Le Général Francisco Franco au côté de sa femme Carmen Polo. A gauche, le prince Juan Carlos d'Espagne et sa femme la princesse Sofia , le 4 octobre 1975. © Reuters

Espagne: 20 mandats d’arrêt lancés contre des fonctionnaires de Franco, un voile sombre de l’histoire récente se lève

Presque 40 ans après la mort de Franco, les descendants des victimes de la dictature en Espagne ont obtenu la mise en cause de sept ex-ministres, de policiers et magistrats, mais espèrent encore de nouvelles avancées.

Dans un arrêt « historique » rendu public vendredi, la juge argentine María Servini de Cubría a lancé 20 mandats d’arrêt visant six anciens ministres de Franco, un ex-ministre de la transition, huit policiers, trois magistrats, un médecin et un ancien secrétaire d’Etat. Ils sont poursuivis dans une enquête ouverte en 2010 pour génocide et crimes contre l’humanité pendant la Guerre civile (1936-1939) et la dictature de Francisco Franco (1939-1975), au nom du principe de justice universelle. C’est une « première » selon l’avocat argentin Carlos Slepoy, l’un des défenseurs des associations s’étant portées partie civile.

Au nom d’une loi d’amnistie de 1977, adoptée pendant la période de « transition » vers la démocratie ayant suivi la mort de Francisco Franco le 20 novembre 1975, l’Espagne a toujours refusé de lever le voile sur les plus sombres épisodes de son histoire contemporaine.

Mais les victimes ont réclamé avec de plus en plus de force une remise en question de cette politique, destinée officiellement à éviter que « deux Espagne s’affrontent ».

Malgré les demandes insistantes des Nations unies, aucun crime n’a jamais été jugé même si, selon les plaignants, « un plan systématique, généralisé, délibéré » destiné à « terroriser les Espagnols » est responsable de disparitions forcées, qui auraient fait plus de 100.000 victimes.

L’affaire des bébés volés du franquisme, des enfants soustraits à leurs mères républicaines, n’a ainsi éclaté qu’en 2010 et n’a pas été jugée, bien que plusieurs dizaines de milliers de cas pourraient être recensés.

Le juge Baltasar Garzon a tenté de s’atteler à ces deux dossiers brûlants, mais a été contraint de renoncer en mars 2012 par le Tribunal suprême, qui a déterminé au nom de la même loi d’amnistie qu’il n’y avait pas lieu d’enquêter.

D’où la joie samedi de Maria Arcenegui Siemens, porte-parole de l’Association pour la récupération de la mémoire historique (ARMH), une des parties civiles dans le dossier argentin. « C’est un grand jour pour nous », a-t-elle dit en rappelant qu’en Espagne, après la mort de Franco, « on est passé d’un jour à l’autre à la démocratie et rien n’a été épuré ».

Parmi les ministres que la juge María Servini de Cubría veut entendre, beaucoup ont poursuivi de brillantes carrières après la mort de Franco, certains, revendiquant ouvertement leur attachement au « caudillo », comme Jose Utrera Molina, aujourd’hui âgé de 86 ans.

Son gendre est Alberto Ruiz Gallardon, ex-ministre de la Justice du Parti populaire (PP conservateur, au pouvoir) qui a défendu récemment l’interdiction de l’avortement et se dit « fier qu’il soit le grand-père de mes enfants ».

M. Utrera avait signé, avec d’autres personnes poursuivies, la condamnation à mort en 1974 de Salvador Puig Antich, accusé d’avoir tué un policier et qui a ensuite été torturé à mort, selon sa soeur. « Elle dit qu’il lui suffirait peut-être que (M. Utrera) lui demande pardon. Mais ce n’est jamais arrivé », explique Maria Arcenegui.

Rodolfo Martin Villa, ancien ministre de l’Intérieur et figure de la transition âgé de 79 ans, est lui accusé d’avoir ordonné à la police de charger contre des ouvriers grévistes rassemblés dans une église, le 3 mars 1976, affrontements dans lesquels cinq personnes ont été tuées.

Selon Me Slepoy, le gouvernement doit désormais décider s’il transmet où non à la justice les mandats d’arrêts argentins.

Si c’est le cas, un juge de l’Audience nationale, juridiction spécialisée dans les affaires complexes, devra convoquer les personnes visées. Le simple fait qu’elles comparaissent devant un magistrat, même sans évoquer le fond et même s’ils ne sont pas extradés, serait déjà une victoire pour Maria Arcenegui.

Contactés par l’AFP, le ministère des Affaires étrangères et M. Utrera n’étaient pas immédiatement joignables.

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