© Philippe Van Roey

Jean Bofane : « Les gorilles ont plus de chance que nous les Congolais »

Le Vif

Le récent accord de préservation du parc des Virunga de l’exploitation pétrolière inspire à l’écrivain congolais une réflexion désabusée. « Mieux vaut être sous la protection du WWF que sous celle de l’ONU ».

Sa voix, profonde comme un abysse, en libre plongée dans les graves, balance des mots qui swinguent et fusent sur ce qui « ne tourne pas rond » dans son Congo natal. Né à Mbandaka, dans la province de l’Équateur, In Koli Jean Bofane est devenu écrivain sur le tard, après une carrière de publicitaire et d’éditeur casse-cou dans le Zaïre du satrape Mobutu. Depuis, Bofane dépeint son pays, qu’il a quitté pour la Belgique après les pillages de 1993, et, surtout, les hommes qui le modèlent, le malmènent ou y survivent. Extraits de l’interview qu’il accorde cette semaine au Vif/L’Express, dans laquelle il évoque la trame de son dernier roman Congo Inc. (éd. Actes Sud), épopée hautement politique d’un jeune pygmée débarqué à Kinshasa pour devenir un « mondialiste ».

Le vif.be : Vous écrivez que le Congo est un concept. Que voulez-vous dire par là ?

In Koli Jean Bofane : C’est une forme d’algorithme, qui s’appelle Congo Inc., qu’on met en marche pour accomplir les grands desseins du monde. C’était le caoutchouc à l’ère industrielle, qui a permis de faire une guerre mondiale sur des pneus et pas à cheval. L’uranium pour clôturer la guerre 40-45, ou ces milliers de germes de cuivre, dans les cartouches vomies par des mitrailleuses durant la guerre au Vietnam. Le Congo, c’est l’algorithme primordial. Il sert à tout et a permis de faire du monde ce qu’il est aujourd’hui. Mais il y a eu ces flots de morts, depuis le génocide, l’arrivée d’un million de Hutus et le franchissement de la frontière par les militaires de Paul Kagame et son intérêt pour les ressources naturelles du Congo. Récemment, le WWF a obtenu une victoire en empêchant la société pétrolière Soco de creuser dans le parc des Virunga. Les gorilles ont plus de chance que nous. Il vaut mieux être sous la protection du WWF que celle de l’ONU qui n’a pas pu empêcher les millions de victimes.

Vos livres n’épargnent pas le monde politique congolais. Vous n’avez jamais subi un retour de flamme ?

Quand ils ont lu Mathématiques congolaises, ils ont tous dit que c’était le régime précédent que j’évoquais. Et ceux du régime précédent ont dit que c’était du régime qui leur avait succédé que je parlais. Avec Congo Inc., je ne crois pas qu’ils pourront se voiler la face. Certaines personnes m’ont dit que c’était dangereux d’écrire mais je suis toujours vivant (éclat de rire). Pour un Congolais, le danger fait partie de la vie. J’ai fait de l’édition sous Mobutu et je connaissais les risques. Floribert Chebeya, le défenseur des droits de l’homme assassiné, savait que son travail était risqué. La règle du jeu est dure. D’ailleurs, Thomas Sankara (NDLR : président charismatique et révolutionnaire du Burkina Faso de 1983 à 1987) appelait son épouse « ma douce veuve ». Quoi qu’il fasse, il savait aussi qu’il allait mourir.

Entretien : Q.N. Lire l’intégralité de l’interview de In Koli Jean Bofane dans Le Vif/L’Express de cette semaine.

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