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Colombie: « Les Farc et le gouvernement ont compris que la voie militaire ne mène nulle part »

Le gouvernement colombien et la rébellion des Farc ont donné le coup d’envoi de leurs premiers pourparlers de paix en dix ans ce jeudi en Norvège, en vue de mettre fin au dernier grand conflit armé d’Amérique latine. L’analyse d’un spécialiste de la Colombie.

« Depuis de nombreuses années, beaucoup de Colombiens sont convaincus qu’on ne viendra à bout du conflit que par la négociation ». Dans le sud du pays, où les Farc sont solidement implantées, les habitants de Toribio espèrent en finir avec les années de violence. Les émissaires du gouvernement colombien et de la rébellion marxiste des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc) ont donné ce jeudi en Norvège le coup d’envoi du processus de paix visant à mettre fin à un conflit d’un demi siècle. Alors que trois initiatives identiques ont échoué au cours des 30 dernières années, LeVif.be a interrogé Christian Voelkel, chercheur à l’International Crisis group, spécialiste de la Colombie, sur les perspectives de réussite de ce processus.

Les négociations avec les Farc qui ont échoué par le passé ont-elles plus de chances d’aboutir cette fois et pourquoi?

D’abord parce que les deux parties ont compris que la voie militaire pour résoudre ce conflit ne mène nulle part. Les FARC peuvent survivre mais ne parviendront pas à leur but, la prise du pouvoir politique. De leur côté, les autorités savent qu’elles ne peuvent pas venir complètement à bout de la guérilla militairement.
Ensuite, contrairement aux fois précédentes, les militaires sont favorables aux négociations. L’avantage militaire de l’armée colombienne paraît irréversible, ce qui lui permet de négocier en position de force. C’est essentiel pour que l’opinion publique colombienne ait confiance dans le processus de négociation. Le leadership militaire considère la négociation comme possible grâce à sa supériorité sur le terrain, et non comme consécutif à un échec militaire. En outre, les forces armées sont représentées à la table des négociations. Elles sont donc sûres que leurs préoccupations seront prises en compte.
Les paramilitaires pourraient constituer un obstacle. Historiquement, la menace de ces milices d’extrême droite a toujours grandi avant et pendant les processus de négociation. Mais aujourd’hui, ils sont en grande partie démobilisés. Le danger subsiste, mais il devrait être moins fort qu’en 1982 ou en 1999.

Le problème de la drogue peut-il constituer un frein à la résolution du conflit?

Oui, dans la mesure où les Farc n’ont pas encore admis entièrement leur rôle dans la culture et le trafic de drogue. Elles prétendent se limiter à taxer les producteurs et les trafiquants. Mais elles jouent un rôle beaucoup plus important dans l’économie de la drogue des zones sous leur influence. Le gouvernement colombien ne les laissera pas se dérober face à cette responsabilité dans le cadre des négociations.

D’autre part, certains éléments des Farc, en particulier dans le sud de la Colombie (Cauca, Nariño) pourraient ne pas accepter la démobilisation parce que leurs intérêts dans le trafic sont trop importants. La démobilisation risque donc d’être incomplète.
Mais il faut souligner que le fléau de la drogue en Amérique latine dépasse largement le cadre de la guérilla des Farc ou même de la Colombie. On peut d’ailleurs voir ces négociations comme une opportunité de repenser la lutte contre la drogue. La politique actuelle, basée sur l’interdiction et la répression a montré ses limites. Il faudrait envisager une approche plus sociale pour remédier à la dépendance des régions concernées par l’économie de la drogue.

Le retour des Farc à la vie politique est-il possible?

Il est possible mais aussi nécessaire pour la consolidation de la société colombienne. Il y a dans la classe politique traditionnelle un consensus sur ce point.
Des difficultés vont cependant apparaître. Tout d’abord en raison des crimes commis par certains membres des Farc. En vertu de la constitution, des personnes condamnées pour des crimes ne peuvent pas participer à la vie politique. Il faudra donc trouver une issue juridique.
Un autre obstacle tient à la violence politique endémique en Colombie. Dans les années 80, les Farc ont contribué à la fondation d’un parti, l’Union patriotique. L’UP a connu un succès électoral considérable mais en quelques années, plus de 3000 membres et activistes du parti ont été tués par les milices paramilitaires. On a parlé à l’époque de « génocide politique ». L’Etat a tardé à reconnaître sa part de responsabilité dans ces violences, et serait avisé de le faire pour faire avancer la réconciliation. Le gouvernement colombien doit également assurer que tous les partis, y compris d’extrême gauche, seront traités dans des conditions d’égalité dans les prochaines échéances politiques. Cela dit, la réputation des Farc est très négative aujourd’hui dans la population colombienne et leurs chances de reconversion dans la vie politique seront aussi limitées par cette impopularité.

Justement, comment la population colombienne accueille-t-elle ces négociations?

La réaction est très positive. Cela fait cinquante ans que la Colombie est confrontée à la violence. Même si elle touchait surtout les zones rurales, le poids de ce conflit se fait sentir sur tout le pays, avec ses conséquences humanitaire (des milliers de déplacés), budgétaire (des dépenses militaires parmi les plus élevées du continent), politique (l’absence d’une véritable démocratie, surtout au niveau local), et le retard pour affronter les autres problèmes du pays comme les inégalités ou la question de la répartition des terres.
Depuis de nombreuses années, les sondages montraient que la moitié des Colombiens étaient convaincus qu’on ne viendrait à bout du conflit que par la négociation. Ce taux a encore augmenté et 77% des Colombiens étaient favorables aux négociations selon un sondage réalisé en septembre. Toutefois, la population est réservée sur les concessions à faire pour y parvenir puisque, selon le même sondage, 72% d’entre eux ne souhaitent pas que les Farc soient autorités à participer à la vie politique. De même, les chefs d’entreprises sont majoritairement favorables au processus, mais ne sont pas prêts à voir leurs impôts augmenter pour financer des réformes qui permettraient la réconciliation nationale. Les Colombiens sont actuellement sur un nuage et rêvent de paix, mais les questions concrètes qui vont surgir risquent rapidement de fragiliser ce soutien.

Catherine Gouëset, L’Express

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