Depuis la guerre du Golfe en 1991 (ici, l'arrivée des troupes américaines à Dhahran), rien n'a changé en Arabie saoudite. © Eric Bouvet/Getty Images

« Dix ans de guerre ne nous ont amené que des catastrophes »

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Sommes-nous en guerre ? Pour Pierre Conesa, professeur à Sciences Po Paris, il faut privilégier les moyens policiers, ne pas répéter les erreurs passées et désigner clairement l’ennemi : le salafisme djihadiste.

Ancien directeur adjoint de la délégation aux Affaires étrangères du ministère français de la Défense, Pierre Conesa, professeur à Sciences Po, a publié en 2011 La fabrication de l’ennemi (Robert Laffont) et, en décembre 2014, un remarqué rapport intitulé Quelle politique de contre-radicalisation en France ? pour la Fondation d’aide aux victimes du terrorisme (téléchargeable sur le site favt.fr).

Levif.be : Belges, Français, Européens, sommes-nous en guerre ?

Pierre Conesa : Si nous sommes en guerre, c’est contre une frange de l’islam, le salafisme djihadiste. La dénomination de l’ennemi est un aspect essentiel de la politique publique. Mais je ne parlerais pas de guerre, qui fait penser automatiquement à moyens militaires. Car on connaît les conséquences de leur utilisation depuis dix ans : l’Afghanistan est une catastrophe ; l’Irak, une pagaille terrible de la faute des Américains ; la Libye, même chose… Je ne comprends pas qu’après les erreurs commises par George W. Bush dans « la guerre contre le terrorisme », on persiste à utiliser des moyens militaires. Ce qu’il faut, ce sont des moyens policiers, de renseignement, de géopolitique, le recours à l’arsenal militaire n’étant qu’un accessoire éventuel dans certaines circonstances bien précises.

Vous aviez commenté l’engagement de la France en Irak contre l’Etat islamique en écrivant qu’il faudrait mieux réagir dans la discrétion et le secret que par l’émoi et l’action militaire. Est-ce encore possible en 2015 ?

L’émoi qui a suivi les attentats de Paris est parfaitement compréhensible. Affirmer que l’on est engagé dans une lutte à mort contre le salafisme djihadiste, OK. Mais cela répond plus à des formes médiatiques qu’à des réflexions politiques. C’est dramatique. L’attaque contre l’Afghanistan pour arrêter Oussama Ben Laden après le 11-Septembre était indispensable. Mais on y est resté treize ans avec un résultat dramatique : on a étendu la guerre au Pakistan puis à l’Irak. Or, 15 des 19 terroristes du 11-Septembre étaient Saoudiens. Ce refus de désigner la véritable source du problème a mené à la suite. Il faut désigner la matrice idéologique de ce terrorisme : le salafisme est un sous-produit du wahhabisme saoudien. Pour contrer les Frères musulmans qui ont soutenu Saddam Hussein dans les années 1990, l’Arabie saoudite a fait pousser des mosquées salafistes comme des champignons. Quand elle payait sa construction, elle n’hésitait pas sur le choix de l’école religieuse à laquelle son imam devait se raccrocher.

Y a-t-il un combat à mener au nom de la défense de nos valeurs ?

La France devrait demander un siège à l’Organisation de la coopération islamique (NDLR : qui regroupe les pays musulmans). Elle compte 6 millions de musulmans aujourd’hui, soit plus qu’un tiers des Etats-membres de l’OCI. Pourquoi cette proposition ? Je préfère que ce soit un ambassadeur français musulman qui aille expliquer à ces gens ce qu’est la tolérance que d’entendre l’OCI nous donner des leçons sur les droits de l’homme. Aujourd’hui, on est dans les cordes parce que l’on a refusé de porter un discours sur les valeurs tout en discutant avec des dirigeants donneurs de leçons sur les questions religieuses… Deuxième proposition, il faut revoir complètement le droit d’asile, Il a été pensé dans les années 1950 parce qu’avant la Seconde Guerre mondiale, beaucoup de pays avaient refusé l’asile aux juifs persécutés par Hitler. Il a bénéficié ensuite à la vague des dissidents des pays communistes. Les uns et les autres étaient des combattants de la liberté. Les salafistes réfugiés à Londres l’étaient-ils ? Non. Ils étaient recherchés pour actes terroristes au Yémen, en Jordanie… Le droit d’asile doit être réformé pour protéger les combattants de la liberté.

L’intégralité de l’interview de Pierre Conesa dans Le Vif/L’Express de cette semaine.

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