Etats-Unis : la sanglante guerre des spots

Dans la primaire du Parti républicain, Mitt Romney est en mauvaise posture depuis quelques semaines. Mais à quel prix ? Aucun prétendant ne sort indemne de l’avalanche sans précédent de publicités négatives, élaborées par des comités au service des candidats pour démolir l’adversaire. Et ce n’est qu’un début.

Les Américains ont au moins compris que leurs téléviseurs fonctionnaient toujours. Seule leur vie politique paraît plus que jamais détraquée. Depuis le coup d’envoi des primaires du Parti républicain, au début du mois de janvier, aucun candidat ne peut apparaître dans une pub électorale sans que l’image ne vire au noir et blanc, brouillée par des parasites dignes de ceux des tubes cathodiques des années 1950.

Terminée l’époque où un présidentiable pouvait attirer des suffrages en racontant sa vie dans des spots féeriques peuplés d’enfants souriants, de bannières étoilées et d’anciens combattants exemplaires. En 2012, l’heure est au negative advertising, l’art de présenter l’adversaire sous son plus mauvais jour. Dans ce festival de mauvaise foi, la laideur fait figure d’atout stratégique.

Sur les grandes chaînes comme sur Internet, les pubs outrancières sont devenues la norme. Beaucoup alternent archives vidéo manipulées et gros plans grotesques: tantôt Newt Gingrich arbore une gueule tordue, tantôt Mitt Romney, menton levé, se fige dans la pose du businessman hautain et insensible. Leurs paroles sont souvent interrompues par des commentaires en voix off, destinées à rebuter le téléspectateur: « hypocrite », « vautour », « trop dangereux pour l’Amérique »… Dans un feu d’artifice final, des bannières criardes remplissent ensuite l’écran, pour mieux broyer le programme ou le pedigree du concurrent. Les combats à fleurets mouchetés n’ont plus cours.

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Depuis juin 2011, 19 débats télévisés n’ont pu créer un consensus parmi les électeurs républicains. Quatre survivants de la course, inégaux, mais acharnés, se livrent désormais une guerre de position, ponctuée d’offensives quotidiennes. Les bombardements de pubs sont d’une violence, d’une intensité et surtout d’une efficacité inédites.

Newt Gingrich a pu emporter la primaire de Caroline du Sud, car son rival Mitt Romney, favori de l’establishment, a subi un véritable pilonnage de publicités négatives, où il était dépeint comme un patron prédateur et casseur d’emploi. Romney, pour sa part, a pu prendre sa revanche, dix jours plus tard en Floride, grâce à une contre-attaque massive: l’un des spots, énumérant les « casseroles » de Gingrich, a été diffusé 1600 fois entre le 23 et le 29 janvier, sur cinq réseaux télévisés régionaux de ce même Etat. En l’espace d’une semaine, les 11 millions d’habitants de Floride ont été abreuvés d’environ 15 000 spots politiques diffusés à toute heure du jour ou de la nuit. Impossible d’y échapper. Le résultat? Imparable. Selon une enquête, 4 électeurs de Romney sur 10 ont fait leur choix sur la base des pubs odieuses consacrées à ses concurrents.

Dès le XIXe siècle, Lincoln était brocardé comme un « singe »

Malgré son manque de moyens, le chrétien ultra Rick Santorum, jusqu’alors bon dernier de la course, a surpris en remportant, le 7 février, trois Etats: le Missouri, le Minnesota et le Colorado. Mais sa bonne étoile pourrait bientôt pâlir. Le pieux sénateur de Pennsylvanie, longtemps jugé trop inoffensif pour mériter un traitement de choc médiatique, se trouve désormais sous les feux croisés de trois adversaires. Au matin du 8 février, une myriade de pubs, conçues dans la nuit, le dépeignaient déjà – en noir et blanc, bien sûr – comme un gaspilleur de fonds publics et un intrigant du Congrès déguisé en parangon de vertu, fort d’un patrimoine de 4 millions de dollars glanés pendant sa carrière de lobbyiste.
« Si cette campagne est la plus négative de l’histoire électorale du pays, ce n’est pas tant la méchanceté des arguments, plutôt banale, qui est nouvelle, que le recours systématique à cette méthode, grâce à des moyens sans précédent », tempère Stephen Ansolabehere, politologue à Harvard. La tradition des coups bas politiques ne date pas d’hier. Dès le XIXe siècle, Abraham Lincoln, réputé trop velu et mal élevé, était brocardé comme un « singe » à longueur de pamphlets. En 1964, Lyndon Johnson, dans une pub d’anthologie, insinuait que son adversaire, le républicain Barry Goldwater, pourrait déclencher une guerre nucléaire.

