© Image Globe / MARWAN NAAMANI

L’intervention en Libye,  » c’est de la gesticulation « 

Ancien diplomate à Tripoli, l’arabisant Patrick Haimzadeh * juge l’intervention de la coalition précipitée et mal fondée.

Le Vif/L’Express : Dans votre livre, vous présentez Tripoli et Benghazi comme des soeurs ennemies depuis l’Antiquité. Ce facteur joue-t-il dans la guerre civile ?

Patrick Haimzadeh : L’explication régionaliste est fondamentale. La Cyrénaïque, dans l’est, souffre d’un fort sentiment d’injustice. Ses habitants ont été délaissés par le pouvoir central en termes de promotions dans l’armée et l’administration. Benghazi était naguère le lieu du pouvoir monarchique : le colonel Kadhafi se méfie de cette région. Au fil du temps, il a tout déplacé dans l’ouest.

Le régime a tenu quarante-deux ans. Que se passe-t-il ?

Les causes de l’insurrection remontent à une dizaine d’années. Le mécontentement est allé croissant, en raison de la captation de la rente pétrolière par la famille du dictateur. La peur des Libyens de voir s’installer une dynastie a joué aussi depuis que l’un des fils, Seïf al-Islam, est mis en avant. Et, bien sûr, le catalyseur de tous ces problèmes a été le début du « printemps arabe ».

Une partie de la population soutient encore le régime. Pourquoi ? Il y a dans le pays des systèmes de répression, mais aussi des rétributions : la Libye est un Etat rentier qui redistribue l’argent du pétrole à grande échelle. La peur rend par ailleurs une partie de la population attentiste – peur du régime, mais aussi peur du changement. Les fidélités tribales, enfin, structurent la société : les tribus fonctionnent comme des réseaux de solidarité fondés sur des liens de sang. En temps de guerre, la tribu peut aussi devenir une structure de combat.

De nombreux observateurs craignent une islamisation de la société libyenne. Ont-ils raison ?

Les Libyens de Cyrénaïque, notamment, sont très attachés à un islam de piété. Une tranche de la population prône une religion plus politique, à la façon des Frères musulmans. Mais ils sont trop attachés à leur identité pour se tourner vers Al-Qaeda. Il s’agit là d’une crainte européenne.

La coalition a-t-elle eu raison d’intervenir ?

Tout est allé trop vite. Benghazi pouvait se sauver toute seule. On a poussé les rebelles dans un schéma tactique qui n’est pas adapté au terrain : les avions et les bombes ne peuvent pas résoudre le problème. Tout ça est médiatique ; cette intervention, c’est de la gesticulation. Les décisions ont été prises en fonction de l’émotion, sous l’influence de Bernard-Henri Lévy.

Une solution militaire, en armant et en formant les rebelles, est-elle envisageable ?

Non. Plus la partition de facto de la Libye perdurera et plus les difficultés seront grandes. Même si les insurgés devaient atteindre Tripoli, ils n’y seraient peut-être pas reçus en libérateurs. Car le régime continue de distribuer la manne pétrolière à ses soutiens. Il risque donc d’y avoir des règlements de comptes. La solution de la crise se situera dans l’ouest du pays.

L’intervention en Libye est justifiée, selon la France, par des impératifs moraux. En Syrie, la répression des manifestations aurait entraîné plusieurs centaines de morts…

Oui, et cela montre que l’aspect dissuasif mis en avant par la coalition ne fonctionne pas. A Damas, Bachar el-Assad sait qu’une intervention militaire n’est pas possible partout. Pendant que le monde a les yeux braqués sur la Libye, il se sent les mains libres. Finalement, cette intervention conforte les autres dictateurs.

PROPOS RECUEILLIS PAR JULIEN SARTRE

* Il est l’auteur d’Au coeur de la Libye de Kadhafi (Jean-Claude Lattès).

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