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L’attentat contre Charlie Hebdo signe-t-il le retour d’Al-Qaeda ?

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Un des enjeux de l’attaque de Paris est-il la rivalité entre le mouvement d’Aywan al-Zawahiri et l’Etat islamique qui a triomphé  » idéologiquement  » du premier ces derniers mois ? Et quelles conséquences cela peut-il avoir ? Tentative d’explication.

Faut-il voir dans l’attaque de Charlie Hebdo une résurgence d’Al-Qaeda dans le cadre d’une surenchère avec l’Etat islamique, devenu ces derniers mois le sinistre porte-flambeau du djihadisme contemporain ? Roland Jacquard, consultant sur les questions terroristes, a évoqué l’hypothèse mercredi dans l’émission de France 5 C dans l’air. Auteur de Al-Qaida en France et de L’Etat islamique (Seuil), Samuel Laurent décrypte les implications de l’appartenance des suspects à Al-Qaeda ou à l’Etat islamique.

L’attentat contre Charlie Hebdo porte la signature d’extrémistes islamistes. Qu’est-ce qui les inspirent ?

>Samuel Laurent : J’ai été très surpris qu’ils se réclament d’Al-Qaeda (NDLR : selon le témoignage de la caricaturiste Coco rapporté mercredi) parce que Al-Qaeda est sur le déclin. Je croyais que les cellules d’Al-Qaeda en France soit s’étaient ralliées à l’Etat islamique soit avaient périclité.

D’un autre côté, il faut rappeler qu’Abou Bakr al-Baghdadi, le chef de l’Etat islamique, a lancé, dès octobre 2014, une missive dans laquelle il appelait à tuer des Français. Des vidéos de propagande avaient été diffusées ; elles montraient trois Français brûlant leur passeport en disant : « Musulmans de France, venez chez nous. Et si vous ne pouvez pas venir, combattez les Français là vous les trouvez, comme vous le pouvez. Tapez-les avec un couteau, foncez sur eux avec votre voiture, empoisonnez leur eau…, mais faites quelque »…

Par rapport aux assassinats commis par Mohammed Merah à Toulouse et par Medhi Nemmouche à Bruxelles, que vous inspire cette escalade dans la violence terroriste et comment l’expliquer ?

Medhi Nemmouche était quelqu’un d’aguerri. Mohammed Merah beaucoup moins. Mais là on est dans un autre cas de figure. On s’attaque à un journal. On est extrêmement calmes. On agit en fonction d’un plan établi. Un nouveau seuil a été franchi. Et cela ne va aller qu’en s’amplifiant. On fait une erreur gravissime en France. Au nom du politiquement correct, on occulte tous les débats sur l’islam. Quand j’explique qu’il y a clairement une incompatibilité entre l’islam qui est en train de se redéfinir non comme religion mais comme système politique, judicaire… et les valeurs de la république française, je me fais automatiquement qualifié d’islamophobe, de fasciste, d’identitaire. Je ne suis ni l’un ni l’autre. Mais aujourd’hui, les politiques de tous bords refusent de s’attaquer à ce problème. On fait ainsi le jeu des deux radicalismes, le Front national d’un côté qui capitalise sur les peurs des citoyens français et les salafistes de l’autre qui devant des médias et des politiques très laxistes n’arrêtent pas de gagner du terrain et montent des opérations de plus en plus grande ampleur. J’espère que cette opération n’est pas le début d’une spirale de violences contre laquelle on ne se donne pas les moyens de répliquer.

Mais on peut le craindre ?

Oui, Parce qu’il n’y a pas la volonté politique de prendre des mesures fortes, d’entamer un débat peut-être douloureux mais salutaire et républicain. Il faut voir comment nos concitoyens musulmans peuvent cohabiter avec les laïcs et les autres religions au sein d’un système républicain qui fonctionnera pour tout le monde.

Au plan policier, peut-on prévenir ce genre d’attentats ?

Si on est dans une logique Al-Qaeda, les choses sont plus faciles à maîtriser parce qu’il y a des cellules, beaucoup plus sophistiquées qu’auparavant, mais que l’on peut neutraliser.

Si on est dans un scénario du style Etat islamique, on est entré dans une autre configuration. Pourquoi ? Parce qu’en théorie, Abou Bakr al-Baghdadi est le calife de tous les musulmans. Il y a 6 ou 7 conditions à remplir pour qu’un calife soit considéré comme tel. Or al-Baghdadi les remplit. Nonante-neuf pc de nos compatriotes, français ou belges, diront que ce sont des conneries. Mais dans la mesure où techniquement c’est pertinent, il va y avoir une infime fraction des musulmans qui vont adhérer à cette thèse parce que le coran ne la contredit pas. Des esprits faibles ou des extrémistes ultra-fanatiques vont se dire « Baghdadi, c’est mon calife ». Et quand le calife lance des appels à l’assassinat de Français comme il l’a fait en octobre, il y a, aux yeux de ces personnes, cet ordre revêt une légitimité. Cela explique la profusion des attentats. Or ce qui est inquiétant, c’est que cette allégeance se fait de façon personnelle ; elle peut se faire à partir de chez soi.

Ce qui rend la surveillance et la prévention beaucoup plus délicates ?

Si on est dans une configuration Al-Qaeda, c’est plus facile parce qu’on est sur un terrain que l’on connaît. Si on est dans une configuration Etat islamique, le problème est qu’il n’y a plus de profil-type.

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