Hassan Rouhani © Reuters

Attentat déjoué: « le couple était une cellule dormante de l’Iran »

Muriel Lefevre

Le couple arrêté en Belgique en lien avec un projet d’attentat contre un rassemblement organisé près de Paris par les Moudjahidine du peuple (MEK) appartiennent à ce groupe d’opposition iranien affirme le site internet du ministère des Affaires étrangères iranien. Sauf que les services de sécurité belge ne sont pas de cet avis. Pour eux, le couple était des espions envoyés par le régime iranien dit De Standaard.

« Sur la base des informations disponibles, les individus arrêtés en Belgique sont des éléments opérationnels connus du MEK », écrit le ministère mercredi en citant le porte-parole des Affaires étrangères, Bahram Ghassemi. L’Iran considère comme des « terroristes » les membres de ce groupe d’inspiration marxiste fondé en 1965 et interdit par Téhéran depuis 1981.

Les autorités françaises et belges ont annoncé lundi l’arrestation en Belgique d’un couple de Belges d’origine iranienne,AmirS., né le 26 avril 1980, et son épouse Nasimeh N., née le 20 septembre 1984, soupçonnés d’avoir voulu commettre un attentat à l’explosif contre un rassemblement du MEK organisé samedi à Villepinte près de Paris, et auquel ont pris part plusieurs personnalités politiques américaines, comme l’ancien maire de New York, Rudy Giuliani, aujourd’hui avocat personnel du président américain Donald Trump.

Le couple a été intercepté samedi à bord de son véhicule Mercedes par les unités spéciales, à Woluwe-Saint-Pierre. Lors de la fouille de ce véhicule, environ 500 grammes de TATP et un mécanisme de mise à feu ont été découverts dans une petite trousse de toilette. Le service de déminage de l’armée (SEDEE) a fait sauter cet explosif de manière contrôlée.

Une cellule dormante

Le couple vivait en Belgique depuis des années. Ils ont demandé et obtenu l’asile politique ici parce qu’ils étaient politiquement persécutés dans leur propre pays. Ils ont reçu la nationalité belge il y a deux ans. Samedi, ils ont déclaré qu’ils avaient agi sous la menace du gouvernement iranien: « Sinon, notre famille en Iran le paierait ». « C’est du cinéma, un rôle qu’ils avaient répété si les choses tournaient mal », dit une source des services de sécurité dans de Standaard. « C’était une cellule dormante qui devait rester prête pour le jour où ils seraient nécessaires. » Leur appartenance au MEK n’était pas seulement un moyen d’infiltrer l’opposition iranienne, cela leur a aussi permis de demander l’asile politique. « Les services de sécurité croient que les deux avaient été dirigés par Assodollah A., qui a été arrêté en Allemagne dimanche, depuis des années. Né le 22 décembre 1971, il s’agit d’un diplomate iranien auprès de l’ambassade autrichienne à Vienne. Quelques heures avant d’accueillir M. Rohani, Vienne a convoqué en urgence l’ambassadeur d’Iran dans le pays et annoncé que l’Autriche allait retirer son statut de diplomate à l’agent mis en cause. Ce dernier pourrait être extradé prochainement vers la Belgique, où sont coordonnées les investigations sur le projet d’attentat, a indiqué le parquet de Bamberg, dans le sud de l’Allemagne, cité par l’agence DPA. En raison de la commission présumée d’une infraction dans un autre pays que celui où il est en poste, son immunité diplomatique ne peut être invoquée, ont indiqué plusieurs sources à l’AFP.

Un autre complice présumé, Merhad A., né le 31 juillet 1963, a été privé de liberté en France. Deux autres personnes en France ont été remises en liberté après audition.

Une machination pour détruire l’Iran ?

L’annonce de cet attentat déjoué a coïncidé avec le début d’une tournée européenne de trois jours du président iranien Hassan Rohani, venu chercher en Suisse et en Autriche des garanties économiques que Téhéran réclame pour pouvoir continuer d’adhérer à l’accord international sur le nucléaire iranien de 2015, après le retrait des États-Unis de ce pacte, annoncé en mai. Ironisant sur cette coïncidence, le ministre des Affaires étrangères iranien, Mohammad Javad Zarif, qui accompagne M. Rohani en Europe, a affirmé lundi que l’affaire de l’attentat déjoué de Villepinte était une machination destinée à nuire à l’Iran et proposé l’aide de son pays pour faire émerger la vérité.

« Les autorités iraniennes compétentes sont prêtes à coopérer comme il se doit en présentant les documents requis et les preuves permettant de faire la lumière sur l’ampleur réelle de ce scénario préparé et orchestré par le groupe terroriste » du MEK, répète le site internet du ministère des Affaires étrangères.

