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Elio Di Rupo : « L’élargissement européen a été une grande tromperie »

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

L’époque pose des questions à l’Europe, aux partis européens et à leurs membres belges. Elle rudoie la gauche sociale-démocrate qui, du coup, s’en pose beaucoup elle aussi. Le président du PS, Elio Di Rupo, a des réponses. Beaucoup. Elles sont souvent rudes pour certains de ses partis frères.

Le Vif/L’Express : Au sein de votre famille politique, quelle prise avez-vous, comme vice-président de l’Internationale et membre de la conférence des leaders du PSE, pour combattre les politiques que promeuvent certains de vos homologues ?

Elio Di Rupo : Ils sont souvent absents des instances internationales quand on discute de ça…

A l’automne, il avait été question de suspendre les socialistes slovaques du PSE, après des propos très durs à l’égard des migrants, et dix ans après une première suspension consécutive au choix de leur leader de gouverner avec l’extrême droite…

On les a déjà suspendus et nous proposons de les suspendre à nouveau. Leur politique est totalement inacceptable dans l’éthique socialiste. Et en avril, je défendrai cette position.

Les socialistes danois ont soutenu les mesures de confiscation des biens, y compris des bijoux, adoptées par le gouvernement libéral…

C’est également inacceptable. Ça relève de la politique intérieure, mais ce sont de mauvais calculs. Nous ne pouvons pas accueillir toutes les difficultés du monde. Certains ont employé d’autres formules. Mais il faut un peu d’ordre et de bonne volonté. Il faut des accords fermes, en particulier avec la Turquie, mais aussi avec le Liban, dont 25 % de la population est composée de migrants. Ma ligne est accueillante, tout en n’étant pas naïve. Mais en parallèle avec cette politique migratoire, on a besoin de desserrer l’étau européen. Vous me parlez du PSE, tout ça est sympathique, et ça m’honore. Mais l’Europe, une des zones les plus prospères du monde, est totalement en panne depuis 2008… Ça fait huit ans maintenant et ça aussi c’est totalement inacceptable ! J’ai toujours plaidé pour une autre politique, mais on a beaucoup de mal parce que tout est tenu en main par des forces politiques de droite.

Le PSE n’a-t-il pas péché comme l’Union européenne l’a fait, en accueillant des membres en Europe centrale et orientale qui étaient loin de sa ligne et de ses aspirations ?

Bien sûr. Mais l’erreur n’est pas propre aux socialistes. Le PPE et les libéraux l’ont commise aussi. A un moment donné, à la fin de l’Europe des 15, nous nous sommes retrouvés à seize socialistes autour de la table, puisque les Belges ont cette particularité exquise d’avoir deux présidents de parti, un francophone et un flamand. Et on a vu arriver les présidents des partis des pays candidats. Ils sont venus siéger alors que nous allions seulement commencer à parler d’une éventuelle ouverture. Donc siégeaient déjà à la table ceux pour qui l’élargissement allait être bénéfique. Ça a été une grande tromperie ! On n’a jamais pu discuter à seize partis de quinze pays de notre destin propre. J’ai toujours considéré ça comme une erreur. Nous le payons très, très cher.

Vous êtes séduit par l’émergence de nouvelles forces de gauche, en Espagne ou en Grèce. Mais ces forces sont celles qui veulent balayer ou ont déjà éliminé vos partis frères socialistes, le PSOE pour Podemos, le Pasok pour Syriza. N’est-ce pas se tirer une balle dans le pied ?

On doit avoir une attitude de rassemblement des progressistes. Quand on voit la force et la complaisance de la droite en général, quand on voit, au niveau européen, ce que sont capables de faire le PPE et les libéraux, sans même avoir besoin de signer des accords, vu leurs connivences économique, intellectuelle, politique, je pense que nous serions naïfs de ne pas chercher un rassemblement sur des sujets bien précis. Je ne dis pas qu’on doit s’embrasser sur la bouche ! Mais sur un certain nombre de sujets, on peut échanger nos expériences et on doit écouter les nouvelles forces comme Podemos et Syriza. Elles ne sont pas venues de nulle part, elles expriment à la fois un ras-le-bol et une aspiration au renouveau. Un parti socialiste ou social-démocrate doit par essence se régénérer en permanence. Donc, tout en préservant la famille socialiste européenne avec ses caractéristiques, je suis pour l’ouverture et la discussion.

