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Israël : qui aide les colons?

Les implantations juives bénéficient d’un financement accru, en Israël mais aussi à l’étranger.

DE NOTRE CORRESPONDANTE VÉRONIQUE CHOCRON La petite colonie juive de Karnei Shomron, cernée d’une clôture barbelée, est posée dans un paysage aride de roches et d’oliviers, en Cisjordanie. Ici, de jolies maisons à l’américaine, entourées de vertes pelouses, longent des allées bordées d’arbres. Sondra Baras, petite femme replète et dynamique, originaire de Cleveland, aux Etats-Unis, y a installé le siège de son ONG, Christian Friends of Israeli Communities (Amis chrétiens des communautés d’Israël).

Ce matin, coiffée de la traditionnelle casquette prisée par les femmes juives religieuses et nationalistes, elle trie les chèques éparpillés sur son bureau. « Le gouvernement israélien ne peut pas couvrir tous nos besoins, explique-t-elle. Alors nous proposons à des chrétiens évangéliques de financer des projets sociaux ou humanitaires en Judée-Samarie [terme utilisé par les colons pour désigner la Cisjordanie] : école, aire de jeux, bâtiment pour l’accueil d’enfants handicapés… » Ces bienfaiteurs seraient toujours plus nombreux, aux Etats-Unis, mais aussi au Royaume-Uni, en Allemagne et aux Pays-Bas. Et plus organisés. « Depuis une dizaine d’années, beaucoup de voyagistes spécialisés dans les pè-lerinages nous connaissent, précise Sondra Baras. Ils proposent aux touristes de passer un ou deux jours en Judée-Samarie, afin de visiter les sites bibliques et de rencontrer les communautés juives qui y vivent. Après, si les visiteurs sont convaincus, ils peuvent faire des dons. » Energique avocate de la colonisation, elle revendique « plusieurs milliers de donateurs », qui débourseraient chaque année « entre 1 et 2 millions de dollars ». Une goutte d’eau, au regard du coût de l’implantation et de l’entretien des colonies de Cisjordanie. « La principale source de financement des colonies, et de très loin, c’est l’Etat israélien, rappelle le sociologue Shlomo Swirski, de l’institut d’analyse des politiques publiques Adva. Tandis que l’armée assure la protection des colons, Israël finance les infrastructures des implantations et les plans de construction. Et les budgets des municipalités y bénéficient de transferts plus généreux. » Selon Adva, entre 2001 et 2010, le gouvernement israélien aurait couvert en moyenne 60 % des budgets d’investissement dans les colonies, pour 29 % de ces budgets dans les villes situées ailleurs.

« Dans les années 1980, quand on a développé la Judée-Samarie, en construisant de nouvelles implantations, l’Etat a multiplié les investissements lourds, les exemptions de taxes et les subventions, afin d’encourager les familles israéliennes à s’y installer, reconnaît Dani Dayan, président de Yesha, principale organisation de colons. Mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. » Reste qu’en pleine campagne électorale, avant le scrutin législatif du 22 janvier, le gouvernement de Benyamin Netanyahou a encore donné un coup d’accélérateur à l’élargissement des colonies en Cisjordanie et à Jérusalem. Et relancé le projet d’un nouveau quartier de colonisation dans la Ville sainte, en lieu et place de champs d’oliviers, à la lisière de Bethléem.

Coûteuse Cisjordanie, coûteuses colonies

Tout au long de l’été 2011, la classe moyenne et les jeunes Israéliens sont descendus dans la rue pour protester contre la vie chère. Parmi eux, certains ont pointé du doigt le fardeau financier que représentent l’occupation en Cisjordanie et les colonies. « Pour autant, il est très difficile de connaître leur coût réel, car ces dépenses ne font pas l’objet d’une ligne particulière dans le budget, note Hagit Ofran, directrice de l’observatoire des implantations de l’ONG la Paix maintenant. Selon nos sources, Israël a déclaré à son partenaire américain transférer environ 250 millions de dollars (190 millions d’euros) par an aux colonies. Mais ce chiffre me paraît sous-estimé. » Selon l’organisation, les investissements bruts dans les bâtiments publics des colonies de Cisjordanie en 2009 ont représenté 15 % du total des investissements publics dans le secteur de la construction, alors que les colons de Cisjordanie représentent 4 % de la population israélienne. Plus anecdotique mais révélateur, la Paix maintenant révèle que le prix payé par la compagnie d’électricité israélienne IEC pour racheter aux particuliers le kilowattheure dégagé par les panneaux solaires n’a pas la même valeur : 1,61 shekel (0,30 euro) en Israël, pour 2,04 shekels (0,40 euro) dans les colonies.

