Le costume traditionnel des femmes en Macédoine © REUTERS

Dans les Balkans, la lente révolution des femmes

Stagiaire Le Vif

Paris accueille cette semaine le troisième sommet entre l’Union européenne et les Balkans occidentaux. Un sommet dominé par les politiques migratoires et le Brexit tandis que les pays des Balkans rêvent encore d’intégration européenne malgré la banqueroute de la Grève. Aujourd’hui, dans quelles conditions vivent les femmes des Balkans, région du sud-est de l’Europe ?

De nombreux mouvements de contestation ont secoué la région du sud-est de l’Europe ces dernières années. En 2015, en Macédoine, le « sexe faible » prenait les devants et manifestait dans les rues, marquant de rouge à lèvres les boucliers des soldats et les enlaçant en signe de non-violence. La « révolution des couleurs » – où les manifestants repeignent les façades des bâtiments publics pour protester contre le pouvoir en place – n’est pas terminée en Macédoine et les femmes y prennent part activement.

Dans les Balkans occidentaux, les femmes jouissent des mêmes droits que les hommes. En tout cas sur le papier puisque l’Union Européenne impose des normes et des critères en vue de l’adhésion des six pays des Balkans occidentaux c’est-à-dire l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, le Kosovo, la Macédoine, la Serbie et le Montenegro. En pratique toutefois, la réalité est bien différente. Dans cette région bordée par la mer Méditerranée et la Mer Noire et où le pouvoir est encore aux mains de gouvernements très conservateurs, les valeurs patriarcales sont encore très ancrées. L’éducation des enfants et les corvées ménagères sont réservées aux femmes tandis que les hommes sont perçus comme le pilier de la famille.

Cérémonie religieuse à laquelle seules les femmes prennent part
Cérémonie religieuse à laquelle seules les femmes prennent part© REUTERS

La présidente de l’Union des organisations de femmes de Macédoine, Savka Todorovska, s’est confiée au magazine Café Babel. Elle rappelle que les droits des femmes ont régressé depuis l’ère communiste. « Les droits étaient mieux protégés. Il y avait par exemple une Cour du travail associé. Quand les droits d’une femme n’étaient pas respectés, cette femme avait le droit de porter plainte et la cour lui venait toujours en aide. Lorsque je me souviens de cette époque, je réalise que les femmes macédoines possédaient tous les droits, mais n’en étaient pas du tout conscientes.« 

Aujourd’hui, les nouvelles générations voient ce qui se passe en Europe occidentale et tentent de « s’échapper » en sortant de l’école. « Mais c’est très compliqué quand les parents n’appartiennent pas à la classe aisée ou à la classe moyenne supérieure », nous explique Jacqueline, étudiante en marketing à Sofia. « Même si la Bulgarie fait partie de l’Union Européenne, dans les Balkans, tout est contre nous, même le gouvernement. Ici tu ne peux pas réussir si tu n’as pas d’argent (pour corrompre) ou des relations. »

Dépendance économique

Les problèmes que rencontrent les femmes sont multiples. Très souvent, elles éprouvent des difficultés à trouver un emploi. Et quand elles en trouvent, ce sont des emplois très faiblement rémunérés. En Macédoine, 40 % des femmes sont actives, mais elles sont l’objet de discriminations et de remarques. Dans les institutions publiques, une parité se met en place petit à petit. Cependant, un plafond de verre sépare encore les femmes des postes à haute responsabilité.

Jacqueline réagit : « Je pense que la situation est partout la même dans le monde. C’est différent dans les Balkans parce que nous avons une autre mentalité due au communisme. La raison pour laquelle on ne se révolte pas et que nous travaillons en silence, c’est que nous pensons que rien ne changera même si nous protestons. Notre confiance dans le gouvernement est proche de 0.« 

Les femmes n’ont donc pas accès à cette indépendance économique, pourtant cruciale pour bénéficier d’autres droits, comme l’éducation. Selon les données de la Banque Mondiale, seulement 16 % des femmes sont propriétaires de biens. Le problème est que ce sont les femmes qui renoncent au droit à hériter de biens pour des raisons multiples, notamment le poids des traditions. Des initiatives sont prises pour promouvoir l’indépendance économique des femmes à travers l’héritage, via les médias notamment. Mais la religion et les coutumes jouent un rôle très important. Les femmes tardent à devenir une part active de la société.

