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God Save l’uniforme!

En avoir ou pas ? Outre-Manche, à chaque rentrée scolaire, défenseurs et adversaires de cette tradition « so british » affûtent leurs arguments. Les premiers résistent, au nom de l’étiquette et de la discipline. Mais ceux qui l’assimilent à un carcan ringard montent au front.

Ashton et ses copines peuvent bien raconter ce qu’elles veulent : il y a des matins où l’on enfilerait volontiers le pantalon de flanelle. C’est jour de rentrée au collège lycée St. Alban’s et il souffle un vent à décourager les curieux de mettre le mollet dehors. Aucun d’ailleurs ne traîne aux abords de l’établissement public et catholique posé sur les hauteurs verdoyantes d’Ipswich, ville moyenne située à l’est de Londres. Il y a un an, St. Alban’s s’invitait pourtant dans l’actualité en rejoignant le club de moins en moins fermé des établissements interdisant le port de la jupe à ses élèves. « Trousers only ! » dictait aux jeunes filles Dennis McGarry, le proviseur de l’école. La mesure visait à inciter celles-ci à se concentrer davantage sur leurs copies que sur la longueur – de plus en plus indiscrète – de leur ourlet. Résultat, filles et garçons n’avaient causé que de cela, se précipitant sur Facebook pour y livrer leurs états d’âme et lancer, avec succès, une pétition en guise de protestation. Ashton et ses amies comptaient parmi les signataires, bien sûr…

Un an après, les voici, bravant la pluie pour quelques ultimes minutes de liberté avant l’appel… et parées d’une tenue en tout point « comme il faut ». La chemise blanche reste sagement glissée à l’intérieur du pantalon, l’écusson prolonge le noeud de la cravate dans un alignement parfait, les chaussures sont sombres et les talons aussi plats qu’un moral de rentrée. « C’est nul, mais on n’a pas le choix », se résigne Ashton, 15 ans, dont les quatre boucles d’oreille n’échapperont sans doute pas à l’examen au laser de son professeur principal, tout à l’heure. « Notre tenue était déjà moche ; maintenant, c’est pire. Pourquoi les profs ne portent-ils pas eux-mêmes d’uniforme, si c’est une si bonne idée ? » râle Miyah, 14 ans.

40 livres pour le blazer seulement

A quelques centaines de mètres de là, un essaim coloré d’azur et de noir fond sur les grilles de Northgate High School. Pour ces adolescentes aussi, la rentrée s’effectue en chemise et pantalon. Une première qui ne soulève aucune fronde. Mary, gracile tomboy – garçon manqué – de 14 ans, s’en moque : elle déteste les volants. Sa meilleure amie, Sonia, les collectionne, mais n’envisage pas de changer d’établissement pour autant – Northgate jouit d’une très bonne réputation. Lucy, 11 ans, laisse s’égarer son imagination : « Comment arriverons-nous à nous concentrer lorsqu’il fera très chaud ? »

Gadget ringard ou outil pédagogique du meilleur chic ? Au Royaume-Uni, où 98 % des écoles publiques secondaires incluent l’uniforme dans leur corpus, selon une étude réalisée par l’Office of Fair Trade (OFT) – le débat est aussi familier que l’agneau rôti au menu du dimanche. Depuis quelque temps, il se corse cependant, chaque camp s’arc-boutant sur ses positions. Les « anti » dénoncent le coût de la tenue, important pour les bourses les plus modestes – 40 livres (plus de 45 euros) pour le seul blazer aux couleurs de St. Alban’s. Ils évoquent l’attente parfois longue des familles pour obtenir un ensemble souvent trop large pour les épaules XS de leurs juniors. L’énergie, enfin, dépensée par les enseignants à dénouer les tensions dans les salles de classe : les profs n’ont-ils vraiment rien de mieux à faire que de jouer les « fashion police » auprès de leurs élèves, s’interrogent certains, dont de nombreux membres du corps enseignant ? Du reste, le combat n’est-il pas perdu d’avance ? L’audace et l’habileté de la génération Internet font en effet de celle-ci un adversaire redoutable. En mai dernier, Chris Whitehead, un bambin de 12 ans aux faux airs du petit lord Fauntleroy, s’était présenté en jupette devant les grilles de son école d’Impington, près de Cambridge, au grand régal de la presse locale : « Je trouvais injuste que les filles puissent s’habiller plus légèrement lorsqu’il fait beau, alors que le short nous est interdit », confie la petite voix candide au téléphone. Un mois après le coup d’éclat du collégien, un Londonien d’origine afro-caribéenne obtenait la condamnation du lycée qui l’avait exclu pour… délit capillaire. Depuis, l’adolescent et ses fines petites tresses sont partis voir si l’air était plus respirable sous d’autres préaux.

