Prizren, Kosovo et ses nombreuses mosquées © Getty Images/iStockphoto

Kosovo, la fabrique de djihadistes ?

Stagiaire Le Vif

Le Kosovo est considéré depuis quelques années comme le pays européen fournissant le plus de combattants à l’Etat Islamique par habitant. La raison principalement évoquée est l’arrivée d’imams wahhabites et d’investissements saoudiens après-guerre. Mais est-ce bien le seul facteur ? Enquête

A l’heure actuelle, ils sont 314 Kosovars à avoir rejoint les rangs de l’Etat Islamique depuis 2011. Pour ce petit pays de 1.79 million d’habitants, cela représente 17 combattants pour 100 000 habitants, ce qui fait du Kosovo le pays d’Europe avec le plus grand nombre de djihadistes par habitant.

En comparaison, 470 Belges seraient partis depuis 2011, pour 11.29 millions d’habitants, ce qui équivaut à 4 combattants pour 100 000 habitants.

Comment expliquer ces chiffres, dans un pays qui n’a eu de cesse de réaffirmer sa laïcité?

Le Kosovo est un cas assez singulier. Alors que 90% de sa population est de confession musulmane, l’Etat est laïc et le gouvernement met tout en oeuvre pour veiller au bon respect de cette laïcité. En 2011, le parlement kosovar est même allé jusqu’à confirmer l’interdiction de l’enseignement religieux, ainsi que celle du port du voile dans les écoles publiques.

De plus, les musulmans du Kosovo sont les tenants d’un islam traditionnel modéré, le hanafisme, la plus ancienne et la plus libérale des quatre écoles sunnites.

Des débuts compliqués

Le Kosovo en guerre
Le Kosovo en guerre© BELGAIMAGE

L’histoire du pays peut apporter quelques clés de compréhension. Le Kosovo sort profondément marqué par le conflit l’opposant à la Serbie de mars 1998 à juin 1999. De nombreuses villes sont en grande partie détruites, mais les bâtiments ayant le plus souffert sont ceux de la communauté musulmane, cible prioritaire de l’armée serbe durant la guerre.

Devant la destruction de plus de 200 lieux et symboles de leur religion, les imams kosovars ne pouvaient qu’accepter l’aide financière extérieure proposée pour reconstruire. Cette aide est venue en majorité d’autres pays musulmans, notamment d’Arabie Saoudite. Outre une aide financière, ils se sont aussi vus proposer une aide logistique et humaine.

Après la guerre, quelque 200 Kosovars ont décidé de profiter de bourses mises à leur disposition pour partir étudier l’Islam en Arabie Saoudite. De retour dans leur pays d’origine, ils ont proposé leur aide, afin de reconstruire, mais aussi afin d’organiser des cours de religion. Toute aide étant la bienvenue à l’époque, rares sont les imams à avoir refusé.

Une autre vision de la religion

Fidèles kosovars durant la prière du vendredi
Fidèles kosovars durant la prière du vendredi© BELGAIMAGE

Mais il n’a pas fallu longtemps pour que certains réalisent l’influence qu’avaient ces nouveaux imams sur leurs élèves. Ils faisaient preuve de prosélytisme et enseignaient l’islam de manière très rigoriste. Un changement perçu avec méfiance par les imams kosovars, héritiers d’une vision de la religion bien plus tolérante.

Au fil des années, ils sont de plus en plus nombreux à revenir au Kosovo, accompagnés de fonds saoudiens et de nouveaux principes religieux. Les nouvelles mosquées érigées – la plupart financées par l’Arabie Saoudite – deviennent plus que de simples lieux de prêche et de prière.

Des organisations caritatives saoudiennes y proposent des cours gratuits de religion, d’anglais ou encore d’informatique. Contre un salaire mensuel, des familles étaient invitées à assister aux sermons dans les nouvelles mosquées. Les hommes devaient alors porter la barbe et les femmes et les filles, le tchador, qui est une pièce de tissu en forme de demi-cercle qui masque à la fois les cheveux et la forme du corps. Si peu de kosovars se prêtent à ces changements, c’est malgré tout le début de l’implantation du wahhabisme au Kosovo.

Le wahhabisme est un mouvement conservateur de l’islam sunnite, notamment pratiqué en Arabie Saoudite, prêchant ce qu’il considère comme un retour de l’islam à sa forme « pure et originelle ».Les wahhabites sont très rigoureux dans leur pratique de l’Islam et punissent tout écart,comme l’absence à la prière, la consommation d’alcool ou de cigarettes, etc.

