Jeunes musulmans en pleine lecture du Coran, Paris, 2012 © Reuters

La « tentation radicale » de jeunes musulmans en France est minoritaire, mais « préoccupante »

Le Vif

La majorité des jeunes musulmans en France ne sont pas tentés par la radicalité, mais une « minorité préoccupante » peut être encline à l’absolutisme religieux, explique la politologue Anne Muxel, co-auteure d’une enquête d’une ampleur inédite sur les lycéens français.

Dans La tentation radicale (éditions PUF), qu’elle publie mercredi en France avec le sociologue Olivier Galland, cette directrice de recherche au Centre national de recherche scientifique (CNRS) analyse les résultats d’une étude originale menée auprès de 7.000 lycéens, de toutes origines et confessions, interrogés à l’automne 2016. Propos recueillis par Benoît Fauchet.

Selon votre enquête, 32% des lycéens ayant déclaré être de religion musulmane « adhèrent à des idées religieuses absolutistes », contre 6% des chrétiens et 14% des fidèles d’autres cultes. Qu’entend-on par là, et quelles conclusions en tirer?

Notre mesure de l’absolutisme religieux recouvre des personnes qui considèrent qu’il n’y a qu’une seule vraie religion et qui mettent en avant la religion, plutôt que la science, dans la création du monde. Cet absolutisme religieux ne débouche pas forcément sur la violence, laquelle peut s’exprimer du reste sans absolutisme religieux. A noter que ceux qui sont « tolérants à la violence », donc qui présentent un indicateur élevé de radicalité religieuse, sont plus souvent des garçons (16,5% des garçons musulmans le sont selon cette étude, NDLR) que des filles (8,7%).

On peut être rassuré par le fait que la majorité des jeunes musulmans ne sont pas concernés par cette tentation radicale. Mais il y a une minorité préoccupante qui peut être réceptive à des idées radicales. Cela incite bien sûr les pouvoirs publics et l’Éducation nationale à apporter des réponses.

Il faut manier tous ces chiffres avec beaucoup de précaution, faire très attention au risque d’instrumentalisation. Notre étude ne porte pas seulement sur les jeunes musulmans mais fait valoir les écarts d’attitudes et d’opinions que l’on peut observer entre les différents segments de la jeunesse.

Comment les jeunes ont-ils réagi aux attentats de 2015 (à Paris, contre l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo et le magasin Hyper Cacher en janvier, puis la salle de spectacles Le Bataclan en novembre), après lesquels ce chantier scientifique a été mené?

Nous avons différencié les attaques contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher de l’attentat contre le Bataclan, en relevant qu’il n’y avait pas le même type de sensibilité et de réactions à ces divers événements. Bien évidemment, une grande partie des jeunes condamne les attaques terroristes quelles qu’elles soient (68% des lycéens pour celles de janvier, 79% concernant celles de novembre). Mais pour Charlie Hebdo, un maître-mot est mis en évidence, celui de respect – de la différence, de la religion de l’autre, de l’islam – qui peut prendre le pas, en tout cas pour certains jeunes, sur le droit à la liberté d’expression de journalistes satiriques.

Quand l’universitaire Olivier Roy évoquait une « islamisation de la radicalité » aux ressorts nihilistes, son confrère Gilles Kepel défendait la thèse d’une « radicalisation de l’islam », une « dynamique salafiste » au moteur plus clairement religieux, dont votre enquête semble aussi prendre le parti.

Vouloir opposer l’un à l’autre, c’est s’empêcher de voir l’ensemble d’un phénomène multidimensionnel. Il est vrai que nos résultats vont dans le sens du facteur religieux. On montre aussi l’importance du sentiment de discrimination ou du niveau d’intégration scolaire, des leviers qui restent toujours derrière le facteur religieux, mais qui sont là.

A présent, il faudrait une enquête approfondie ne portant que sur les jeunes musulmans pour disposer de données valides statistiquement sur la façon dont ils vivent, interprètent leur religion dans toutes ses implications pratiques, par rapport à la laïcité française et aux valeurs de la République. Nos résultats donnent envie d’aller plus loin pour mieux comprendre la vision de ces jeunes.

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