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Assassinat de Lumumba : un officier belge raconte

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Accusé, avec six autres Belges, d’être impliqué dans l’assassinat de Lumumba, Claude Grandelet nous dit sa colère. Témoignage exclusif du seul officier belge encore en vie parmi les témoins des dernières heures de la figure mythique de l’indépendance congolaise.

« Comprenez qu’il m’est nerveusement très pénible de voir mon nom associé à l’image d’un tortionnaire et d’un assassin. La thèse de l’accusation n’est-elle pas admise par une grosse partie de l’opinion publique ? » Claude Grandelet, 79 ans, ne cache pas son inquiétude et son indignation. Les derniers rebondissements survenus dans l’ « affaire Lumumba » ont secoué cet officier de carrière, ancien de la Force publique du Congo belge, qui a vécu les heures chaudes du Katanga sécessionniste, de juillet 1960 à avril 1961, date de son retour définitif en Belgique.

Il est l’un des dix citoyens belges – dont sept sont encore en vie – visés par la plainte en justice des enfants et petits-enfants de Patrice Lumumba. L’officier est accusé, comme Jacques Bartelous (chef de cabinet du président katangais Moïse Tshombe), Carlo Huyghé (conseiller du ministre katangais Joseph Yav), Jacques Brassinne et René Grosjean (membres du Bureau-conseil du Katanga), Etienne Davignon (attaché au cabinet des Affaires étrangères) et François Son (brigadier dans la gendarmerie katangaise), d’être impliqué dans l’assassinat de Lumumba, le soir du 17 janvier 1961.

Le 17 janvier 1961 : vers 16 h 30 il est envoyé de toute urgence à l’aéroport de la Luano, à une dizaine de kilomètres du centre d’Elisabethville (Lubumbashi). Un appareil demande à atterrir, mais refuse de s’identifier. Grandelet a pris place dans la tourelle d’une auto blindée Greyhound, conduite par le brigadier Son. « Dès l’arrivée de notre compagnie, le DC4 a été autorisé à se poser. Nous roulions à sa hauteur, canon dirigé vers lui, jusqu’à la zone militaire katangaise du champ d’aviation. Le peloton a été disposé en arc de cercle sur le côté gauche de l’avion, de part et d’autre de notre blindée. »

Trois prisonniers sont débarqués du DC4, dont Patrice Lumumba. Destitué en septembre 1960, le Premier ministre congolais était détenu, depuis décembre, au camp militaire de Thysville (Mbanza-Ngungu), au Bas-Congo. Avec ce transfert au Katanga commence le martyre de Lumumba. Pendant le vol, il est, comme Mpolo et Okito, ses deux compagnons d’infortune, passé à tabac par ses gardiens. Cueillis par les policiers militaires, les prisonniers sont traînés vers une jeep sous les vociférations et les coups de crosses.

Perché dans la tourelle de son auto blindée, le lieutenant Grandelet suit le convoi qui emmène les prisonniers à la maison Brouwez, la villa réquisitionnée d’un colon belge, située à trois kilomètres du champ d’aviation. Sur place, les prisonniers sont brutalisés par les militaires chargés de les garder et, selon plusieurs sources, par les ministres katangais, qui défilent dans la maison entre 17h30 et 19h. « J’ai demandé à voir Lumumba. Le capitaine Gat, qui avait la clé de la salle de bains où il avait enfermé le prisonnier, m’a accompagné. Personne ne pouvait s’y rendre sans son autorisation. J’ai vu Lumumba assis près de la cuvette des WC, les genoux repliés, les mains liées derrière le dos. Il était marqué par les coups reçus, mais n’avait pas de blessure ouverte et était conscient. Une partie de sa chevelure avait été arrachée et il n’avait plus de lunettes. Il m’est apparu très digne. Il savait que tout était fini pour lui. »

Plus tard, le lieutenant Grandelet regagne Elisabethville en jeep. Il a pour mission d’y récupérer le reste de la compagnie PM, chargée d’assurer la relève. « Je suis revenu à la maison Brouwez vers 23h30, retardé par un violent orage. J’étais surpris de la trouver vide. » Et pour cause : entre-temps, les prisonniers ont été emmenés à une cinquantaine de kilomètres de là, dans une savane boisée. Ils y ont été exécutés par des policiers civils et militaires en présence de Tshombe, de ministres katangais, de responsables de la police et de l’armée katangaises, dont quatre Belges, le commissaire Verscheure, le capitaine Gat, le lieutenant Michels et le brigadier Son. En pleine nuit, Claude Grandelet est réveillé par les deux derniers. « Ils tiraient la tête et m’ont dit, simplement,  »C’est fini ». Je n’ai pas demandé de détails. Je me suis dit : moins tu en sais, moins tu risques de parler, surtout si on te saoule. Nous avons dormi sur place. Le lendemain, nous avons réalisé que cette exécution était une belle connerie, qu’elle signifierait, quand la nouvelle serait connue, la fin du Katanga indépendant, à cause des réactions internationales. »

L’intégralité du témoignage dans le Vif/L’Express de cette semaine.

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