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Mais la frénésie négative actuelle a des origines plus récentes. En 2004, le sénateur du Massachusetts, John Kerry, qui misait sur ses galons de héros du Vietnam pour vaincre George W. Bush, a vu surgir à la télévision de prétendus anciens compagnons d’armes qui démentaient la réalité de ses exploits et même sa présence à l’époque sur le Mékong. Ces pubs ignobles étaient produites par une mystérieuse association de militaires, un « comité d’action politique » (PAC, dans le jargon américain), réputé indépendant de tout parti et dispensé de dévoiler ses sources de financement. Personne n’a jamais pu impliquer la responsabilité, pourtant probable, de Bush dans cette affaire.

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L’épisode prend tout son sens aujourd’hui. Car, en 2010, par deux arrêts, la Cour suprême a bouleversé plus d’un siècle de réglementations électorales en autorisant particuliers, entreprises et syndicats à financer à volonté la cause politique de leur choix. A deux conditions: ces millions de dollars ne peuvent être versés directement à un candidat, mais à des comités d’action politique d’un nouveau genre, les fameux « super-Pacs »; ces derniers ne sont eux-mêmes soumis qu’à une seule obligation, parfaitement illusoire: celle de ne pas coordonner leurs actions avec la campagne officielle du candidat qu’ils soutiennent. C’est ainsi qu’est né, il y a deux ans, l’âge d’or du financement électoral.

Les Super-Pacs, des armes de guerre médiatique

Les machines de guerre les plus puissantes de Romney ou de Gingrich ne siègent plus dans leurs quartiers généraux officiels, mais dans ces entités autonomes aux noms irréprochables: Restore Our Future (Rétablir notre avenir) pour l’un, Winning our Future (Gagner notre avenir) pour l’autre. Peu connus du grand public, ces super-Pacs peuvent se charger du « sale boulot » sans trop nuire à l’image de leurs commanditaires. Leur puissance de feu financière et leur réactivité font de ces nouveaux venus des acteurs de poids. Sur 56 millions de dollars investis en communication politique depuis un mois et demi, 40 ont été dépensés par ces comités autonomes.

La palme revient à Restore Our Future, outil occulte de Romney, fort à lui seul d’un budget de 17 millions, qui dépasse largement celui de la campagne officielle du candidat. Ce pactole lui a permis de s’offrir les services de Larry McCarthy, un génie de la publicité négative, entré dans la légende politique en 1988 en concoctant pour les besoins de George Bush père un spot dévastateur.
Cette année-là, un criminel noir nommé Willie Horton sort de prison grâce à une politique de libérations conditionnelles instaurée par le gouverneur du Massachusetts Michael Dukakis, candidat démocrate à la Maison-Blanche. Or Horton récidive peu de temps après. Sa photo, placardée dans la pub de McCarthy, attise les démons raciaux et les peurs primordiales du pays. Surtout, le spot met en lumière l’une des principales vulnérabilités de Dukakis face à l’électorat: son opposition de principe à la peine de mort.

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Selon le même procédé, le publicitaire a consacré un clip destructeur à Gingrich, accusant l’ex-président de la Chambre des représentants d’avoir financé des interruptions volontaires de grossesse et d’avoir soutenu, pour les besoins d’un accord commercial avec Pékin, la politique de l’enfant unique en Chine… La réplique de Gingrich n’a guère été efficace. Grâce à un chèque providentiel de 5 millions de dollars versé à son super-Pac, Winning our Future, par un nabab des casinos de Las Vegas, son principal bailleur de fonds, le boutefeu populiste a produit un documentaire d’une demi-heure dénonçant les méfaits de Romney-le-patron-antisocial, sur fond de violons déchirants et de chômeurs éplorés. « Une erreur stratégique, confirme David Mark, rédacteur en chef à Politico.com et auteur d’un livre sur les campagnes négatives, Going Dirty: The Art of Negative Campaigning. Il utilise un fond de vérité, mais on ne mise pas sa communication sur un narratif anticapitaliste qui indiffère les républicains et n’émeut que les progressistes. »

Obama fait déjà appel à ses bailleurs de fonds

Au moins le sujet donnera-t-il des idées à Barack Obama, qui voit dans l’embauche de McCarthy par Mitt Romney la promesse d’une offensive féroce dès le lancement de la présidentielle au printemps, avec le retour des spéculations sur son lieu de naissance et des attaques contre sa politique économique. Le président, scandalisé par l’arrêt de la Cour suprême sur le financement électoral, est allé jusqu’à prendre à partie les juges lors de son discours sur l’état de l’Union, en janvier 2011. Le 6 février dernier, pourtant, il adoube son propre super-Pac, Priorities USA Action. 2012 ne verra pas se reproduire le miracle de 2008, quand des millions de petits donateurs pleins d’espoir, souvent démarchés par Internet, ont soutenu la campagne Obama. Aujourd’hui, les démocrates font appel à leurs bailleurs de fonds traditionnels – George Soros, Steve Bing, Warren Buffett… – avec le même zèle que leurs adversaires. La guerre de l’argent, et des pubs, ne fait que commencer.

Philippe Coste

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