Cela fait des mois que les manifestants prodémocratie ont évacué la rue à Hong Kong. Mais la bataille s’est déplacée sur le terrain de l’éducation et des étudiants comme des professeurs jugent que les libertés académiques sont menacées.
Nombreux sont ceux qui craignent un retour de bâton alors que les manifestations massives en faveur de la démocratie de l’automne 2014 n’ont pas fait bouger Pékin d’un iota. Les manifestants dénonçaient la volonté de la Chine d’adouber deux ou trois candidats pour l’élection en 2017 du chef du gouvernement de l’ancienne colonie britannique, revenue dans le giron chinois en 1997.
Aujourd’hui, l’éducation est menacée selon des enseignants, avec de plus en plus d’autocensure de la part de ceux qui ont peur de perdre leur emploi. « Les profs sont en alerte », dit une enseignante du secondaire de 28 ans, qui se présente sous le nom de Siu Siu. « Si un sujet est sensible, on va réfléchir à deux fois avant de l’aborder ». Pendant le « mouvement des parapluies », le ministère hongkongais de l’Education avait mis en garde les professeurs contre toute participation. Un numéro de téléphone était à disposition des pro-Pékin désireux de dénoncer les enseignants et les élèves descendus dans la rue. La paranoïa règne depuis, dit Siu Siu. « Nous ne savons pas si certains profs ont été mis sur liste noire ». Or il y a des précédents. Des dizaines de milliers de personnes avaient manifesté en 2012 contre l’introduction à l’école d’un cours « d’éducation patriotique ». Le projet avait avorté mais certains craignent que les autorités ne reviennent à la charge. L’ancienne conseillère d’éducation Hui Lai-ming raconte qu’on lui a demandé de démissionner pour avoir participé aux manifestations.
Elle avait été filmée par la télévision devant le Parlement local, où tentaient d’entrer par la force des manifestants. Elle nie avoir participé à cette tentative d’effraction et relève qu’elle n’a jamais fait l’objet de poursuites judiciaires, contrairement à nombre de protestataires. « En novembre, la proviseure m’a dit que le Bureau de liaison (la représentation chinoise à Hong Kong) avait demandé au conseil d’administration de l’école (…) de me faire partir », raconte Mme Hui à l’AFP.
Nominations politiques
Elle a été avertie que son contrat ne serait pas renouvelé. « A Hong Kong, le système scolaire est toujours étroitement lié au système politique. On peut parler de choses positives pour le gouvernement, mais pas des choses négatives », dit-elle. La proviseure Fung Shui-lan s’est refusée à commenter ces déclarations. Joshua Wong, l’étudiant de 18 ans devenu le visage du mouvement, est également inquiet: « Les écoles peuvent soumettre les profs et les élèves partisans du suffrage universel à d’énormes pressions. » Le conseil d’administration de l’Université de Hong Kong vient de rejeter la nomination du professeur de droit prodémocratie Johannes Chan au poste de vice-recteur.
Une partie de ce conseil est nommé par le chef du gouvernement Leung Chun-Ying accusé par ses détracteurs d’être la marionnette de Pékin. Alors que sa nomination tardait, un millier d’universitaires avaient écrit au gouvernement pour dénoncer « un signe inquiétant d’intervention politique ». « C’est un avertissement pour tous les universitaires de Hong Kong: s’ils veulent la démocratie ou l’Etat de droit, même sans être extrémistes, ils risquent des sanctions », commente l’universitaire Dixon Sing. Le ministère assure que la liberté d’enseigner est inscrite dans la Constitution et représente une « valeur sociale importante, chérie à Hong Kong ». Les avertissements adressés aux professeurs n’étaient que des « rappels amicaux » pour qu’ils dissuadent les élèves de participer aux manifestations. Hong Kong, qui jouit de libertés inconnues sur le continent, est divisée sur son avenir, entre ceux qui veulent un suffrage universel véritable et ceux qui sont fidèles à Pékin. Il est naturel que ces tensions se retrouvent dans l’enseignement, souligne Sonny Lo, professeur de sciences sociales à l’Institut pour l’Education de Hong Kong. L’affaire de la nomination « reflète la politisation et la polarisation de Hong Kong ces dernières années ». La situation ne devrait pas changer de sitôt. « Le gouvernement a toujours essayé d’imprimer sa marque sur l’enseignement mais c’est difficile à cause de la résistance des personnels », estime le politologue Ma Ngok. « Je pense que c’est parce que Hong Kong n’a jamais été une démocratie ».