Touchés, mais loin d’être à terre, les défenseurs de l’uniforme disposent, eux aussi, d’un solide arsenal argumentaire. Ils mettent en avant les vertus égalitaires et fédératrices de la tenue. Dans un monde à la fois ultrasexualisé et valorisant l’individualisme, celle-ci protégerait nos bambins des dérives sexistes, de la dictature des marques et des humiliations subies par les plus faibles à l’école – le bullying, comme on le nomme ici. Elle nourrirait cet esprit de corps qui fait la renommée d’une institution presque autant que son taux de réussite aux A-Levels, équivalent du diplôme de fin du secondaire au Royaume-Uni. Elle influerait enfin de manière bénéfique sur le maintien de la discipline. Même si aucune étude sérieuse n’est venue jusqu’ici l’étayer.

Vu du continent, le sujet intrigue, interpelle, amuse aussi, et pas simplement les fans d’Angus Young, le guitariste d’AC/DC à la garde-robe régressive. Aucune loi britannique n’impose l’uniforme et les gosses d’outre-Manche sont comme les autres : ils raffolent des Converse et de la mode sexy et bon marché de Topshop ou H & M. Alors, pourquoi une telle popularité ? Question de tradition, d’abord. Introduit au XVIe siècle afin d’imposer la discipline au sein des Charity schools, ces écoles primaires vouées à prodiguer aux plus démunis les rudiments indispensables de l’éducation, l’habit – gris, noir, blanc, bleu ou vert bouteille, et parfois un peu tout cela à la fois – a tenu tête à toutes les révolutions vestimentaires et pédagogiques. Certaines écoles Montessori, chantres d’un apprentissage plus ouvert à la sensibilité de l’enfant, l’imposent, par exemple. Dans un monde global qui tangue, il est un symbole rassurant. Un amarrage réconfortant. Et puis, il y a le prestige. Le pays de Dickens et de Thackeray reste attaché à ses princes et à sa logique de classes. Aujourd’hui encore, l’écusson a valeur d’appartenance à l’élite. On en est ou on n’en est pas. Et les Britanniques, dans leur grande majorité, souhaitent en être. Selon une enquête menée par l’institut YouGov en juin dernier, 67 % des adultes sont favorables à la tenue imposée à l’école.

Parfois, par simple commodité. « Le matin, je l’avoue, je trouve assez pratique de sortir l’uniforme plutôt que de choisir pendant une heure une tenue avec mon fils », avoue cette maman de collégien. Les élèves sont plus partagés. Certains se contenteraient volontiers d’un dress code. D’autres ont la tenue couturée au corps. Tels les futurs diplômés de la prestigieuse Christ’s Hospital School, à Horsham, dans le West Sussex. En septembre 2010, ils avaient plébiscité le manteau bleu Tudor et les longues chaussettes jaunes de leur uniformeà inchangé depuis quatre cent cinquante-neuf ans !

Pour Efrat Tseëlon, professeur à l’université de Leeds et spécialiste de l’apparence, le débat en dit long sur le lien passionnel qu’entretient le royaume avec l’autorité : « Les Britanniques sont obsédés par les notions de pouvoir et de contrôle. Le vêtement est superficiel, disent-ils. Mais, en imposant l’uniforme, ce sont eux qui le propulsent au centre des préoccupations. Les enfants ont besoin d’un cadre, certes, mais ils ont également besoin d’être heureux à l’école. »

Pour l’universitaire, elle-même mère de famille, il est temps d’écouter les enfants plutôt que de les juger. Pourquoi ne pas imaginer une école plus libre où chacun s’inventerait sa tenue, en puisant par exemple dans les penderies des « Charity shops », ces dépôts-ventes au profit d’oeuvres caritatives si fréquents en Angleterre ?

