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David Cameron n’a pas encore gagné

L’homme qui a rénové l’image des Tories remonte dans les sondages, à quelques jours du scrutin du 6 mai. Mais malgré l’usure du Labour, malgré la crise, il peine à convaincre les électeurs qui ne savent pas vraiment ce qu’il pense ni quelle politique son parti appliquerait.

Cette image-là, il ne l’a pas contrôlée. Lors du débat télévisé du 22 avril, les caméras de Sky News fixent un rictus. Lèvres pincées, yeux plissés, moue de dédain très aristocratique. Un gros plan à rebours du profil que le leader du parti conservateur britannique s’échine à imposer depuis quatre ans: celui d’un homme normal, à la tête d’un parti « décontaminé », et non plus de la droite la plus réactionnaire d’Europe.

David Cameron réagissait, à ce moment précis, à une attaque de son adversaire, le Premier ministre travailliste Gordon Brown, qui suggérait que les conservateurs, s’ils arrivaient aux affaires, mettraient fin à la gratuité des examens ophtalmologiques. Un point de détail? Non, car c’est sous-entendre que seule la gauche peut défendre la santé publique. Cameron a nié, exaspéré.

Comment ravaler sa fureur quand le pouvoir semble vous échapper alors qu’il vous a été promis à la naissance et que toutes les étoiles semblaient alignées? Voilà encore un mois, cet aristocrate (par sa mère), issu d’une longue lignée de courtiers fortunés, diplômé de la très chic école d’Eton et de l’université d’Oxford, marié à une riche héritière au sang encore plus bleu que le sien, était donné favori pour devenir, à l’issue des élections du 6 mai, le prochain Premier ministre d’Elisabeth II,une cousine éloignée.

A dix jours du scrutin, toutefois, à en croire tous les sondages, les conservateurs échoueraient à obtenir une majorité absolue en sièges.

Un contexte historique pour la droite

Le royaume va mal, pourtant, ce qui devrait normalement leur ouvrir un boulevard. La crise financière a frappé de plein fouet une économie qui repose, pour une large partie, sur la banque et l’immobilier. Le chômage, 8%, est au plus haut depuis 1994. Le spectre de la stagflation des années 1970 revient. Le déficit public a presque doublé en un an et atteint désormais le même niveau qu’au sortir de la Seconde Guerre mondiale: 11,5 % du PNB. « Comme la Grèce », s’indigne l’opposition. Pas loin, en tout cas.

Cette morosité se double d’une véritable crise de confiance vis-à-vis du New Labour. L’opinion ne pardonne pas au parti de Tony Blair d’avoir « menti » sur la guerre en Irak. Et s’étonne que les inégalités se soient accrues en treize ans de « gouvernement progressiste ». Une étude révélait, la semaine dernière, que les 10% de Londoniens les plus riches possédaient un patrimoine 273 fois plus élevé que les 10% les plus pauvres. Un record dans le monde développé.

Pour beaucoup, tout cela prouve que le Labour, usé par le pouvoir, a perdu le sens des réalités. Interrogé, il y a quelques jours sur une radio par un auditeur qui lui reprochait d’avoir eu à rembourser un trop-perçu en notes de frais pour l’entretien de son foyer, le Premier ministre n’a pu que rétorquer plaintivement: « Mais que faire avec une femme qui travaille et deux jeunes enfants? » A l’évidence, il ne lui venait pas à l’esprit qu’il pouvait rétribuer son aide domestique sur ses propres émoluments, au demeurant confortables (198.000 livres par an, soit 230.000 euros).

Les Torries doivent revenir de très loin

Dans ces conditions, pourquoi David Cameron ne parvient-il pas à rallier davantage de Britanniques? « Le parti conservateur revient de loin, rappelle Tim Bale, enseignant à l’université du Sussex. Le dernier gouvernement John Major a été le plus impopulaire de notre histoire et l’opposition conservatrice, entre 1997 et 2005, a été l’opposition la plus impopulaire. » Minée par ses divisions, privée de talents, jugée incompétente, cantonnée à un discours moralisateur (malgré le déluge de scandales sexuels et autres), coupée du pays réel, la formation tory est alors aussi honnie que le fut, avant elle, la gauche des années 1980, au terme d’une désastreuse décennie.

