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La Turquie découvre les effets de la colère russe

Le Vif

Ouvriers turc expulsés, hommes d’affaires interpellés, centre culturel fermé: une semaine après le crash d’un bombardier russe abattu par l’aviation turque, provoquant une grave crise diplomatique entre Moscou et Ankara, la communauté turque de Russie commence à ressentir les effets de la colère de Moscou.

Dans les médias locaux russes, les articles sont légion ces derniers jours sur les cas d’ouvriers arrêtés et souvent expulsés du pays: 24 Turcs employés sur des chantiers à Anapa (sud-ouest), en attente d’expulsion, 26 autres arrêtés à Stavropol (sud-ouest) dont certains déjà expulsés, ou encore trois ouvriers expulsés à Krasnokamensk, près de la frontière chinoise.

A Krasnodar, 39 hommes d’affaires turcs venus assister à un salon agricole se sont même retrouvés au commissariat jeudi. A chaque fois, les raisons évoquées sont les mêmes: « violation des lois sur l’immigration », qu’il s’agisse de Turcs dont le permis de travail était expiré ou rentrés comme touristes, sans avoir donc l’autorisation de travailler.

Si les autorités russes communiquent peu, le procureur d’Ossétie du Nord (Caucase) avait annoncé dès jeudi que 16 « migrants clandestins » turcs, restés en Russie à l’expiration de leur contrat de travail, avaient été arrêtés à l’issue d’une descente de police.

Ces arrestations, si elles respectent la loi, sont inhabituelles alors que les Turcs représentent une part importante des ouvriers du bâtiment en Russie et que les autorités font généralement preuve de plus de mansuétude.

A Khimki, une cité-dortoir du nord-ouest de Moscou, ce sont les forces anti-émeutes qui ont réveillé en pleine nuit 400 employés de l’entreprise de construction turque Mebe.

« Ils ont dit que cette perquisition se justifiait par des questions de sécurité nationale, ont employé des méthodes musclées en ayant recours aux policiers anti-émeute », a déclaré à l’AFP Irina Lebedeva, la directrice des ressources humaines de l’entreprise.

Les employés, des Turcs et des citoyens de pays d’Asie centrale, ont dû donner leurs empreintes digitales avant d’être relâchés.

Mebe est installée depuis 20 ans en Russie, où l’entreprise construit notamment des hôtels de luxe et des résidences de standing.

‘Pression des autorités’

Les autorités turques s’inquiètent de ces mesures de rétorsion, l’ambassade de Turquie à Moscou faisant état de pressions contre ses citoyens.

« Au cours des derniers jours, l’ambassade a reçu des plaintes de citoyens turcs vivant en Russie et soumis à la pression des autorités. Les plaintes venaient d’hommes d’affaires, de travailleurs, d’étudiants et de citoyens ordinaires », a déclaré l’ambassade, citée par l’agence de presse russe Interfax.

Le secteur touristique souffre également de la grave crise entre les deux pays: tous les vols charters sont interdits depuis mardi entre la Russie et la Turquie, où le gouvernement recommande aux Russes de ne plus se rendre.

Les liens culturels entre les deux anciens partenaires privilégiés subissent aussi le contrecoup du refroidissement de leurs relations politiques.

Mardi, le ministère russe de l’Education a annoncé dans un communiqué que « la plupart des 44 universités russes ont rompu tout accord de coopération avec leurs partenaires turcs ».

Le Centre de recherche scientifique russo-turc, dont les locaux sont situés dans une grande bibliothèque de Moscou et qui est chargé de soutenir les étudiants en leur fournissant de la littérature turque ou des cours de langue, a pour sa part annoncé sa fermeture.

« Malheureusement, nous devons vous annoncer que notre centre a été fermé (…) Les tables rondes et les conférences sont annulées », a expliqué le centre dans un communiqué tout en précisant n’avoir aucune idée de la raison pour laquelle cette décision a été prise.

Parallèlement, un embargo sur 17 catégories d’aliments importés de Turquie, dont les volailles (poulet et dinde), le sel et certains fruits et légumes, a été décrété par le gouvernement russe. Il s’appliquera à partir du 1er janvier.

Tandis que les appels au boycott des commerces turcs se multiplient, un réseau de restaurants turcs de Tcheliabinsk (Sibérie occidentale) a préféré prendre les devants en annonçant qu' »au nom de l’amitié entre les peuples », la recette d’une journée serait reversée à la famille du pilote russe tué par des rebelles syriens en retombant en parachute, après que son avion eut été descendu en flammes par des F-16 turcs.

« Les propriétaires des restaurants sont turcs (..) Nous sentons une certaine tension, de l’anxiété même si aucun cas de violence n’a été recensé », a déclaré à l’AFP le directeur de cette chaîne, Dmitri Kostilev.

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