Petite kippa crochetée, les tsitsit (franges) des juifs pieux dépassant de son blouson, Arieh King, la quarantaine, est un homme clef de la colonisation de Jérusalem-Est, la partie arabe de la Ville sainte, annexée par Israël en 1967. Il n’a qu’un but : renforcer la présence juive dans ce secteur de la ville. « Je suis un courtier sioniste, résume-t-il. Je veux que chaque juif dans le monde possède un morceau de terre à Jérusalem. » Avec son organisation, Israel Land Fund (Fonds de la terre d’Israël), il achète des terrains aux endroits « stratégiques, près de la Vieille Ville ou sur le mont des Oliviers », pour le compte d’acquéreurs juifs, militants d’une Jérusalem à jamais indivisible. « Il faut savoir que si un Arabe de Jérusalem veut céder sa terre à un juif, il risque de se faire tuer immédiatement, souligne Arieh King. D’où l’intérêt de mon organisation : nous recherchons des Palestiniens qui veulent vendre, et nous utilisons la plupart du temps des hommes de paille, arabes, venus d’Europe ou des Etats-Unis, qui acceptent d’acheter pour nous, contre une commission de 5 à 7 %. » En 2011, Israel Land Fund a acquis et revendu plus de 40 propriétés, à Jérusalem-Est, mais aussi en Cisjordanie et dans les quartiers arabes des villes du nord d’Israël, à Acre (Saint-Jean-d’Acre) ou en Galilée. Le groupe travaille avec plus d’une centaine d’investisseurs israéliens et étrangers, majoritairement américains, mais reste très discret quant à leur identité. A peine Arieh King reconnaît-il du bout des lèvres être « en relation avec Irving Moskowitz », un Américain de confession juive à la tête d’une fortune colossale construite dans le business des cliniques et des casinos. Le milliardaire, âgé de 85 ans, entend « judaïser » l’est de la Ville sainte, à majorité arabe, en y achetant des maisons (la plus célèbre étant l’hôtel Shepherd, ex-propriété emblématique du grand mufti de Jérusalem Hadj Amin al-Husseini, qui se compromit dans une alliance avec les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale). Moskowitz distribue par ailleurs chaque année des millions de dollars, par l’intermédiaire de sa fondation et celle de son épouse, à de nombreuses organisations israéliennes pro-colonies.

A en croire le New York Times, des dons représentant plus de 200 millions de dollars (150 millions d’euros déduits des impôts) ont été versés outre-Atlantique, entre 2000 et 2010, pour les colonies juives en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Ces fonds ont permis de financer la construction d’écoles et de synagogues, mais aussi l’acquisition de logements, de chiens de garde, de gilets pare-balles ou de véhicules pour sécuriser les colonies… alors même que l’administration américaine dénonce sévèrement la colonisation, considérée comme un obstacle à la relance du processus de paix israélo-palestinien.

Netanyahou : avec qui gouverner ?

Malgré l’énorme vague de contestation sociale de l’été 2011, qui a ébranlé le pays, la victoire du camp de Benyamin Netanyahou ne fait guère de doute aux élections législatives anticipées du 22 janvier. Un mystère subsiste, toutefois, quant à sa future coalition. Selon les résultats, le Premier ministre pourrait former une alliance avec les partis ultra-orthodoxes et le Foyer juif, un mouvement nationaliste religieux, à moins qu’il ne préfère se tourner vers les partis centristes. Ceux-ci exigeraient, le cas échéant, une reprise des négociations avec les Palestiniens.

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