Le Kosovo Center for Security Studies (KCSS), a tenté d’analyser les raisons des départs des Kosovars. Son « rapport d’enquête sur les causes et les conséquences de l’engagement de citoyens du Kosovo comme combattants étrangers en Syrie et l’Irak » traite en partie de l’influence du wahhabisme et des financements saoudiens, et les considère comme l’une des raisons des départs.

Mais ce rapport tente surtout d’expliquer les autres raisons qui ont amené cette vague de départs pour la Syrie et l’Irak.

La religion, mais pas que

Certes, les mosquées sont nombreuses (on en compte environ 800), et on ne peut nier la présence grandissante d’imams formés dans le mouvement wahhabite. Mais les Kosovars ont une culture propre et souhaitent la garder. Pour eux, ces nouvelles mosquées construites partout dans le pays sont non traditionnelles et bien trop extravagantes.

Il est vrai que le Kosovo reste le pays européen avec le plus de combattants dans les rangs de l’EI. Mais il faut remettre ces statistiques dans leur contexte. Rares sont les pays européens avec un pourcentage aussi important de population musulmane (91.7%).

Si l’on compare ces chiffres avec ceux de la Tunisie, avec ses 3000 combattants en Syrie et en Irak, pour une population de 11.1 millions d’habitants, soit 27 combattants pour 100 000 habitants, les chiffres kosovars sont tout de suite moins impressionnants.

Et si, outre les financements saoudiens et l’enseignement du wahhabisme, on pouvait trouver la raison de ces départs en s’intéressant aux facteurs économiques et sociaux ?

Avec un taux de chômage avoisinant les 40% dans les années 2000 (on montait même jusqu’à 75% pour les jeunes de moins de 30 ans) et un salaire minimum qui équivalait à 120€ par mois, on peut comprendre le succès des sermons rémunérés.

Aujourd’hui la situation a très peu changé. Le chômage n’est que très peu descendu (27.6% en 2016 et à 55.3% pour les jeunes) et le salaire minimum est passé à 170€ par mois.

Population désabusée

Une jeunesse qui rêve d'ailleurs
Une jeunesse qui rêve d’ailleurs© Getty Images/iStockphoto

Le rapport insiste notamment sur le sentiment d’abandon qu’a ressenti la population après la guerre. Les institutions et les politiques n’ont pas tenté de garder un lien avec la population. Ce sont surtout les populations rurales qui se retrouvent négligées par les institutions locales et internationales. A la fin du conflit, le patriotisme et le sentiment d’unification se sont vite estompés, notamment face à la corruption des gouvernements.

Le pays a reçu la note de 33/100 par l’agence « Transparency International » en termes de corruption, avec comme valeur : 0 comme « très corrompu » et 100 comme « très transparent ». La population kosovare a perdu tout lien et toute confiance en son gouvernement, et se tourne ainsi de plus en plus vers ses institutions religieuses.

Ces dernières semblent plus crédibles, plus à l’écoute et « plus à même de comprendre les besoins et les préoccupations de la population » comme l’explique Natala DeLong-Bas, intellectuelle américaine qui a beaucoup écrit sur la question de l’Islam.

Dans un autre rapport  » Stratégie de prévention contre l’extrémisme violent et la radicalisation menant au terrorisme 2015-2020″ commandité par le Premier ministre du Kosovo, Isa Mustafa en 2015, une autre raison semble être l’état du système éducatif du pays. Le Kosovo est le pays européen qui investit le moins dans l’éducation et les sciences.

On remarque un fort taux d’abandon et d’échec scolaires, qui surviennent souvent très tôt dans le parcours scolaire, empêchant ainsi les jeunes de se sociabiliser et d’acquérir une base de connaissances. Parmi les données recueillies par le KCSS, on observe que 75% des Kosovars partis combattre ont une éducation équivalente à la première secondaire.

Skënder Perteshi, un chercheur au KCSS explique « L’éducation a été minée, cela a entraîné un manque de pensée critique chez les étudiants », dit-il. « Nous ne devons pas oublier que le Kosovo a la population la plus jeune en Europe et que cela comporte des responsabilités envers la population plus jeune. Les jeunes devraient se sentir importants et utiles à leur pays, ils devraient pouvoir canaliser leur énergie et leurs désirs « .

