Joseph Vacher, premier serial killer français et vagabond

Cet homme d’une extrême violence fut sans doute le premier serial killer français. Son histoire connut un énorme retentissement à la fin du XIXe siècle et inspira bien plus tard le réalisateur Bertrand Tavernier.

Il marche, Joseph Vacher. Il marche du matin au soir, errant dans les campagnes, sans but ni raison. Il dort dans des granges, dans les bois ou au creux d’un fossé. En trois ans, il a traversé le pays, des Vosges à la Méditerranée. Personne ne l’attend jamais nulle part. Alors il marche. Et il tue.

Sa vie de vagabond – dans la France de 1890, on ne parle pas encore de  » routard » -, Joseph Vacher la porte sur son visage. Séquelle d’une tentative de suicide par balle, une paralysie faciale a figé ses traits en un rictus effrayant : bouche tordue, regard injecté de sang. Il souffre également d’une infection de l’oreille droite qui, selon le journal Le Petit Parisien, « purule en permanence et dégage une odeur nauséabonde ». Sa barbe de cosaque n’adoucit pas le portrait.

Guillotiné en 1898, à l’âge de 29 ans, pour avoir perpétré 12 meurtres, Joseph Vacher n’est pas seulement le premier serial killer français, l’ancêtre de Francis Heaulme ou de Patrice Alègre. Son physique animal, l’extrême cruauté de ses crimes, où les victimes sont éviscérées avant d’être violées, composent chez lui la figure mythologique du « monstre ». Il faudra tout le talent d’acteur de Michel Galabru pour lui rendre un soupçon d’humanité dans le film de Bertrand Tavernier Le Juge et l’assassin (1976).

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Le juge, c’est Emile Fourquet, magistrat instructeur au tribunal de Belley (Ain). A une époque où l’information ne circule pas encore sur Twitter, il parvient à établir le lien entre plusieurs agressions de bergères commises dans des départements parfois distants de 600 kilomètres. Son bureau est rempli de tableaux gigantesques qu’il noircit d’informations sur celui que la presse surnomme « l’étrangleur du Sud-Est ». Ce travail de bénédictin lui vaut d’être considéré comme le pionnier d’une technique d’investigation qui fera florès : le profilage.

Ses frères et soeurs, premières victimes de sa démence

En cette fin du XIXe siècle, la vie est rude dans les campagnes. Chez les Vacher plus qu’ailleurs. Le jeune Joseph grandit dans une famille de cultivateurs de l’Isère, écartelé entre un père violent et une mère dévote, en proie à des hallucinations. Ses 15 frères et s£urs sont les premières victimes de ses accès de démence durant lesquels il brise tous les objets à sa portée et frappe quiconque se met en travers de son chemin. Quand il revient à la raison, son passe-temps favori consiste à mutiler les animaux.

A 14 ans, il travaille déjà. Chez les frères maristes de Saint- Genis-Laval (Rhône) qui, en échange, s’essaient à l’éduquer. Sans grand succès. L’adolescent taillé comme un homme est finalement chassé de la congrégation pour  » indiscipline et immoralité » : il masturbait ses camarades.

Portrait de Joseph Vacher
Portrait de Joseph Vacher© Bibliothèque de la Ville de Lyon

Vacher ne possède rien, que son baluchon et ses instincts. A 17 ans, il multiplie les emplois saisonniers dans la région de Beaufort (Savoie), laissant derrière lui plusieurs morts suspectes. Un enfant de 10 ans, prénommé Joseph comme lui, violé et tué dans une grange, une femme de 35 ans décapitée près de la ferme où il travailleà Mais il marche déjà plus vite que la justice. On le retrouve à Grenoble, serveur dans une brasserie, puis sur le billard d’un chirurgien qui lui ôte un testicule, suite à une maladie vénérienne.

Dans cette vie de misère, sa convocation sous les drapeaux apparaît presque comme un cadeau du ciel. Vacher est affecté au 60e régiment d’infanterie de Besançon (Doubs). Son sens du devoir, son caractère trempé lui valent de passer caporal puis sergent. L’uniforme le galvanise. Trop, parfois. Quand il n’impose pas la discipline à coups de poing, il s’arrache les cheveux et les poils des bras pour montrer combien il est insensible à la douleur. La nuit, ses hurlements d’outre-tombe terrorisent ses camarades. « Je l’ai entendu crier comme jamais je n’ai entendu un homme crier », témoignera l’adjudant Griffoult, son chef d’unité.

Vacher atterrit au dispensaire voisin de Baume-les-Dames pour y soigner son délire de persécution. Son c£ur s’emballe pour une jeune domestique du nom de Louise Barrand, qui, dans cette histoire, rendra très vite son tablier. L’amoureux éconduit se tire trois balles de revolver. Il en réchappe, mais son visage est à moitié mort. Lui aussi.

La bergère est mutilée, un sein tranché, avant d’être violée

La suite, c’est Vacher lui-même qui finira par la raconter, trois ans plus tard, dans le bureau du juge Fourquet. Interné à Dole (Jura), il ressort de l’asile au bout de six mois, « sain de corps et d’esprit », selon la faculté. Le premier des 12 meurtres qu’il reconnaît, même si on lui en impute près d’une trentaine, est celui d’Eugénie Delomme, 21 ans, le 19 mai 1894, à Beaurepaire (Isère). La bergère est mutilée, un sein tranché, avant d’être violée. Vacher, qui s’attaque indifféremment aux hommes et aux femmes, va tuer, encore, au moins, 11 fois. En Côte-d’Or. En Ardèche. En Savoie. En Isère. Dans le Var. « Il y a des moments où je n’étais pas maître de moi et où je courais à travers le monde, droit devant moi, me guidant sur le soleil, et ne sachant où j’ai erré », expliquera-t-il, en guise d’épitaphe.

Responsable ou dément ? Le débat a fait rage

Son face-à-face avec le juge Fourquet va durer plus d’un an. Vacher cherche à se faire passer pour fou, ce qui n’est pas insurmontable. Il prétend avoir été mordu par un chien enragé, dans son enfance. Les plus grands psychiatres de l’époque se relaient à son chevet, délivrant des avis contradictoires dans ce qui apparaît, aujourd’hui, comme le premier débat de l’ère judiciaire sur la responsabilité pénale d’un tueur psychotique. Un débat que le juge tranche à sa façon, en écartant systématiquement les rapports concluant à la démence.

Finalement, Vacher passe aux aveux le 3 octobre 1898, après une violente prise de bec avec Fourquet. En échange de ses confessions, il obtient une tribune dans Le Petit Parisien : « A la France. Tant pis pour vous si vous me croyez responsable. Votre seule manière d’agir me fait prendre pitié de vousà » Lors du procès qui l’expédie à l’échafaud, il se présente avec une pancarte autour du cou. Il y est écrit : « J’ai deux balles dans la tête. » Puis il se met à chanter : « Gloire à Jésus ! Gloire à Jeanne d’Arc ! » Le jury dépourvu d’humour ne lui accordera aucune circonstance atténuante.

Grands criminels de l'Histoire, de Jacques Expert, 2012
Grands criminels de l’Histoire, de Jacques Expert, 2012© SDP

Un portrait tiré du livre de Jacques Expert, Grands criminels de l’Histoire.

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