Eglise dans la ville chrétienne de Maaloula , en Syrie. © Belga

« L’explosion démographique du christianisme fait peur »

Le Livre noir de la condition des chrétiens dans le monde (XO Editions), coordonné par le journaliste français Samuel Lieven, inaugure une lecture objective du phénomène.

Le Vif/L’Express : De 150 à 200 millions des 2,3 milliards de chrétiens que compte la planète ne vivent pas leur foi librement. Est-ce un effet de la mondialisation ?

Samuel Lieven : La mondialisation met directement en relation les religions et les cultures sans que, pour autant, l’autre soit connu. Cela peut créer des frictions, voire des violences. Le chrétien est spontanément associé à l’Occidental… Or le christianisme est implanté à 60 % dans des pays du Sud marqués par une grande instabilité. C’est le cas de l’Afrique sub-saharienne, du Proche-Orient, de l’Asie. Même minoritaire, il est perçu comme une menace. En Inde, les chrétiens ne représentent que 2 % de la population, soit un million de personnes, mais ils jouent très souvent un rôle constructif dans l’éducation et la santé, ce qui fait très peur aux nationalistes hindous, d’où les violences régulières à leur égard. Au Nigeria, ils sont près de la moitié de la population, au coude-à-coude avec l’islam, mais comme ils occupent plutôt la partie sud du pays où se concentrent les ressources énergétiques, il y a une course au contrôle de celles-ci. En Chine, la fourchette des chrétiens va de 30-40 millions à 100 millions. Un chiffre imprécis car un grand nombre de protestants évangéliques vivent leur foi dans la clandestinité. Le régime ne les contrôle pas. L’explosion démographique du christianisme fait peur, car il représente le pluralisme et, souvent, un idéal d’égalité et de citoyenneté qui contrevient à beaucoup d’intérêts locaux.

« L’islam radical est certainement le plus grand fabricant au monde de haine des chrétiens », écrit sans ambages le journaliste américain John Allen, correspondant de la chaîne CNN auprès du Vatican. Partagez-vous cet avis ?

Lorsqu’Andrea Riccardi, fondateur de la communauté sant’Egidio, avait travaillé, à la demande de Jean-Paul II, sur les persécutions anti-chrétiennes au XXe siècle, il avait placé l’URSS, l’Allemagne nazie et les régimes autoritaires sud-américains en tête du hit-parade. Mais, à la fin des années 1990, commençait déjà à poindre cette violence islamiste qui éclate aujourd’hui. Si l’on devait retirer cette menace-là, pour autant, les chrétiens ne seraient pas en paix. Le livre va plus loin que la théorie du « choc des civilisations » de Samuel Huntington. C’est un livre post-choc des civilisations. Ce n’est pas la civilisation chrétienne qui est mise en danger par la civilisation musulmane. C’est une civilisation mondiale fondée sur la démocratie, les droits de l’homme et la laïcité, à laquelle les chrétiens ont amplement contribué, qui est menacée notamment. Au Proche-Orient, par les islamistes. Ailleurs, par des potentats de tout poil. La Colombie est l’un des pays les plus catholiques au monde et c’est celui où le plus grand nombre de prêtres et de religieux meurent par balle chaque année.

N’est-ce pas un retour de manivelle, après des siècles de domination chrétienne ?

Sans dédouaner le chrétien de toutes ses responsabilités historiques, il faut observer qu’aujourd’hui, celui-ci refuse d’entrer dans une logique de conflit. Au Proche-Orient, par exemple, il est désarmé. Il n’a pas de territoire, il n’a pas de leader, il représente ce soupçon de pluralisme dont les islamistes ne veulent pas. Il est la clé de voûte d’une possible démocratie pluraliste. S’il se fait bouter dehors, c’est tout espoir de démocratie qui meurt avec lui.

L’intégralité de l’entretien dans Le Vif/L’Express de cette semaine. Avec :

  • Les stratégies que suggèrent les auteurs du Livre noir pour défendre les chrétiens persécutés
  • Faut-il poursuivre le dialogue islamo-chrétien ?
  • Le pouvoir de la prière

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