Alors que M. Rohani doit avoir des entretiens officiels à Vienne mercredi, les autorités autrichiennes ont demandé à l’Iran de lever l’immunité d’un diplomate iranien en poste dans la capitale autrichienne et arrêté en Allemagne sur des soupçons d’implication dans le projet présumé d’attentat à Villepinte.

Les autorités iraniennes n’avaient pas réagi publiquement à cette demande mercredi en fin de matinée.

Les Moudjahidine du peuple, opposants farouches au régime iranien

Les Moudjahidine du peuple (OMPI ou, en persan, MeK) sont des opposants déterminés et de longue date au régime iranien.

Créés en 1965 avec pour objectif de renverser le régime du Chah, puis le régime islamique, cette organisation d’inspiration marxisante et se présentant comme « musulmane démocrate et laïque » est née d’une scission au sein du Mouvement de libération de l’Iran (MLI, nationaliste) de Mehdi Bazargan. La plupart de ses fondateurs ont péri dans les prisons du Chah Mohammad Reza Pahlavi. Après une brève période de légalité avec la révolution islamique de 1979, l’OMPI a été déclarée hors-la-loi en 1981 à la suite d’une manifestation armée sévèrement réprimée. Selon l’OMPI, cette manifestation était pacifique.

– Exils forcés –

En juin 1981, un attentat à la bombe contre le siège du Parti de la République islamique (74 morts, dont l’ayatollah Behechti, numéro deux du régime) est attribué par le pouvoir aux Moudjahidine. Ces derniers n’ont jamais revendiqué cet attentat, contrairement à d’autres. Chassés d’Iran, ils trouvent refuge partout dans le monde, en France notamment, où ils s’installent à Auvers-sur-Oise, près de Paris, avec leur chef Massoud Radjavi, qui crée le Conseil national de la résistance iranienne (CNRI).

En 1986, Massoud Radjavi est expulsé de France en raison de la politique de rapprochement avec l’Iran.

– Opérations armées –

Pendant la guerre Iran-Irak (1980-1988), les Moudjahidine s’implantent en Irak et combattent aux côtés de Saddam Hussein, ce qui leur vaut d’être jusqu’à ce jour qualifiés de « traîtres » par le pouvoir à Téhéran. A la fin du conflit, en 1988, le groupe lance une opération militaire contre l’Iran et prend le contrôle de plusieurs villes frontalières. L’offensive est écrasée par l’armée iranienne.

L’OMPI est dirigée à partir de 1989 par Maryam Radjavi. L’organisation a souvent été comparée par leurs détracteurs à une secte dont les époux Radjavi seraient les gourous. En 1993, Maryam Radjavi est nommée à la tête du CNRI.

Créée en 1987, la branche armée de l’OMPI, « l’Armée de libération nationale d’Iran », a revendiqué plusieurs opérations en Iran, notamment en 1993 contre des oléoducs et le mausolée de l’imam Khomeiny, près de Téhéran. Des dizaines de meurtres lui ont été imputés. Après le renversement de Saddam Hussein en 2003, les Moudjahidine ont été désarmés et regroupés dans le camp d’Achraf, dans le nord-est de Bagdad. En février 2012, ils ont accepté de quitter le camp pour s’installer près de Bagdad avant de quitter l’Irak pour l’Albanie à la demande des autorités américaines et de l’ONU, en mai 2013.

– Activités au grand jour –

En 2003, Mme Radjavi a été arrêtée en France parmi 160 personnes, puis libérée après deux semaines de protestations de ses partisans, marquées par deux immolations. Cette vaste enquête judiciaire menée sur des soupçons d’activités terroristes s’est achevée en septembre 2014 par un non-lieu.

Les Moudjahidine du peuple ont été retirés en janvier 2009 de la liste des organisations terroristes de l’Union européenne sur laquelle ils figuraient depuis mai 2002. Les Etats-Unis ont fait de même en septembre 2012. En juillet 2015, Mme Radjavi s’est notamment élevée contre l’accord conclu entre les grandes puissances et l’Iran sur le nucléaire iranien. En octobre 2015, elle a accusé la communauté internationale de « complaisance » à l’égard de l’Iran sur la peine de mort.

En janvier 2018, le président iranien Hassan Rohani a demandé à son homologue français Emmanuel Macron de prendre des mesures contre les Moudjahidine du peuple, qu’il accuse d’attiser des manifestations violentes en Iran et d’être lié à l’Arabie saoudite.

Avec l’AFP

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