Gabrielle Petit, héroïne de la Résistance fusillée en 1916 : son portrait a disparu des classes d'histoire. © BELGAIMAGE

L’histoire belge, tout sauf une fabrique à chauvins

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

La Belgique s’évapore, l’enseignement de son riche et lointain passé a pris les devants. Consolation : il serait bien en peine d’alimenter l’inquiétant retour en grâce d’un « récit ou roman national ».

Vercingétorix, Jeanne d’Arc, Louis XIV, Napoléon à la rescousse ! Le temps d’une élection présidentielle française, la droite a sorti les vieilles gloires du tombeau. François Fillon et Nicolas Sarkozy, qui battent alors la campagne, convoquent l’histoire et son enseignement. S’ils sont élus, les deux candidats se piquent de remettre l’une et l’autre au service de l’identité nationale. La patrie est en danger ? Le  » récit national « , restauré en classe, sera son bouclier.  » Une histoire faite d’hommes et de femmes, de héros, de symboles, de lieux, de monuments, d’événements qui trouvent un sens et une signification dans l’édification progressive de notre nation « , précise Fillon.  » Quelle que soit la nationalité de vos parents, jeunes Français, au moment où vous devenez français, vos ancêtres, ce sont les Gaulois et c’est Vercingétorix « , renchérit Sarkozy. Le FN de Marine Le Pen ne sort pas d’autres violons.

Remettre en selle le chef arverne moustachu, la Pucelle d’Orléans, le Roi-Soleil ou l’Aigle impérial n’est jamais bon signe. Et que des pros de la politique se mêlent de lecture du passé n’a rien de très rassurant. Pierre Van den Dungen, professeur en didactique de l’histoire à l’ULB, hume le vent mauvais qui se lève :  » La tendance générale est à une remise en cause de « l’histoire-problème « , celle qui questionne le passé. Et à un retour, à l’échelle européenne, au récit ou au roman national, synonyme de fermeture.  »

Jeanne d'Arc voulut bouter l'Anglais hors de France : la tentation d'un retour au
Jeanne d’Arc voulut bouter l’Anglais hors de France : la tentation d’un retour au  » récit national « .© ALEXANDRE MARCHI/BELGAIMAGE

Zen dans nos contrées. Chérir à l’école une Belgique toujours grande et belle dans son invincible unité n’est plus de mise. Ses héros sont fatigués. Sans remonter jusqu’à Ambiorix l’Eburon, il y a belle lurette que  » les portraits des héros de guerre comme Léon Trésignies, le caporal qui, en 1914, sacrifia sa vie au Pont-Brûlé à Grimbergen, ou de Gabrielle Petit, résistante bruxelloise fusillée en 1916, n’ornent plus chaque local de classe « , rappellent Kaat Wils et Karel Van Nieuwenhuyse, spécialistes en didactique de l’histoire à la KUL. L’issue douloureuse de la Seconde Guerre mondiale a puissamment aidé à tourner la page d’un enseignement aux accents chauvins :  » Vu la collaboration à grande échelle avec l’occupant allemand durant la guerre, un large consensus se dessine très vite pour conclure à l’échec de l’enseignement à inculquer patriotisme et sens civique.  »

A l’école, chérir la Belgique dans son invincible unité n’est plus de mise

Depuis, l’histoire de Belgique ne cesse de briller, non pas par son absence en classe, mais par sa discrétion. L’intérêt que lui porte encore le secondaire en Communauté française (ex-Etat) tient en une formule assez lapidaire :  » La Belgique dans l’Europe et le monde : supranationalité, fédéralisme et identités régionales.  » Le tout ne s’aborde qu’au xxe siècle, avec modération.

La  » guerre des mémoires  » wallonnes et flamandes n’a pas eu lieu

 » On a observé, les dernières décennies, une heureuse et nécessaire ouverture à l’international ou à l’intégration européenne, mais l’histoire de Belgique est souvent devenue la grande oubliée « , confirme à regret l’historien Vincent Dujardin.  » Pourtant, comprendre d’où l’on vient et où l’on vit ne me semble pas relever du luxe.  » Le jeune n’a plus que vaguement conscience du riche et lourd passé qu’il traîne derrière lui. Le Gantois Charles Quint et son empire sur lequel le soleil ne se couchait jamais au xvie siècle n’est pas seul à avoir disparu des radars scolaires.  » Nombre d’étudiants ignorent quand la Belgique est devenue indépendante, comment s’appelait son premier roi ou qu’elle a eu une colonie « , observe Luc Blanchart, enseignant à la haute école Charleroi-Europe.

Plaies et bosses communautaires ont achevé d’avoir raison d’une lecture nationale d’un passé de moins en moins commun.  » A partir des années 1960, l’enseignement d’une  » histoire belge  » n’existe plus « , relève une historienne néerlandaise, Tessa Lobbes, dans une étude à paraître sur ce sujet pour le compte de la KUL.  » La mémoire collective patriotique supportée par l’Etat-nation depuis sa fondation en 1830 a cédé graduellement le terrain à des contre-mémoires wallonnes et nationalistes flamandes contradictoires.  » L’une et l’autre ont eu le bon goût de ne pas importer d’esprit revanchard en classe :  » Cette « guerre de mémoires » n’a pas fondamentalement affecté l’enseignement de l’histoire.  » Ambiorix ne sera jamais Vercingétorix.

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