Il faudrait donc pouvoir occuper ces jeunes qui ne sont pas sur les bancs de l’école. Mais là encore, le gouvernement ne prend aucune initiative. Pourtant le Kosovo a reçu en héritage de l’état yougoslave socialiste une trentaine d’infrastructures culturelles (cinémas, théâtres, centres de jeunesse). Mais à l’heure actuelle, seul un cinéma (et demi) fonctionne normalement, ce qui équivaut à 1.1 cinéma pour 1 million d’habitants.

Pas de travail non plus, avec un taux de chômage chez les jeunes oscillant autour de 55-60%.

Nombreux sont les jeunes à se tourner alors vers la religion, souvent dès le plus jeune âge. Le rapport montre que parmi les 199 Kosovars partis dont on connaît l’âge, 46% sont nés entre 1985 et 1999. Ils ont donc entre 18 et 32 ans. Si les institutions et l’Etat ne s’intéressent pas à eux, alors ils ne s’y intéressent pas non plus. Le rapport fait état de 15% des 18-29 ans kosovars qui préfèrent se consacrer à la cause religieuse plutôt qu’à une cause nationale.

Profils parfaits pour l’EI

Lavdim Muhaxheri, leader des Kosovars en Syrie
Lavdim Muhaxheri, leader des Kosovars en Syrie© Capture écran site ISIS

Pour Vlado Azinoviv, professeur de sciences politiques à l’Université de Sarajevo, qui a énormément écrit et commenté sur les violences religieuses extrémistes en Bosnie et dans les Balkans, on ne peut réfuter le lien entre le contexte sociopolitique et la sécurité.

Il considère que « la pauvreté, le taux de chômage, la discrimination effrénée, la légitimité douteuse du gouvernement et l’influence de groupes extrémistes violents créent un environnement idéal pour permettre une radicalisation religieuse ».

Une population jeune, pauvre, peu éduquée, sans expérience, et avec très peu de connaissances de l’islam est la cible parfaite pour les recruteurs de l’EI. Ces derniers assurent aux futurs combattants une autre vie, avec une sécurité financière, du confort, des femmes et une liberté totale.

Mais contrairement à ce qu’on peut penser, l’argent n’a que très peu d’attrait pour ces jeunes. Le rapport de 2015 explique qu’il s’agit plutôt « d’un désir de faire quelque chose d’important et qui ait du sens. »

De plus, la vision de l’islam véhiculée par ces extrémistes, l’idéologie Takfir, n’est pas considérée comme contraignante. Il leur est possible de boire de l’alcool, de fumer, d’attaquer, de voler, de mentir, d’intimider, ou d’user d’autres méthodes qui sont condamnés par l’ensemble de la communauté musulmane modérée.

Cela permet à des personnes ayant un passé criminel (comme 40% des combattants kosovars) de continuer le même mode de vie, tout en s’assurant le pardon de Dieu.

Le takfirisme leur offre le confort de ce qu’ils croient être une « voie rapide vers l’islam », et donc un moyen rapide vers la rédemption, au lieu de devoir opérer les changements associés à la pratique de l’Islam.

Ajoutez à cela un sentiment d’enclavement politique et géographique, dans une Union européenne dont cinq des membres (Espagne, Grèce, Chypre, Slovaquie, et la Roumanie) ne reconnaissent pas encore l’indépendance de ce pays.

Les Kosovars sont en effet les seuls Européens à ne pas pouvoir se mouvoir en toute liberté à travers le monde. Seuls cinq pays leur sont accessibles sans visa : l’Albanie, la Macédoine, le Monténégro, la Turquie et Haïti. Pour le reste du monde et de l’Europe, il faut obtenir un visa selon les procédures les plus lourdes de la région.

Les politiques kosovars réclament une exemption de visa à l’Europe, car il est « injuste de laisser le Kosovo isolé du reste de l’Europe » comme le rappelle Skender Hyseni, le ministre de l’Intérieur kosovar.

Dans le plus jeune pays d’Europe, tous les ingrédients, qu’ils soient socio-économiques ou religieux, semblent être réunis pour fournir aux jeunes une raison de quitter le pays, quel que soit le moyen, quitte à partir se battre pour une idéologie qui n’est pas la leur.

Eléonore Loisel

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