Carte blanche

De quoi la Catalogne est-elle le nom ?

De longue date a existé dans plusieurs pays en Europe, la volonté de certaines régions possédant une identité culturelle distincte d’obtenir leur indépendance.

Toutefois, le phénomène semble prendre de l’ampleur depuis quelques années. En Italie, en Espagne, en France, en Grande-Bretagne ou en Belgique, plusieurs courants autonomistes sont désormais au pouvoir dans des régions et tentent de mettre en application leurs projets d’autonomie, sinon d’indépendance. Ce phénomène est-il le signe d’une forme d’égoïsme de régions plus riches qui souhaitent ne plus contribuer à la solidarité nationale ? Sans doute, et cette analyse est renforcée par le fait que ce sont parfois des formations politiques de droite qui trustent l’électorat indépendantiste. Mais cette seule analyse serait réductrice. D’autres motifs, tels que le droit à l’autodétermination des peuples, une volonté de décentralisation des espaces de décisions, ou encore des aspirations d’autonomie socio-culturelle, fondent le projet de certaines formations politiques indépendantistes marquées plutôt à gauche comme en Ecosse, ainsi que dans des régions plus « pauvres » comme en Corse.

Les Etats européens sont des constructions généralement assez récentes (dans leur forme actuelle) et résultent souvent de découpages artificiels (issus notamment de guerres ou d’unions entre familles royales). C’est toutefois au sein de ces Etats qu’ont été conquis une série de droits modernes qui fondent, singulièrement pour des progressistes, les sociétés dans lesquelles nous vivons. La notion de République chère aux Insoumis de Jean-Luc Mélenchon est un exemple de cela.

Il semble toutefois qu’un autre phénomène se fasse jour. A l’heure de la mondialisation capitaliste, les Etats ont tendance à se diluer dans l’Union Européenne, sentiment renforcé par l’antienne politique qui consiste à mettre sur le dos de l’Europe plus que ne devrait. Ce faisant, la décision politique s’éloigne des citoyens, lesquels se sentent dépossédés et sont en recherche d’un niveau de pouvoir plus proche, moins technocratique, à l’écoute de leurs aspirations, permettant des politiques différenciées et adaptées aux spécificités socio-économiques de chaque région. A travers sa région, on cherche également à retrouver sécurité, qualité de vie, et respect de son identité. Ce sont des aspirations légitimes.

Pour des écosocialistes, tout projet d’avenir passe par le fait de relocaliser l’activité économique en opposition avec la globalisation capitaliste, notamment pour rendre à un pouvoir politique qui soit réellement l’émanation de la volonté populaire, sa capacité de remettre l’économie au service d’un projet politique plus juste socialement et soutenable écologiquement.

Dès lors, c’est sans doute une erreur que de réduire le courant régionaliste et indépendantiste actuel à un combat égoïste inévitablement trusté par la droite (sinon carrément par l’extrême-droite). Il y a sans doute pour la gauche à réfléchir à sa capacité de s’emparer de cette volonté d’une relocalisation des centres de décision pour proposer un chemin vers une autonomie des régions qui soit un projet vers plus de justice sociale, de démocratie réelle et de soutenabilité. C’est d’ailleurs le recul en la matière de la part des autorités centrales madrilènes, à l’initiative de la droite conservatrice du Parti Populaire de Mariano Rajoy, qui a poussé les électeurs catalans de plus en plus dans les bras des partis indépendantistes.

Ce « régionalisme de gauche » passe par trois clefs indispensables à nos yeux.

Premièrement, il est essentiel que l’autonomie régionale ne constitue pas un processus brisant les mécanismes de solidarité. La volonté de maintenir une solidarité (par exemple sur la sécurité sociale) au-delà de sa région est un critère central pour juger de la nature réellement progressiste d’un projet régionaliste. Le contrat doit donc être : autonomie contre garanties constitutionnelles du maintien de mécanismes de solidarité.

Deuxièmement, la relocalisation des centres de décision politique et économique doit s’accompagner d’un changement profond de la façon dont est exercé aujourd’hui le pouvoir politique. Il ne s’agit pas de recopier à l’échelle d’une région ce qui dysfonctionne à celle d’un Etat. Il faut donc initier un réel bond démocratique qui passe par des processus de participation, par des consultations régulières, par l’usage (pour partie) du tirage au sort pour constituer des panels citoyens sur les grandes décisions, par la révocabilité des élus, et bien évidemment par une opposition frontale à la puissance des lobbys industriels qui cadenassent l’action politique.

Troisièmement, la défense d’une identité régionale ne doit pas être l’occasion d’un enfermement identitaire. On peut à la fois défendre ce que l’on est face à une mondialisation qui tend à standardiser nos modes de vie (réduits en mode de consommation) et souhaiter une région ouverte sur le monde.

Une décentralisation progressiste est dès lors de notre point de vue, une solution importante face aux tendances centrifuges qui s’expriment en Europe.

Une opinion de Thierry Bingen, Didier Brissa et Pierre Eyben, membres du Mouvement Demain

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