Mais aujourd’hui, vous sentez-vous plus proche de Syriza et de Podemos que du Pasok et du PSOE ?

Je ne dis pas ça ! J’ai d’excellentes relations avec le Pasok. Mais il faut parler avec Syriza ! On ne peut pas sous-estimer une formation politique, qui en plus est au pouvoir, qui est démocratique, et qui a une analyse de la situation et des désirs de changement que l’on peut partager. Nous autres, Belges, nous ne vivons que par compromis et coalitions. On peut donc à tout le moins avoir ce même esprit de compromis au sein de la gauche européenne. C’est quand même pas scandaleux d’affirmer ça ! Ce serait une très grande erreur pour notre famille que de ne pas parler avec ces partis…

La politique de François Hollande ne déçoit-elle pas beaucoup de vos militants ?

Je ne dirai rien sur François Hollande, simplement parce qu’il s’agit d’un pays voisin, et que je n’ai pas envie d’interférer dans la politique française à un an de la campagne présidentielle.

Dans les sections, les USC, les fédérations, au bureau du parti, on en discute quand même, non ?

Oui, oui (silence). Je me dis toujours qu’il doit y avoir des explications que je n’ai pas encore bien perçues, voilà…

Peut-être êtes-vous mal informé, alors…

Il ne faut pas l’exclure… Malgré tous nos canaux d’information, je ne crois pas qu’on sache tout. Mais je préfère quand même m’enthousiasmer pour Bernie Sanders…

Est-ce que la présidence d’une de ces institutions socialistes internationales vous intéresserait ? Vous aviez consulté pour celle du PSE, non ?

On me le prête, je sais bien. Ça fait plaisir, parce qu’on ne prête qu’aux riches… J’ai toujours été préoccupé par cette dimension internationale, et il m’importe d’y faire avancer les choses. Mais je suis très épanoui à la présidence du Parti socialiste, et j’ai assez de travail comme ça, entre les gouvernements où nous sommes et l’opposition où nous nous trouvons. Je ne sais même pas, d’ailleurs, s’il y a des fonctions ouvertes. Je ne vis pas avec ce dessein-là mais, en revanche, je me suis toujours impliqué dans des projets internationaux. Je m’occupe d’une commission spéciale sur les inégalités de l’Internationale socialiste, avec mon homologue chilien et avec d’autres. Ça m’a toujours plu, parce que je crois qu’on ne peut pas faire de la politique nationale sans avoir un regard international. En Belgique, il suffit de quelques kilomètres et on est déjà à l’étranger, donc…

On a un peu l’impression qu’au PS, Paul Magnette s’exprime plus volontiers que vous sur l’international, alors que vous, il faut aller vous chercher…

Oui, c’est normal, c’est sa nature. Il était prof, il a une plume aisée. J’écris plus volontiers des cartes blanches qu’avant, mais chez Paul, c’est une deuxième nature. Il écrit un livre comme moi je parle, il écrit des essais sur les questions internationales, c’est son métier premier. Il était professeur de politique européenne, et ses articles font référence. Mais oserais-je dire que si j’étais à la place de Paul comme ministre-président, j’agirais comme lui ? On ne peut pas être ministre- président et se désintéresser des questions internationales. Il a raison ! D’autant plus qu’un ministre-président a le même pouvoir qu’un ministre des Affaires étrangères pour les compétences régionales. On a tendance à l’oublier…

Le dossier « Ces partis frères que PS, MR et CDH voudraient ne plus fréquenter »

dans Le Vif/L’Express de cette semaine.

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