Autant dire que Mrs Tseëlon n’est pas près de poser sa sacoche dans le Suffolk. Car, à St. Alban’s, la devise de rentrée est claire : « Pas question de battre en retraite. » Bien au contraire : pendant une semaine, les enseignants ont l’obligation d’arborer un badge marqué des lettres « TSTNJ », pour « tie, shirt, trousers, nails, jewellery », afin de rappeler aux élèves leurs tables des lois. « Si l’on cède sur un point, nous serons obligés de céder sur d’autres. La règle existe et il faut la respecter : c’est l’un des préceptes fondamentaux de notre vie en société », résume Alison Turner, jeune manager du collège-lycée.

Comme Alison il n’y a pas si longtemps, comme des millions de petites Anglaises avant elles, Lucy, Sonia, Ashton et tous les autres s’arrangeront avec la loi en s’autorisant quelques candides tricheries. Déjà, elles envisagent de planquer leur vernis rose sous leurs manches du blazer, de cacher tee-shirt, bijoux, ou tatouages sous leur chemise immaculée. Les plus bravaches seront priés de coller un pansement sur leurs piercings. Les plus chevelus sommés de prendre rendez-vous chez le coiffeur – mais la boule à zéro aussi est proscrite.

Pendant ce temps, à cent kilomètres de là, Chris, le sans-culotte d’Impington, peaufine son premier grand oral de l’année : comme promis, le proviseur de son collège organise ce mois-ci un débat autour d’un possible amendement du code vestimentaire. Face à un bataillon de professeurs, Chris sera le seul représentant des élèves, et il n’est pas peu fier. En guise de robe, l’avocat haut comme trois pommes devra toutefois se contenter d’un pantalon.

GÉRALDINE CATALANO

En Belgique, c’est « has been »

Ancré dans la tradition anglo-saxonne, le port de l’uniforme a toujours été circonscrit à l’enseignement catholique en Belgique. Le tablier, lui, a été porté dans les écoles publiques jusque dans les années 1970. Aujourd’hui, ces tenues obligatoires sont tombées en désuétude, dans la foulée de Mai 68. « Il est aussi un signe d’appartenance à la communauté scolaire. Or aujourd’hui, de moins en moins de jeunes acceptent de s’identifier à leur statut d’élèves », analyse Ann d’Alcantara, psychiatre.

Seule une poignée d’écoles (qui forment principalement aux métiers de l’hôtellerie et aux services d’accueil) ainsi que des établissements catholiques ont conservé l’uniforme. Une vingtaine d’écoles secondaires y sont restées attachées. Le nombre est beaucoup plus élevé dans le primaire.

A l’heure où la mode et les marques envahissent les cours d’école, plusieurs collèges ont décidé, ces dernières années, de réhabiliter l’uniforme. « Je me suis rendu compte qu’il y avait beaucoup de compétition entre élèves pour des questions de marques et de look. Je ne voulais certainement pas que la tenue vestimentaire soit un sujet d’exclusion, un phénomène qui s’étendait en primaire », déclare Jean-Pierre Leblanc, directeur de la section fondamentale du Collège Saint-Pierre, à Uccle. Pantalon ou jupe (pas de jean) uni bleu marine ou gris, haut bleu ciel, blanc ou rouge, cardigan bleu marine ou gris, chaussures de ville obligatoires, sans marques ni détails inutiles : telle est la tenue imposée dans ces institutions scolaires.

La Fédération Wallonie-Bruxelles délègue en effet à chaque établissement le droit de décider du code vestimentaire de ses élèves. Casquettes, strings apparents et autres tenues excentriques sont souvent bannis.

S.G.

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