Un djihadiste de l'État islamique à Mossoul en Irak © Reuters

La radicalisation des djihadistes et la dérive de sectaire

Le Vif

Les méthodes utilisées pour embrigader et radicaliser les djihadistes n’auraient rien de nouveau et seraient au contraire ancestrales puisqu’elles ont déjà été pratiquées de tout temps par les sectes religieuses. Décryptage.

Depuis le 11 septembre, l’analogie entre le djihadisme dans son expression radicale d’une part, et une forme de secte d’autre part, se fait de plus en plus courante. Bien plus qu’à un mouvement idéologique et politique lié à l’Islam, le djihadisme radical serait surtout un mouvement aux dérives sectaires. Qui aurait en commun avec les autres sectes un sentiment d’identité fort et opposé à la société qui les entoure. Une société qui les humilie et les rejette. Que cette impression soit imaginaire ou non, c’est cette perception qui domine. Le sympathisant se transforme en ennemi de la société qui l’opprime et justifie du même coup le radicalisme.

Ce processus de radicalisation est bien connu des analystes des mouvements sectaires et nullement spécifique à l’islam. Comme le précise le site Slate.fr, les mécanismes de la radicalisation se basent « sur la manipulation mentale; lavage de cerveau; rupture avec l’entourage environnement scolaire, familial, amical; endoctrinement par internet; embrigadement de jeunes et d’enfants; discours antisocial; troubles à l’ordre public; lourd passé judiciaire; mise en place de grosses sommes d’argent; détournement de circuits économiques; tentatives d’infiltration, etc. »

Souvent, les rabatteurs repèrent le futurs djihadistes en faisant des recherches avec des mots-clés, précise Dounia Bouzar, anthropologue et fondatrice du Centre de Prévention des Dérives Sectaires liées à l’Islam (CPDSI), dansL’Observateur du Maroc. « L’embrigadement s’est individualisé. Les rabatteurs sont nés en France et connaissent la culture française. Ils leur font miroiter plusieurs mythes qui ne sont pas des mythes de terroristes, comme « le mythe de mère Theresa » qui s’adresse aux filles et celui de « Lancelot » pour les jeunes hommes. »

« Au début, on ne leur parle pas de meurtre, c’est à la fin de l’embrigadement qu’ils finissent par regarder des vidéos de décapitation », dit-elle encore.

« Les rabatteurs utilisent des techniques de dérives sectaires. Ils font en sorte que le jeune oublie qui il est. Ils lui ôtent tous ses souvenirs et lui intègrent une grille paranoïaque dans la tête. Ils le persuadent qu’il y a un complot contre les rares musulmans qui connaissent le vrai islam. Ils expliquent aux jeunes que s’ils sont mal dans leur peau, c’est parce qu’ils sont élus par Dieu. Les jeunes embrigadés finissent par avoir l’impression qu’ils ressentent les mêmes sensations que ce groupe, contrairement aux autres. Pour eux, les parents ne peuvent pas comprendre, les professeurs sont payés pour les endormir comme tous les politiques et les médias. Avec cette grille paranoïaque, ils n’ont plus confiance en personne et du coup, ils se coupent des informations qui pourraient les protéger. Les seules informations qu’ils reçoivent viennent du groupe. Daesh se met à penser à leur place et ils entrent en dépendance. » Et Dounia Bouzar de conclure que « Daesh est plus proche du nazisme que des frères musulmans ».

Ce n’est pas une connaissance de l’islam qui mène au djihadisme

La plupart du temps, ce n’est donc pas une connaissance de l’islam qui mène au djihadisme, mais bien le contraire. Avant d’être embrigadés, ces jeunes n’ont souvent qu’une connaissance sommaire, voire inexistante, de l’islam. Ils sont donc d’autant plus réceptifs à cet islam mythifié qui justifie violence et exactions. Et qui est souvent un parfait exutoire à des frustrations qui n’ont rien de religieux. La preuve étant ces jeunes qui se radicalisent et qui n’ont pourtant aucun « terreau musulman ».

En effet, comme le précise Jean-François Mayer, historien des religions, sur le blog Religioscope: « les observateurs suggèrent que les traits des candidats djihadistes ne correspondent pas toujours à ce que l’on attendrait et qu’ils ne viendraient pas spécialement de milieux défavorisés. En outre, des personnes au passé criminel en quête d’un mélange de rédemption, d’action et de violence peuvent aussi être séduites, à en croire ceux qui ont examiné les biographies de djihadistes. Il existe certainement une variété de profils et de motivations parmi les volontaires djihadistes, même si l’on retrouve des traits communs affichés, à commencer par le désir d’aller défendre des musulmans persécutés. »

Pour Dounia Bouzar, « la seule façon d’affaiblir les radicaux consiste à leur ôter leur justification qui est l’islam ».

Pour lutter contre ce phénomène de radicalisation, une piste serait donc d’adopter des techniques utilisées auprès des familles touchées par l’adhésion de proches à une secte comme ce fut le cas dans les années 70 et 80: soit une approche psychosociale basée sur la prévention et la formation d’intervenants sociaux pour déconstruire les mécanismes de l’emprise mentale. Surtout face à des proches qui n’ont rien vu venir et à un endoctrinement fulgurant.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire