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La gloire dans la défaite pour le grand maître du jeu de go

Le Vif

Le grand maître sud-coréen du jeu de go a 18 titres internationaux à son tableau de chasse et domine son terrain de prédilection depuis une décennie. Mais, ironie du sort ou injustice, c’est dans la défaite que Lee Se-Dol accède à la gloire mondiale.

Avant sa défaite face à AlphaGo, programme d’intelligence artificielle (IA) développé par Google, la célébrité du champion de 33 ans était largement restreinte à l’Asie du Nord-Est.

Ailleurs, son nom n’était vraiment connu que dans la petite communauté d’amateurs de ce jeu ésotérique né en Chine voici 3.000 ans.

Tout a changé quand Lee Se-Dol s’est lancé la semaine dernière dans une bataille en cinq manches contre un superordinateur dont ses concepteurs disent qu’il use d’une nouvelle forme « intuitive » d’IA.

Fort de son statut de membre du club des meilleurs joueurs de l’ère moderne, Lee avait prédit qu’il emporterait une victoire écrasante. Las, AlphaGo alignait rapidement trois victoires d’affilée, signant la défaite sans appel du joueur horrifié.

Son humiliation fit les gros titres dans le monde entier tandis que la presse saluait l’avènement d’une IA capable de la créativité quasi « humaine » qu’il faut mettre en oeuvre au jeu complexe de go.

Le champion du monde a bien réussi à marquer un point pour l’humanité en remportant la quatrième manche. Mais il dut concéder le dernier mot à la machine mardi et la série s’est soldée par 4 victoires à 1 pour AlphaGo.

– ‘Tellement honte’ –

La fierté du grand maître en a clairement pris un coup.

« J’ai tellement honte en tant que professionnel », a dit Lee Se-Dol à un journaliste du quotidien sud-coréen JoongAng, parti boire un verre avec le joueur et son frère après le match numéro cinq.

« J’étais troublé par le fait que l’adversaire soit une machine. J’aurais dû le surmonter, mais je n’en ai pas été capable ».

« AlphaGo joue très bien, mais n’en est pas au stade de Dieu du go », a-t-il ajouté.

« Comme professionnel, je ne veux plus participer à une rencontre de ce type. C’est tout simplement trop dur ».

Lee, surnommé « Sen-Dol » (pierre forte), a des origines modestes. Né sur une île reculée au large des côtes sud-ouest, il a commencé à jouer à cinq ans. Rapidement reconnu comme prodige, il est passé professionnel sept ans après.

Mais le stress des entraînements a produit ses effets et à 13 ans, Lee a souffert d’aphasie temporaire qui l’a quasiment privé de la parole. En tentant de forcer ses cordes vocales, il les a endommagées de manière permanente, de même que ses bronches, et aujourd’hui, sa voix est stridente et haut perché.

Lee a reconnu en avoir conçu un traumatisme profond qui l’a vu hésiter à prendre la parole en public.

Mais il n’a jamais douté de son talent.

« Je suis le meilleur. Quand il s’agit de capacités au jeu, il n’y a personne devant moi », a-t-il pu dire comme on lui demandait qui était le numéro un mondial.

« Je veux être une légende vivante. Je veux être la première personne qu’on associe au go. Je veux que mes matches soient des oeuvres d’art », avait-il expliqué en 2013.

– Tendances rebelles –

Il avait à un moment boycotté les compétitions pendant un mois pour protester contre ce qu’il considérait comme des règles injustes, acte de rébellion rarissime contre les anciens.

On l’a entendu souvent se gausser de ses compétiteurs, envoyant des piques destinées à ébranler leur confiance.

Mais il n’a pu intimider l’ordinateur. Au contraire, il a semblé se désintégrer sous la pression et les projecteurs.

S’il a perdu le tournoi, le combat lui a valu nombre de fans nouveaux.

Sur Naver, le plus grand portail d’informations sud-coréen, son nom est devenu le plus recherché par les Sud-Coréennes célibataires.

« Je ne connais rien au go mais Lee Se-Dol est charmant. Surtout sur la photo quand il sourit après sa victoire. Mon coeur battait la chamade », a écrit une admiratrice sur Twitter.

Lee, marié depuis 10 ans, a une petite fille qu’on a souvent vu assise sur ses genoux avant les matches.

Seo Kon-Woo, professionnel de haut niveau qui a arbitré la quatrième partie, reconnaît avoir été « stupéfié » par la « formidable performance » d’AlphaGo.

Mais il se console avec l’unique victoire du champion. « S’il avait été défait 5 à 0, son avenir aurait peut être été incertain. Mais il a arraché une victoire dramatique, prouvant que les humains ont encore une marge d’amélioration et d’évolution face à des défis intimidants ».

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