La laïcité pour tous, vraiment ?

Héritiers des Lumières, les Européens et en particulier les Belges et les Français, ne jurent, pour garantir le vivre-ensemble, que par la laïcité. Mais cette notion est-elle réellement exportable ? Universelle ? Compréhensible ? Ou bien cette idée fondatrice est-elle née sur un continent particulier à une époque particulière ?

Observons d’emblée qu’en 1744, trois ans après que Voltaire, mascotte des Lumières, produise sa pièce de théâtre « Le Fanatisme ou Mahomet », Ibn Abd al-Wahhab et Muhammad bin Saoud, respectivement prédicateur religieux et chef de guerre, grands-pères de l’Arabie saoudite actuelle et du wahhabisme, se promettent de ramener les Arabes aux « vrais principes de l’Islam » pour stopper la libéralisation des moeurs et de la pensée venues d’Europe.

Faisons un rapide tour du monde.

La Turquie, violemment laïcisée par Atatürk (dont on pense qu’il était d’origine kurde d’ailleurs et dont l’homosexualité a été soigneusement cachée) est retombée aux mains de fervents adeptes de la religion de même que l’ex-dictature laïque baasiste irakienne. Au sein de l’Islam, pour l’essentiel, la religion rythme la vie des croyants au son du muezzin cinq fois par jour, de la naissance à la mort en passant par le mariage. Le Roi du Maroc est le commandeur des croyants, descendant de Mahomet. De même que le Roi de Jordanie (dynastie hachémite). L’Iran est une théocratie rétrograde dans laquelle le Guide suprême a primauté sur le président de la République qui, bien que démocratiquement élu (mais après une sélection des candidats par le clergé chiite) n’a qu’un pouvoir résiduaire. En Libye, qui est la proie des tribus depuis la chute de Kadhafi, la première initiative du gouvernement libyen aux accents pourtant démocratiques a été d’introduire la Sharia dans la nouvelle Constitution. Il y a 10% d’athées et agnostiques en Arabie Saoudite (autant qu’aux Etats-Unis) mais leur poids politique est négligeable.

En Asie, certes, les Hindouistes peuvent se rapprocher d’une certaine idée de la laïcité puisque leur religion est une philosophie dans laquelle l’esprit de tolérance permet d’apprécier le point de vue de l’adversaire dès lors que la vérité comporte plusieurs apparences. Mais leurs extrémistes n’hésitent pas à brûler des mosquées sans égard pour les croyants qui s’y trouvent coincés à l’intérieur. Et les Hindous perpétuent l’antédiluvien système de castes au sein duquel un Brahmane même sans le sou regardera avec mépris le milliardaire Lakshi Mittal qui fait partie de la caste des commerçants, les Vaishya.

Ce n’est qu’au prix sanglant de deux bombes nucléaires que les Japonais ont été convertis de force au parlementarisme occidental sans quoi ils auraient sans doute perpétué la divinité de l’Empereur.

Les Chinois, malgré soixante ans de communisme, observent toujours les lointains préceptes de Confucius, largement impénétrables à la logique occidentale.

De l’autre côté de l’Atlantique, aux Etats-Unis, si l’Esprit des Lois et les Droits de l’homme ont largement perfusé, les ‘In God We Trust’ sur le billet vert et autres serments sur la Bible dans les tribunaux et pour une série de fonctions régaliennes ou électives ou jurys de cour d’assises ne sonnent pas particulièrement laïques même si la séparation Eglise-Etat est incontestable. Indifférent en apparence à la notion de laïcité, le Canada a offert les accommodements raisonnables aux musulmans et juifs orthodoxes en quête non de diversité mais d’endogamie et de repli sur leur tradition.

Même en Israël, originellement socialiste, le mariage laïque n’existe pas et les Juifs religieux, plus prolifiques que les laïques, étendent leurs tentacules sur la totalité du pays.

Aucun pays européen hormis la France et la Belgique (et sa fameuse « neutralité ») n’est authentiquement laïque, pensons notamment aux pays scandinaves.

Pour une majorité de nos frères humains, la religion, les lois, les moeurs et l’Etat ne font qu’un.

Pour une majorité de nos frères humains, la religion, les lois, les moeurs et l’Etat ne font qu’un. Et il ne leur viendrait pas à l’idée de remettre en cause cette doxa.

Un émigré en provenance d’un pays étranger à toute laïcité , a-t-il une réelle chance de comprendre la permissivité d’une société belge qui, après quatre siècles de combat laïque, a mis l’Eglise à la niche et se moque des préceptes du Vatican ? Le Pape François n’a-t-il pas demandé à ses ouailles qu’elles cessent de se reproduire comme des lapins ? Si même le commandeur des catholiques se convertit au malthusianisme…

En marge d’une laïcité aux multiples facettes, notre fraîchement immigré prendra langue avec l’euthanasie, le mariage gay et l’homoparentalité, la théorie du genre, le divorce, le transsexualisme, la majorité sexuelle à 16 ans, l’échangisme. Comme premier contact, c’est la femme et l’homme presque entièrement dénudés objets de publicités glamours. Au kiosque le plus proche, il découvre une profusion de magazines satirique, gay, féminin, masculin, de gauche, de droite, de pêche, spécialisé, pornographique. Une véritable claque dans la figure. Les indigènes (nous) ont-ils une morale ? Ont-ils le moindre tabou ?

Ce n’est pas un hasard si nos sociétés sont de fortes consommatrices d’antidépresseurs. La présence homéopathique de Dieu est déstabilisante. L’exercice de la liberté de pensée est un défi permanent. Et pas à la portée du premier venu.

Alors, la laïcité comme remède pour la cohabitation, est-ce réaliste ?

Favorable à la notion de proportionnalité plutôt que de laïcité, Werner De Saeger, professeur de droit et de théologie, a rappelé prémonitoirement lors d’un débat au Sénat voici quelques mois : « Ce ne sont pas quelques subsides et la contre-propagande qui mettront à mal les discours salafistes les plus radicaux alors que Youtube et Google ont enlevé le pouvoir au monde politique. »

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