Japan Lawyers Network for Refugees, condamnent le caractère réducteur de la loi qui ne couvrirait que les personnes ayant des origines transfrontalières (Corée, Chine…), et non pas tous les étrangers.

Les Coréens principalement visés

Il faut dire que la majorité des démonstrations de haine sont souvent faites à l’encontre des Coréens. Entre 2012 et 2015, plus de 1.100 rassemblements anti-coréens avaient eu lieu, dont 347 en 2013 et 378 en 2014. Des rassemblements qui se multipliaient à l’initiative de plusieurs groupes conservateurs dont le plus connu est Zaitokukai, une « association des citoyens qui n’acceptent pas les privilèges des résidents coréens« . Des slogans et messages violents ressortaient des groupes de protestataires comme « Vous devriez tous être massacrés« , « Fichez le camp du Japon » ou « cafards« – une insulte couramment utilisée pour désigner les Coréens au Japon- selon des analyses vidéo de 72 rassemblements effectuées par le ministère de la Justice japonais. « Ces rassemblements sont essentiellement un appel au génocide des Coréens. C’est une grosse déception que cela se passe au sein de la société japonaise » expliquait par ailleurs une femme d’une soixantaine d’années dans un autre article du Japan Times.

Une haine mutuelle vieille de plusieurs siècles

En général, les militants sont persuadés que les Coréens bénéficient de plus d’aides sociales que les citoyens japonais et dénoncent ce qu’ils voient comme une injustice. Et ces haines nippo-coréennes ne datent pas d’hier. Les relations entre les deux pays n’ont jamais été au beau fixe malgré une étroite collaboration économique et le fait que plus de 600.000 Coréens (sans compter ceux qui ont acquis la nationalité japonaise) vivent au Japon. Ils représentent un tiers des étrangers présents sur le sol japonais.

Des tensions autour de la possession des îles Takeshima (dans la mer du Japon) mais également sur le rôle des « femmes de réconfort » sont monnaie courante. Par exemple, Tokyo refuse toujours de dédommager les femmes sud-coréennes forcées à la prostitution par l’armée japonaise pendant la Seconde guerre mondiale. Chez les Japonais, on reproche aussi au voisin coréen l’enlèvement de ressortissants nippons par la Corée du Nord dans les années 1970. Si on remonte encore plus loin, les horreurs de la guerre Imjin (1592-1598) ont marqué les Coréens. Les soldats impériaux ont ramené chez eux des dizaines de milliers d’oreilles de Coréens en guise de trophées, ils ont aussi enlevé les meilleurs artisans coréens (céramistes, papetiers, tisserands) afin qu’ils transmettent leurs savoirs ancestraux dans l’Archipel.

Cette loi, même si pour beaucoup incomplète, apparait tout de même comme une bonne nouvelle. Un bon signe à quatre ans des Jeux olympiques qui se dérouleront au pays du soleil levant.

Par F. Ca.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire