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Israël – Iran : La guerre a-t-elle déjà commencé ?

Israël et l’Iran s’accusent mutuellement d’attaques terroristes. Et les menaces de frappes militaires israéliennes contre Téhéran, qui continue d’avancer dans son programme d’enrichissement d’uranium, se font chaque jour plus pressantes. L’analyse de Mohammad-Reza Djalili, spécialiste du Moyen-Orient.

L’arrestation mardi à Bangkok de deux Iraniens suspectés d’être impliqués dans une série d’explosions attribuées par Israël à Téhéran et les attentats qui ont visé lundi le personnel des ambassades d’Israël à New Delhi et Tbilissi se produisent en pleine montée des tensions entre les deux pays. Téhéran a rejeté ces accusations et a, à son tour, accusé Israël d’être derrière les assassinats de plusieurs scientifiques iraniens. Mohammad-Reza Djalili, politologue, spécialiste du Moyen-Orient, analyse pour leVif.be les enjeux de cette crise, alors que se multiplient les menaces israéliennes d’attaquer l’Iran.

Comment expliquer la récente montée des tensions entre l’Iran et Israël?

D’une certaine manière, la guerre Israël-Iran a déjà commencé. C’est une guerre de l’ombre qui se déroule de deux manières: via lescyberattaques destinées à retarder le développement du programme nucléaire iranien et par les attentats croisés contre les scientifiques iraniens et contre les diplomates israéliens. Les Israéliens ont l’impression que les Iraniens se rapprochent de la dernière ligne droite avant la possession de l’arme atomique – tandis que les Américains estiment qu’il reste du temps avant que l’on arrive à ce stade. La tension vis-à-vis de Téhéran n’est pas nouvelle et a toujours été un leitmotiv d’une partie de la classe politique israélienne. L’universitaire israélien Haggai Ram avait, en 2009, décrit cette obsession de la droite israélienne face à l’Iran dans Iranophobia: The Cultural Logics of an Israeli Obsession. La question iranienne, expliquait-il, est un exutoire pour obtenir le soutien de l’opinion israélienne, en brandissant en permanence l’idée d’un danger existentiel. Elle permet en outre de faire diversion alors que la question palestinienne est totalement bloquée.

Quel danger représente un Iran nucléarisé?
Je pense personnellement que l’Iran n’est pas à quelques semaines de la mise au point d’une bombe, même si la République islamique avance peu à peu dans cette direction. Son intention n’est d’ailleurs sans doute pas tant de posséder l’arme nucléaire que d’arriver au « seuil nucléaire », c’est-à-dire de détenir toutes les composantes d’une arme, sans nécessairement aller jusqu’à la produire ou l’assembler. Et même si le régime iranien avait la bombe, je ne crois pas qu’il l’utiliserait contre Israël. Il aurait beaucoup trop à y perdre. D’ailleurs, il lui serait impossible de bombarder Israël sans que cela touche la population palestinienne. Le régime des mollahs est certainement agressif, mais il n’est pas suicidaire. Il en a fait la preuve à plusieurs reprises en reculant sous la pression extérieure: en 1988, quand Téhéran, après huit années d’une guerre dévastatrice contre l’Irak, avait déclaré un cessez-le-feu (une décision pire que d' »avaler une coupe de poison », selon les termes de l’ayatolllah Khomeiny); mais aussi en 2003 quand la République islamique avait suspendu son programme nucléaire après l’invasion américaine de l’Irak.
Le danger que représente le nucléaire iranien tient plus au risque que les pays voisins ne soient tentés à leur tour de s’en doter, ce qui augmenterait les risques de dérapage dans une région si sensible.

Quels risques prendrait Israël en attaquant l’Iran?

Une attaque serait certainement coûteuse pour Israël et bien loin d’un simple « aller-retour » de quelques bombardiers israéliens comme lors de l’offensive menée contre le réacteur irakien d’Osirak en 1981. Il s’agissait alors d’un site unique, contrairement à la configuration actuelle en Iran. Il est évident que l’Iran chercherait à utiliser toutes les cartouches à sa disposition pour se défendre (obstruction du détroit d’Hormuz, éventuelles opérations militaires de ses alliés du Hamas ou du Hezbollah…) et que cela entraînerait une grave crise régionale. En outre, une attaque israélienne contre l’Iran constituerait un désastre pour l’opposition iranienne, et en revanche le meilleur service à rendre à la République islamique. Une telle attaque renforcerait la légitimité de la poursuite du programme nucléaire en démontrant que le régime, qui n’est protégé par aucune alliance militaire régionale, a besoin d’outils de dissuasion. Et surtout, elle prolongerait la vie d’un régime actuellement fragilisé à la fois sur le plan économique et diplomatique.

Les Américains sont-ils sur la même ligne qu’Israël face à l’Iran ?

Les Américains ne souhaitent pas se laisser embourber dans une nouvelle aventure militaire dans la région alors qu’ils viennent de quitter l’Irak et d’annoncer leur retrait d’Afghanistan. Si Israël les entraînait contre leur gré dans une telle escalade, Washington en ressortirait affaibli. La Maison blanche ne cesse d’envoyer des signaux à Tel Aviv indiquant sa volonté de ne pas se lancer dans une telle intervention, et ce, en dépit de la surenchère des Républicains dans le cadre de la campagne électorale.
Les sanctions peuvent-elle permettre d’éviter une attaque militaire?
Tout ce qui peut empêcher une guerre est une bonne chose. Bien sûr, les sanctions ne sont pas l’arme absolue et elles ont des effets négatifs pour la population. Mais, s’ajoutant aux effets de la mauvaise gestion de l’économie par le régime, elles commencent réellement à avoir des effets et pourraient amener le régime à infléchir sa position.

Les crises syrienne et iranienne sont-elles liées ?

La République islamique est effectivement inquiète de la situation en Syrie. Si le régime syrien venait à s’effondrer, cela constituerait l’échec de 32 ans de politique étrangère iranienne. La Syrie est l’un des principaux alliés de l’Iran, et la montée en puissance du Hezbollah au Liban grâce au soutien de ses deux parrains que sont Damas et Téhéran est le seul exercice réussi d’exportation de la révolution islamique. La chute du régime affaiblirait certainement le mouvement chiite libanais.

Va-ton vers une « guerre de religion » entre un « arc chiite » formé autour de l’Iran, l’Irak, la Syrie et le Hezbollah, face à un bloc sunnite rassemblé autour de l’Arabie saoudite?

Non. Il y a bien un raidissement entre l’Iran et l’Arabie saoudite, surtout depuis la crise de Bahreïn où Ryad a soutenu la petite monarchie en proie à la contestation de la part de la minorité chiite. Téhéran a dénoncé l’intervention saoudienne qui a contribué à mater la contestation. Les deux pays sont aussi opposés sur leur politique envers la Syrie et l’Irak. Mais il ne faut pas exagérer: on ne peut pas parler d’axe chiite soudé. Les alaouites sont certes un mouvement issu du chiisme, mais il en est tellement éloigné sur le plan religieux qu’on peut difficilement les associer. Cet « arc chiite » est une alliance beaucoup plus politique que religieuse qui unit des pays du « front du refus » face à Israël et aux pays occidentaux.

Propos recueillis par Adèle Moreno, L’Express

Nucléaire: avancées majeures

L’Iran a annoncé ce mercredi de nouvelles avancées dans son programme nucléaire avec la mise au point de centrifugeuses plus performantes et la production de combustible enrichi à 20%, tout en se disant prêt à reprendre les négociations avec les grandes puissances. La télévision iranienne a diffusé en direct les images de l’introduction d’une barre de combustible nucléaire à 20% « fabriqué localement », dans le coeur du réacteur de recherche de Téhéran. Le président Mahmoud Ahmadinejad a annoncé par ailleurs que 3000 nouvelles centrifugeuses avaient été mises en activité sur son site d’enrichissement de Natanz.

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