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La dissuasion nucléaire, fille de la Guerre froide

Le Vif

La doctrine de la dissuasion nucléaire, mise à l’épreuve par la crise entre les États-Unis et la Corée du Nord, est née de la Guerre froide et de la volonté des deux super-puissances de l’époque d’assurer l’autre qu’aucune attaque ne serait possible sans représailles apocalyptiques.

Washington et Moscou, en pleine course aux armements, multiplient le nombre et la puissance de leurs ogives nucléaires, ainsi que le nombre de vecteurs (missiles, avions, sous-marins) afin de parvenir à ce que les spécialistes ont appelé la « Destruction mutuelle assurée », (MAD, selon son acronyme anglais).

Selon les chiffres du Bulletin of the Atomic Scientists (BAS), le résultat est qu’en 1990 les États-Unis disposaient de près de 22.000 ogives nucléaires (environ 4.480 actuellement) et la Russie environ 30.000 (contre environ 7.000, en comprenant celles qui attendent d’être démantelées), soit plusieurs fois de quoi détruire entièrement leurs pays respectifs.

Selon le chercheur Bruno Tertrais, de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), « l’arme nucléaire, inventée il y a près de 70 ans, s’est révélée efficace comme instrument de prévention de la guerre puisqu’il n’y a pas eu de conflit entre grandes puissances depuis cette date, il n’y a jamais eu de conflit ouvert entre États nucléaires et aucun pays disposant de l’arme nucléaire n’a jamais été envahi ».

De même, écrit-il dans un rapport, « aucun pays protégé par le parapluie nucléaire n’a jamais fait l’objet d’une attaque militaire massive ».

Toutefois les détracteurs de la dissuasion nucléaire rejettent ces arguments. Pour eux, c’est une théorie qui ne peut être démontrée et ce sont plutôt l’essor des échanges mondiaux, l’interdépendance des économies et l’influence des institutions internationales qui ont garanti la paix entre grandes puissances pendant près de 70 ans.

Malentendus ou incidents inattendus

Durant cette période, la doctrine a été sérieusement mise à l’épreuve à deux reprises, lors de la « crise des missiles » à Cuba en 1962 et, quarante ans plus tard, lors de la confrontation entre l’Inde et le Pakistan en 2002.

En octobre 1962, au plus fort de la Guerre froide, des photos prises par un avion espion américain révèlent la présence à Cuba, allié de Moscou, de rampes de lancement prêtes à recevoir des missiles, à portée des côtes américaines.

Le président John Kennedy décide l’instauration d’un blocus maritime de l’île. Les forces stratégiques américaines sont placées en état d’alerte maximum, niveau précédant le déclenchement de la guerre nucléaire. Des bombardiers atomiques US patrouillent le ciel et des missiles intercontinentaux sont armés.

Des navires soviétiques transportant les missiles nucléaires russes auxquels étaient destinées les rampes de lancement rebroussent chemin et un accord entre les deux puissances est trouvé en coulisses: retrait des missiles soviétiques contre retrait, en secret, des missiles américains en Turquie. Washington promet de ne pas envahir Cuba.

En mai 2002 l’Inde et le Pakistan, qui se disputent la province du Cachemire depuis leur partition en 1947, devenus puissances atomiques en 1998, sont à nouveau au bord de l’affrontement. Les deux pays mobilisent près d’un million d’hommes, notamment au Cachemire.

En avril 2002, le président pakistanais Pervez Musharraf envisage « le recours à l’arme nucléaire » si « le Pakistan tout entier menace de disparaitre de la carte », à quoi le ministre indien de la Défense George Fernandes répond qu’en cas d’attaque nucléaire « l’Inde pourrait survivre mais pas le Pakistan ».

Les deux pays multiplient les essais de missiles mais, sous pression américaine, une désescalade s’engage qui aboutit à un cessez-le-feu en novembre 2003, puis à un processus de dialogue en janvier 2004.

Pour Daniel Vernet, spécialiste des relations internationales, ancien directeur de la rédaction du quotidien français Le Monde, le danger, illustré par la crise nord-coréenne actuelle, vient de la prolifération et de l’augmentation du nombre d’acteurs dans le grand jeu nucléaire.

« La dissuasion a fonctionné aussi longtemps que les acteurs étaient peu nombreux et étaient considérés comme rationnels », a-t-il estimé mercredi dans une tribune. « Leur multiplication accroît les possibilités de malentendus, d’incidents inattendus, de mauvaise interprétation des intentions de l’autre, d’altération du jugement dans des régimes de pouvoir personnel ».

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