Christian Makarian

« Contre un ennemi comme Daech, la signification même de la guerre est problématique »

Le Moyen-Orient rend fataliste, chacun le sait. Mais voir simultanément l’aviation russe martyriser Alep, tandis que les forces américaines s’apprêtent à lancer l’assaut contre Mossoul, « capitale » de l’organisation Etat islamique, ajoute au malaise.

Bien sûr, il ne faut en aucun cas établir un parallèle, comme le feraient certains complotistes, entre l’inhumanité totale d’Assad ou de ses alliés (Russes, Iraniens, miliciens chiites du Hezbollah libanais), à Alep, et les  » dommages collatéraux  » qui seront inévitablement causés par l’offensive de la coalition anti-Daech, à Mossoul. Il faut détruire la monstruosité nommée Daech – sans hésitation. Mais, dans le camp des démocraties, où la moindre initiative militaire fait débat, une question légitime se pose : peut-on se satisfaire du fait que Barack Obama a décidé de réagir militairement avant l’élection présidentielle américaine, alors qu’il s’est obstinément refusé jusque-là à agir de manière significative en Syrie ? Au point que l’on assiste à la constitution de deux fronts, assez différenciés. En Syrie, la réticence invariable des Etats-Unis à s’engager militairement finit par laisser penser que leur dessein est de contrer les Russes plus que de renverser le régime de Damas. En Irak, tout montre que l’administration Obama a ardemment besoin d’une victoire retentissante contre le califat autoproclamé de Mossoul.

Avant même la chute de Mossoul (environ 1,5 million d’habitants), qui promet un âpre combat, des interrogations multiples surgissent. Que fera-t-on des volontaires de Daech qui seront capturés (il y en aurait 10 000 au total) ? L’armée irakienne, à dominante chiite, saura-t-elle éviter les règlements de comptes envers les sunnites  » collabos  » de Daech ? Les populations victimes des bombardements seront-elles décemment prises en charge ? Sachant que les combattants kurdes, les peshmerga, jouent un rôle décisif dans l’assaut, le gouvernement de Bagdad sera-t-il disposé à leur accorder ensuite les garanties d’autonomie qu’ils demandent ? En tout état de cause, il ne faudra pas attendre de la libération de la deuxième ville d’Irak la fin de tous nos soucis ni l’éradication de l’hyperterrorisme. La propagande de Daech anticipe le sacrifice final ; ses combattants creusent des fossés et érigent des talus en imitation de la fameuse bataille, rapportée dans le Coran, d’Al-Khandaq ( » le fossé « ), en l’an 627, qui vit Mahomet triompher de ses assiégeants. Même la défaite serait paradisiaque…

A vrai dire, contre un tel ennemi, qui fait feu de tout bois, ce sont le  » statut  » et la signification même de la guerre qui posent désormais un énorme problème aux démocraties – on est loin d’en être sorti. Notre raisonnement – victoire militaire contre une force  » renouvelable  » – continue de comporter une faiblesse stratégique fondamentale.

A ce sujet, on lira avec grand profit un livre qui tente de sonder la profondeur du fossé ouvert sous les pieds des Occidentaux. Il est dû à un  » French doctor « , Frédéric Tissot, incroyable baroudeur qui a arpenté tous les champs de mines de l’Orient avant d’être nommé consul général de France à Erbil (2007-2012), au Kurdistan irakien. Voici ce qu’il écrit :  » Quels sont les réels impacts de nos politiques, à court, moyen et long terme, sur les populations, les territoires, l’équilibre millénaire qui fait que ces hommes et ces femmes vivent là et ne demandent rien de plus que de continuer ? Nous déstabilisons, profondément…  »

L’homme debout. Humanitaire, diplomate, anticonformiste, par Frédéric Tissot, avec Marine de Tilly, préface de Bernard Kouchner. Stock, 275 p.

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