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Fusillade de Newtown: réglementer les armes est-il impossible aux Etats-Unis?

La fusillade de l’école de Sandy Hook, qui a fait 27 morts dont 20 jeunes enfants vendredi, changera-t-elle la donne? L’Express a interrogé Didier Combeau, auteur du livre Des Américains et des armes à feu: violence et démocratie aux Etats-Unis

Après la fusillade de Sandy Hook qui a coûté la vie à 27 personnes dont 20 enfants âgés de 6 à 7 ans, le président américain Barack Obama a promis de faire tout ce qui est en son pouvoir pour empêcher de telles tragédies. Mais en aura-t-il la possibilité? Les explications de Didier Combeau, auteur du livre Des Américains et des armes à feu: violence et démocratie aux Etats-Unis.

Quelle est l’ampleur de la présence des armes dans la population américaine?

Il n’y a pas de statistiques précises sur les armes à feu puisque la seule donnée enregistrée est la vente des armes neuves. On estime à environ 350 millions le nombre d’armes et on considère généralement que 25% des foyers américains possèdent une arme à feu. Les zones rurales et les Etats du sud sont plus que les autres Etats attachés à l’autorisation du port d’armes. A côté des ventes chez les armuriers, il y a au moins 4000 foires aux armes chaque année aux Etats-Unis. Dans ces manifestations, se joignent aux armuriers licenciés une multitude de gens qui viennent vendre ou acheter des armes d’occasion. La foire de Houston, par exemple, ne compte pas moins de 2000 stands. Pour ces armes-là, il n’y a aucun enregistrement des ventes ou achats.
Le nombre de victimes des armes à feu varie considérablement selon les milieux. Il y a une proportion démesurée de jeunes noirs parmi eux: Les Africains-Américains représentaient, en 2007, 13% de la population mais 49% des victimes d’homicide. Cette tendance est encore plus forte quand l’on se réfère aux jeunes de 15 à 25 ans. En fait, si l’on observe les taux de violence ou de délinquance, ils ne sont guère différents de ce qu’ils sont dans les autres pays occidentaux. En revanche, le taux de mortalité est beaucoup plus élevé, en raison de la prolifération des armes à feu.

Le débat sur la réglementation a-t-il plus de chance d’être abordé après le drame de Newtown ?

C’est probable. L’émotion provoquée par la tuerie de Sandy Hook est très forte en raison du jeune âge des enfants, et du fait qu’il s’est produit à quelques semaines de Noël.
Mais il sera encore une fois limité. Il ne s’agit pas d’interdire les armes, mais seulement d’en limiter l’accès, ou de mieux contrôler la vente des armes d’occasion.
Il faut noter que si dans les années 70, les militants pour le contrôle des armes à feu demandaient leur interdiction, ils ont depuis beaucoup reculé. De la notion de prohibition on est passé à celle de contrôle, puis de sécurité.
Dans tous les cas, les partisans de la réglementation se situent surtout dans les régions urbaines et côtières, et ne sont pas forcément liées à une couleur partisane. Ainsi, sur la côte est, même les élus républicains ou indépendants comme l’ancien gouverneur de New York George Pataki, l’ancien maire de New York Rudolph Giuliani ou l’actuel, Michael Bloomberg y sont favorables.

Il y a eu par le passé, des tentatives de réglementation de leur circulation?

L’ancien président Bill Clinton a fait adopter deux lois destinées à limiter la circulation des armes. En 1993, la loi Brady a imposé un contrôle des antécédents psychiatriques et judiciaires dans le cadre des ventes d’armes neuves. Elle est toujours en vigueur. L’année suivante, une loi qui règlementait la fabrication et l’importation d’armes d’assaut a été promulguée pour une durée de 10 ans. Elle est arrivée à terme en 2004, et ni le président George Bush, ni Barack Obama n’ont rien fait pour la prolonger.

Le lobby des armes à feu est toujours très puissant ?

Les partisans de la liberté de circulation des armes constituent une fraction minoritaire de la population -la National Rifle Association évalue à 3 ou 4 millions ses membres- mais ils sont très actifs.
La législation américaine trouve sa justification dans le fait qu’elle permet de prendre les armes contre un gouvernement qui deviendrait tyrannique. En Amérique, il ne s’agit pas seulement d’une posture théorique. Pour eux, est tyrannique un pays qui veut restreindre le droit de s’armer. Ainsi, l’attentat d’Oklahoma contre un bâtiment fédéral (168 morts), en 1995, a eu lieu peu de temps après l’adoption des lois qui réduisaient le contrôle des armes. Et le livre de chevet de son auteur, Timothy McVeigh, s’était inspiré d’un roman d’anticipation, Turner diaries, dans lequel l’Etat cherchait justement à confisquer les armes à feu. Cet attentat a été conçu comme une réponse aux lois mises en oeuvre par Bill Clinton.

Quelle est la marge de manoeuvre du président pour légiférer?

La constitution américaine limite la capacité d’action du gouvernement fédéral. Ce sont les Etats qui légifèrent à ce sujet. Les prérogatives de Washington se limitent au commerce d’un Etat à l’autre ou à l’imposition de taxes. Or les Etats sont soumis à la pression des lobbies pro-armes à feu, comme la National Rifle Association, qui scrutent les prises de positions de toutes les personnalités politiques et les notent, tant à l’échelon local que national, et rendent publique la moindre déclaration hostile à la liberté d’utilisation des armes. Il suffit que vous tapiez un code postal pour voir ce qu’ont déclaré les élus de votre région sur les armes à feu. Au niveau fédéral, une bonne partie des swing states (Etats-clé lors de l’élection présidentielle) correspond à des Etats où cette question reste sensible. Le système du « Winner take all » qui fait que celui qui arrive en tête dans un Etat y remporte tous les grands électeurs, amène les candidats à se montrer prudents sur ce type de sujet. Cela explique pourquoi Barack Obama a observé une telle réserve pendant la campagne. Et ce malgré la fusillade dans un cinéma d’Aurora en juillet. Il s’est contenté de proposer un renforcement des vérifications des antécédents des acheteurs d’armes. Les Démocrates estiment en effet qu’ils ont perdu la majorité au Congrès après l’activisme de Bill Clinton en 1993 et 1994.

Propos recueillis par Catherine Gouëset, L’Express

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