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L’ONU redoute le « scénario du pire » dans la crise des Rohingyas

Le Vif

La situation humanitaire continuait de se dégrader jeudi au Bangladesh, étranglé par l’afflux de près de 389.000 musulmans rohingyas fuyant les violences en Birmanie, et l’absence d’issue en vue laissait redouter selon l’ONU un « scénario du pire ».

Après des jours de marche dans la boue, avec sur leurs dos des bébés ou des personnes âgées, des réfugiés rohingyas s’arrachaient jeudi les portions alimentaires distribuées dans le camp d’Ukhia, près de Cox’s Bazar, dans le sud du Bangladesh.

Autorités locales et organisations étrangères sont débordées par cette marée humaine, qui fuit une campagne de répression de l’armée birmane consécutive à des attaques de rebelles rohingyas.

La communauté internationale doit se préparer à l’éventualité d’un « scénario du pire » dans cette crise humanitaire, a averti jeudi un responsable onusien, à savoir le déplacement de tous les Rohingyas présents dans l’Etat Rakhine (ouest) vers le Bangladesh.

Les Rohingyas sont estimés à environ un million. À l’heure actuelle, entre 10 et 20.000 Rohingyas épuisés, affamés et parfois blessés franchissent chaque jour la frontière.

Au Bangladesh, nation parmi les plus pauvres de la planète, les camps de réfugiés préexistants croulent sous cet afflux. Les collines, déboisées à la hâte, se constellent de bâches tendues sur des bambous servant d’abris précaires aux familles contre les pluies de mousson.

« Il y a une pénurie aiguë de tout, d’abri, de nourriture et d’eau potable », décrit Edouard Beigbeder, représentant pour l’Unicef au Bangladesh, qui évoque la « tâche monumentale » pour protéger notamment les enfants, qui représentent 60% des réfugiés.

– Ambiguïté de Suu Kyi –

Face à l’ampleur de l’exode, l’ONU n’hésite plus depuis quelques jours à parler d' »épuration ethnique ». Mercredi, le Conseil de sécurité a réclamé à la Brimanie des mesures « immédiates » pour faire cesser la « violence excessive » au Rakhine.

Lui emboîtant le pas, le Parlement européen a adopté jeudi une résolution demandant à l’armée de « cesser immédiatement » ses exactions. Les récits des réfugiés se font l’écho de massacres, incendies de villages, tortures et viols collectifs.

L’ex-dissidente et prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi est sous le feu des critiques à l’international pour sa position ambiguë sur ce dossier.

Les violences et discriminations contre les Rohingyas sont allées en s’intensifiant ces dernières années: traités comme des étrangers en Birmanie, un pays à plus de 90% bouddhiste, les Rohingyas représentent la plus grande communauté apatride du monde.

Depuis que la nationalité birmane leur a été retirée en 1982, ils sont soumis à de nombreuses restrictions: ils ne peuvent pas voyager ou se marier sans autorisation, ils n’ont accès ni au marché du travail, ni aux services publics (écoles et hôpitaux).

La dirigeante birmane, au pouvoir depuis avril 2016 après les premières élections libres depuis plus de 20 ans, a promis de sortir de son silence mardi prochain, lors d’un grand discours à la nation birmane.

– Colonnes de fumée –

Mais sur le terrain, c’est la très puissante armée birmane qui reste à la manoeuvre. Depuis la rive du fleuve Naf, qui marque une frontière naturelle entre Birmanie et Bangladesh, les incendies de villages sont visibles.

Pour traverser le fleuve, les bateliers réclament aux réfugiés jusqu’à 100 dollars pour un trajet de 10 à 30 minutes qui coûtait auparavant un demi dollar.

« Le batelier nous a soutiré jusqu’au dernier sou. Maintenant, nous voulons aller au camp mais nous n’avons plus d’argent », se lamente Momena Begum, 35 ans, attendant sur le bord de la route avec ses cinq enfants.

« Les propriétaires de bateaux nous ont menacés de nous jeter à l’eau si nous refusions de leur donner nos biens », renchérit Nadera Banu. Cette veuve de 19 ans a dû céder le dernier souvenir qui lui restait de son mari, un médaillon en or reçu à son mariage.

Des « tribunaux mobiles » de magistrats bangladais ont condamné ces derniers jours des dizaines de propriétaires de bateaux et de villageois locaux accusés de profiter de la détresse des réfugiés.

Et le fleuve continue de déposer chaque jour sur la rive des cadavres de réfugiés dont le bateau surchargé s’est renversé: deux nouveaux corps ont été repêchés jeudi, portant le total à 103 depuis le 30 août, a annoncé la police bangladaise à l’AFP.

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