Autre réalité : la pauvreté fait rage dans les pays des Balkans et les conditions de vie sont déplorables, surtout pour les minorités. En Albanie, selon l’United Nations Population Fund (UNFPA), des adolescentes se retrouvent mariées de force. « Il n’y avait pas de place pour moi chez mes parents. J’ai arrêté l’école, même si j’avais très envie d’apprendre. Je n’avais pas de vêtements, pas de livres », déclare Ariela à Gina, une avocate militant pour les droits des femmes au sein de la communauté rom en Albanie. Vivant dans une extrême pauvreté et n’ayant plus les moyens de supporter les coûts de scolarité, les parents d’Ariela la marient à 14 ans. « J’ai été mariée à cause de la pauvreté, et aujourd’hui j’ai un mari et un petit garçon alors que je suis encore très jeune. »

Un mariage traditionnel en Macédoine
Un mariage traditionnel en Macédoine© REUTERS

« 5 ans de retard sur le reste de l’Europe »

L’avortement dans les pays des Balkans est légal. Mais si ce droit est reconnu par la loi, le regard porté sur les femmes qui choisissent d’avorter est très dur. L’avortement reste un acte très mal accepté, est même perçu comme un crime, dans une société conservatrice, où les femmes ont avant tout un rôle reproductif. Elles reçoivent très souvent un accueil glacial de leur famille et de leur belle-famille. Jacqueline explique : « L’avortement est très mal vu en Bulgarie par exemple. Je crois que c’est principalement dû à l’importance de la religion que l’on soit de confession orthodoxe, catholique ou musulmane. Nous sommes très croyants. Je pense qu’on a juste 5 ans de retard sur l’Europe. »

Cérémonie religieuse
Cérémonie religieuse© REUTERS

Selon une étude de l’UNFPA, la situation est encore plus dangereuse pour les femmes non mariées qui parcourent des kilomètres pour se faire avorter dans des cliniques privées délabrées par honte ou par dépit puisque certaines cliniques n’acceptent que les femmes mariées. Lorsque l’avortement est non médicalisé, il y a « un impact sur la santé et la vie et le bien-être des femmes ». L’UNFPA exhorte donc les « systèmes nationaux » à rendre l’avortement « légal […], sûr et accessible ». Lors de la procédure d’avortement, les médecins tentent souvent de dissuader les femmes d’avorter à coup de propagande.

En Croatie, le gouvernement conservateur de Tihomir Oreskovic a remis en cause le droit à l’avortement qui existe depuis 1978, quand la Croatie faisait partie de la Yougoslavie de Tito. Des « marches pour la vie » ont été organisées, rassemblant des milliers de personnes, dont Sanja Oreskovic, l’épouse du premier ministre croate. « Toute personne raisonnable devrait soutenir cette Marche pour la Vie », a-t-elle déclaré, selon la télévision régionale N1. Depuis, le Sabor (parlement croate) a voté une motion de censure contre le premier ministre, celui-ci a été contraint de démissionner. Le gouvernement de Tihomir Oreskovic, n’aura existé que 5 mois. Les choses commencent toutefois à évoluer petit à petit. « Dernièrement beaucoup de femmes s’engagent et se sentent plus impliquées  » souligne Jacqueline.

Manifestation contre le gouvernement macédonien
Manifestation contre le gouvernement macédonien© REUTERS

Liridon Lika, doctorant au département de science politique de l’Université de Liège, pointe également du doigt un autre phénomène dans cette région, celui du radicalisme religieux. « Des imams radicaux essayent d’avoir une influence dans les régions les plus pauvres. Ils prônent des choses qui sont en totale contradiction avec les normes européennes. Ce phénomène est apparu après le conflit dans les Balkans, dans les années 2000, et touchent également les femmes. De plus en plus de femmes se voilent. » Selon les rapports sur les droits des femmes dans les Balkans proposés par le parlement européen, des progrès ont été faits, mais le chemin est encore long.

Par Léa Renaud

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