Gérald Papy

Le football mérite mieux que ces dirigeants-là

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Pour le salut du football, la justice doit suivre son cours dans la sérénité et être préservée de la frénésie médiatique des révélations qui hument la stratégie de la terre brûlée que le président de la Fifa démissionnaire peut être soupçonné de vouloir pratiquer pour atténuer sa responsabilité.

« Pendant ce temps si particulier qui s’écoule alors que nous sommes au stade ou devant notre téléviseur, nous évoluons dans un monde abstrait et rassurant […], nous sommes, le temps que dure la partie, dans un cocon de temps, préservés des blessures du monde extérieur, hors des contingences du réel, de ses douleurs et de ses insatisfactions, où le temps véritable, le temps irrémédiable qui nous entraîne continûment vers la mort, semble engourdi et comme anesthésié. » Savoureuse plume de Jean-Philippe Toussaint qui, dans Football (Editions de Minuit), parvient à donner du sport le plus populaire et le plus commercialisé de la planète une dimension poétique et existentielle. Ce « monde abstrait et rassurant du football » n’est pas celui que l’on découvre en lisant la défense de Michel Platini, actuel président de l’Union européenne des associations de football (UEFA), aux accusations de corruption dont il fait l’objet dans le cadre du scandale qui éclabousse depuis plusieurs mois les dirigeants de la Fédération internationale du football (Fifa), son président Sepp Blatter ayant été contraint à une piteuse démission. Depuis, déballage public et règlements de comptes présumés ont fait florès. La révélation du versement d’une somme de 2 millions de francs suisses par la Fifa au président de l’UEFA en 2011 pour des prestations de conseiller entre 1998 et 2002 a fini d’étendre les soupçons à Michel Platini.

Or, l’histoire contée dans un entretien au Monde, censée justifier le mystérieux paiement intervenu à quelques mois seulement de la réélection de Sepp Blatter et qui, du propre aveu de Platini, « peut paraître étonnante » laisse pantois. Car qu’elle soit véridique ou qu’elle ait été scénarisée avec le souci d’une certaine plausibilité, elle met au jour des pratiques ahurissantes au sommet de la plus puissante fédération sportive mondiale. La Fifa autorisait donc un conseiller en vue, ancienne star du football mondial, à travailler sans contrat pendant quatre ans ; lui laissait la liberté de fixer le montant de sa rémunération dans la devise de son choix ; et ne s’étonnait pas in fine de rétribuer son ex-expert avec un excédent de 800 000 francs suisses parce que celui-ci, par distraction et le temps aidant, avait réévalué son salaire annuel de 300 000 à 500 000 francs suisses… Dans ses missions opérationnelles, le Michel Platini ami de Sepp Blatter avait notamment en charge – sinistre ironie – le soutien aux fédérations nationales les plus pauvres du monde.

Pour le salut du football, la justice doit suivre son cours dans la sérénité et être préservée de la frénésie médiatique des révélations qui hument la stratégie de la terre brûlée que le président de la Fifa démissionnaire peut être soupçonné de vouloir pratiquer pour atténuer sa responsabilité. Il n’empêche, les accointances pendant de longues années entre les deux meilleurs ennemis du football, les questions pendantes sur ce paiement controversé ou la rupture de la solidarité européenne par la fédération anglaise, berceau de l’investigation sur les scandales de la Fifa, annoncent les écueils que Michel Platini va rencontrer dans la course à la présidence de la Fédération internationale de football d’ici à février prochain.

Le Français excipe toujours de son « honnêteté » et son expérience unique d’ancien joueur pour prétendre « être le seul à pouvoir faire en sorte que la Fifa redevienne la maison du foot ». Il serait hâtif aujourd’hui de prédire s’il y parviendra. Mais le doute sur sa probité restera. A l’aune de l’engouement planétaire qu’il suscite et du dévouement qu’il exige de la part de millions d’amateurs, le football mérite certainement beaucoup mieux que ces dirigeants-là. Le pouvoir qu’ont acquis ces tentaculaires instances sportives et la façon dont elles l’exercent inclinent aussi à penser que les Etats seraient bien inspirés d’y consacrer une attention plus grande qu’une complaisance coupable dans l’espoir avide de l’organisation d’une compétition lucrative.

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