Le sursaut des conservateurs, dans les élections locales et les baromètres d’opinion, va venir de son nouveau champion, alors âgé de 39 ans, qui impose, à partir de 2005, un changement de style.

Cameron sait plaire

Cette modernisation de la marque passe d’abord par l’image. Cameron, ex-lobbyiste en charge des relations publiques au groupe de télévision Carlton, le sait. A peine intronisé, le jeune leader du vieux parti tory va s’afficher sans cravate, manches retroussées, allant au bureau en vélo (suivi quand même par le chauffeur de la Lexus transportant son attaché-case), faisant son jogging tous les matins. Rompant avec un discours purement sécuritaire, il invite les siens à « prendre dans les bras » les jeunes délinquants. Les mandarins du parti s’étranglent.

De lui, le magnat des médias Rupert Murdoch dit alors: « Il est charmant, il est très brillant mais se conduit comme s’il ne s’intéressait qu’à construire ce qu’il croit être la bonne image publique ». Attentif aux enquêtes d’opinion, Cameron récupère tous les sujets consensuels du moment: l’environnement, l’égalité des droits pour les homosexuels, la « justice sociale ». Quand Blair est encore populaire, il s’en proclame l' »héritier ». Avant de le renier.

« Le public le perçoit comme quelqu’un qui dit ce que l’on veut entendre, mais dont on ne sait pas ce qu’il pense », analyse Andrew Cooper, fondateur de l’institut Populus. Il se pose en défenseur du système de santé publique, l’orgueil de la gauche, et n’hésite pas à évoquer, sans pudeur excessive, le calvaire de son petit garçon, Ivan, atteint d’une maladie congénitale. Il rajeunit aussi les figures de son parti.

Cette volonté affichée de changement trouve pourtant ses limites au sein du parti. Autrefois menée par Margaret Thatcher, une fille d’épicier attachée à la méritocratie, la formation tory est de nouveau dirigée par une élite issue de la noblesse, soucieuse, par exemple de rétablir la chasse à courre. Régulièrement, des élus torys, et non des moindres, contredisent, en outre, les signes d’ouverture de Cameron, notamment sur les questions de société. Ainsi Chris Grayling, pressenti pour être son ministre de l’Intérieur, regrette-t-il, ces jours-ci, qu’un propriétaire de bed and breakfast ne puisse pas refuser une chambre à un couple gay.

Deux erreurs d’appréciation

Surtout, le plaidoyer de Cameron en faveur d’un vague « conservatisme civique », d’une « big society » opposé au « big government » ne répond pas aux deux interrogations de l’heure. Quelles solutions pour sortir du marasme économique sans tailler dans l’Etat providence? Les 6 milliards de livres d’économies que le leader conservateur prétend trouver dans une chasse au gaspillage bureaucratique sont cosmétiques à l’aune des 163 milliards du déficit de cette année.

Ensuite, comment prendre appui sur le sentiment de révolte qui parcourt la classe moyenne, désormais convaincue qu’on ne gagne plus à être fair-play? Et de montrer du doigt les banquiers arrogants et incompétents sauvés par l’argent public, les parlementaires sans vergogne nourris par le contribuable, les immigrés en quête d’allocations.

Cameron a flairé cet appétit de changement. Mais il a commis deux erreurs d’appréciation. L’une en acceptant que le débat télévisé inclue le libéral-démocrate et sémillant Nick Clegg: il a offert à ce dernier, moins connu et propulsé depuis dans les sondages, la possibilité d’incarner la figure du recours, notamment auprès des plus jeunes.

L’autre en se fiant aveuglément aux recettes du marketing politique, pourtant déconsidérées depuis que Tony Blair en a abusé. Recrutés à grands frais, les professionnels de la communication qui l’entourent millimètrent chaque déplacement et chaque discours. Résultat: lorsque Samantha Cameron annonce, en mars, qu’elle est enceinte, même le très conservateur The Times se fait l’écho du cynisme d’un pan de l’opinion, convaincu que cette grossesse, aussi, a été planifiée en vue de la campagne électorale… Ce n’est pas de bon augure.

Jean-Michel Demetz

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