Philippe Lamberts

Crise bancaire italienne: auraient-ils déjà tout oublié ?

Philippe Lamberts Co-Président du Groupe des Verts/ALE au Parlement européen

« Plus jamais ça » qu’ils disaient… Les nouvelles règles européennes en matière de résolution bancaire étaient censées éviter que le contribuable ne paie à l’avenir la facture en cas de faillite bancaire. Mais, comme semble l’indiquer le cas italien, il n’en est rien !

Ce week-end, l’Italie a en effet décidé de sauver avec des fonds publics, et non via le mécanisme de résolution européen, deux banques mutualistes – Banco popolare di Vicenza et Veneto Banca – au bord de la faillite. Plus précisément, l’État italien versera 4,7 milliards d’euros à Intesa Sanpaolo, la première banque de détail du pays, pour qu’elle récupère les activités saines des deux banques vénitiennes. En outre, celle-ci pourra bénéficier jusqu’à près de 12 milliards d’euros de garanties publiques.

Ce plan de sauvetage est une très mauvaise nouvelle au moins à trois égards. Pour le contribuable italien, tout d’abord, qui une fois encore est mis à contribution, avant sans doute de repasser prochainement à la casserole pour sauver la multi-séculaire Banca Monte dei Paschi di Siena, également en grande difficulté. .

Mais ce sauvetage est surtout un mauvais coup porté à la loi européenne en matière de redressement des banques et de résolution de leurs défaillances (BRRD). Adopté en mai 2014, ce texte avait pour but d’éviter que l’argent des contribuables ne serve à sauver des banques en difficulté. Ce texte, en principe d’application depuis le 1er janvier 2016, n’a jamais été appliqué car à chaque coup, on a trouvé une manière de préserver les créanciers et les déposants pour ce qui dépasse 100.000 €, lesquels en principe doivent passer à la caisse avant qu’un euro soit demandé au contribuable.

Certes, sur le papier, la décision prise par le gouvernement italien ne contrevient pas aux règles européennes en place. Mais cette conformité réglementaire apparente n’est rendue possible qu’au prix, non seulement, de l’exploitation de failles juridiques, mais aussi, d’une interprétation légale extrêmement laxiste de la part des autorités européennes.

À cet égard, il est incompréhensible de constater que la nouvelle autorité de résolution de l’UE – dénommé le « Conseil de résolution unique » – ait décidé de se mettre elle-même hors-jeu du plan de sauvetage des deux banques vénitiennes. Dans une décision rendue le 23 juin dernier, celle-ci a en effet écarté toute action en résolution pilotée au niveau européen, en prétextant qu’une telle option n’était pas nécessaire du point de vue de « l’intérêt public ». Une telle entourloupe juridique n’est possible qu’en raison de l’acception extrêmement étroite que l’autorité européenne donne au terme « intérêt public ». Si celle-ci avait pris en compte, dans son raisonnement juridique, le coût probable du plan de sauvetage pour le trésor public italien (et, par extension, pour le contribuable italien), elle n’aurait pu justifier aussi facilement l’abandon d’une action en résolution au niveau européen. Et paradoxalement, c’est au nom de ce même « intérêt public » que le gouvernement italien a mobilisé potentiellement 17 milliards d’euros.

Cette décision extrêmement laxiste de l’autorité de résolution est lourde de conséquence : le gouvernement italien a pu se contenter d’appliquer uniquement ses règles nationales en matière de faillite et, conséquemment, d’exclure certains créanciers (en particulier les détenteurs d’obligations de premier rang) de toute mise à contribution.

Et que dire du rôle joué par la Commission Européenne dans cette affaire ? De manière assez surprenante, celle-ci a jugé que l’opération de sauvetage était conforme aux règles en matière d’aide d’État. Selon l’exécutif européen, dans la mesure où les aides apportées par le gouvernement italien consistent à financer la « sortie du marché » des deux banques vénitiennes, elles ne contribueraient dès lors pas à fausser la concurrence. Cet argument est pour le moins surréaliste, dans la mesure où la principale bénéficiaire du montage financier élaboré par l’État italien – à savoir, la banque Intesa Sanpoalo – est belle et bien vivante ! Outre les 5 milliards d’euros en cash et les 12 milliards d’euros de garanties publiques qui lui sont accordés, la banque Intesa Sanpoalo a reçu toute latitude pour sélectionner les actifs des deux banques en difficultés qui lui conviennent, en prenant le soin de laisser les actifs pourris au gouvernement italien. Concurrence libre et non faussée, disiez-vous ?

On me rétorquera qu’il n’y a malheureusement rien que de très ordinaire à ce que les contribuables soient appelés au secours des banques ou à ce qu’une loi européennes soit contournée. Mais les conséquences les plus graves de l’épisode qui vient de se dérouler n’apparaissent pas encore et elles touchent directement la viabilité d’un élément devenu central de la construction européenne : l’euro.

En effet, aucune union monétaire n’est viable à terme sans de puissants mécanismes de solidarité financière entre ses composantes. Spontanément, on pense bien sûr aux canaux du secteur public – budget commun alimenté par des taxes communes et doté d’une capacité d’emprunt commune et/ou éléments de sécurité sociale commune – et l’on sait que pareille union fiscale et sociale est dans le meilleur des cas une perspective lointaine. Mais les mécanismes de solidarité financière doivent aussi passer par le secteur privé, notamment au travers d’une union bancaire bâtie sur trois piliers : supervision commune des grandes banques, mécanisme et fonds communs de gestion des crises bancaires et système et fonds communs de garantie des dépôts. Et pour être crédible, ces deux fonds, alimentés par les banques, doivent pouvoir s’appuyer sur une garantie publique, capable d’avancer (non pas de donner) les sommes nécéssaires en cas de liquidités insuffisantes au moment de la crise.

Le premier pilier a été constitué en novembre 2014 : ce gendarme commun exerce une supervision directe sur les 130 plus grandes banques de la zone euro. Sa crédibilité est d’ores et déjà affectée, en ce que malgré un examen approfondi des bilans, il n’a pas détecté les problèmes qui ont causé l’opération de ce week-end ou encore celle d’il y a deux semaines sur Banco Popular en Espagne. Le second pilier – l’organe commun de résolution des crises bancaires – a été incapable d’agir préventivement pour éviter la crise de cette dernière institution et pourrait en avoir accru la gravité dans les derniers jours de son existence. Et comme on l’a dit plus haut, il s’est lui-même déclaré hors-jeu ce week-end. Quant au troisième pilier, le système commun de garantie des dépôts, la législation qui doit lui donner le jour est dans les limbes : bloqué au sein du conseil des ministres des finances par le nein! de l’allemand Wolfgang Schäuble, il fait une course de lenteur au Parlement Européen. Motif annoncé de ces blocages : pas de mutualisation des risques bancaires tant que lesdits risques n’auront pas été maîtrisés, notamment par l’application stricte de BRRD. Le coup porté ce week-end à la crédibilité de ce texte blesse ainsi peut-être mortellement le troisième pilier de l’union bancaire, mais aussi l’impérieuse nécéssité de donner ne serait-ce qu’au fonds de résolution des crises (celui visant à garantir les dépôts n’ayant même pas vu le jour) accès à la liquidité des budgets publics.

Ce qui se joue ici est donc bien la réponse ou non à un des défauts majeurs de construction de l’euro. Si l’on n’y remédie, c’est la viabilité même de notre monnaie unique qui est en jeu. Et comment croire que l’idée d’intégration européenne survivrait à la faillite de sa monnaie ?

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