Les manifestants de Bhopal demandent des indemnisations et la décontamination du site trente ans après la tragédie. © REUTERS

A Bhopal, trente ans après la tragédie, les survivants demandent encore justice

Caroline Lallemand
Caroline Lallemand Journaliste

Il y a tout juste trente ans avait lieu la catastrophe industrielle la plus meurtrière de l’Histoire. A Bhopal, dans le centre de l’Inde, des dizaines de milliers d’habitants perdaient la vie, asphyxiés par un gaz toxique échappé d’une usine d’Union Carbide. Aujourd’hui, les survivants réclament que justice soit faite, que des indemnisations leur soient versées et que le site soit enfin décontaminé.

Bhopal, une tragédie que les moins de trente ans auront du mal à se remémorer. Cette fuite de gaz meurtrière qui s’est passée dans le centre de l’Inde, dans la capitale de l’Etat du Madhya Pradesh, la nuit du 2 au 3 décembre 1984 est pourtant considérée comme la pire tragédie industrielle de l’Histoire. Cette nuit-là, plusieurs milliers d’habitants ont perdu la vie en à peine quelques heures, asphyxiés par un nuage d’isocyanate de méthyle, qui s’était échappé d’une usine de pesticides d’Union Carbide. La scène est apocalyptique: des milliers de corps dans les rues, les chambres à coucher, ou les trains qui passaient par Bhopal cette nuit-là. Le bilan de la catastrophe fait état de 3500 morts directs, 5 295 décès selon les chiffres officiels du gouvernement indien, et près de 25 000 au total selon les associations de défense des victimes.

A Bhopal, trente ans après la tragédie, les survivants demandent encore justice
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Encore aujourd’hui, les conséquences sont tragiques autant pour les survivants, qui ne font souvent pas partie du décompte final des victimes, que pour leurs enfants : souffle court, système nerveux rongé par la maladie ou encore cancers variés. Chaque jour, Bhopal livre aussi son lot d’enfants malformés pour lesquels l’avenir s’annonce bien sombre. Dans ce contexte, le géant chimique américain Dow Chemical, qui a fusionné avec Union Carbide en 1999, est montré du doigt pour son inaction. En 1989, la firme a versé 470 millions de dollars (378 millions d’euros), soit seulement 550 dollars (442 euros) en moyenne par victime, après cinq ans de dures négociations avec le gouvernement indien, comme le mentionne Le Monde. En 2010, sous la pression des victimes, le gouvernement indien a déposé un recours devant la Cour suprême de New Delhi pour réclamer 1,25 milliard de dollars d’indemnités supplémentaires à Dow Chemical.

Des bouteilles de produits chimiques abandonnées dans l'usine depuis la catastrophe de 1984.
Des bouteilles de produits chimiques abandonnées dans l’usine depuis la catastrophe de 1984. © REUTERS

Une vraie bombe à retardement

A côté du sort des victimes, l’usine reste une bombe à retardement. Le site contaminé n’a pas encore été nettoyé malgré les manifestations, les articles de presse ou encore les nombreux procès. Julien Bouissou, correspondant du Monde à New Delhi mentionne aussi le poison, découvert seulement au début des années 1990, qui a souillé le sol et les nappes phréatiques de l’usine dans un rayon de 3,5 km. La contamination provient des déchets rejetés par Union Carbide, entreposés au hasard autour de l’usine et à même le sol. Le journaliste ajoute que malgré une première décision de justice prise en 2004, il a fallu attendre des centaines de cas de cancers, de maladies de la peau pour que les autorités de Bhopal daignent enfin, cet été, distribuer de l’eau potable aux habitants affectés. Le site doit désormais être décontaminé, mais Dow Chemical décline toute responsabilité.

« Nous demandons justice »

Trente ans après, les survivants ne lâchent par la pression pour demander justice à Dow Chemicals. Lors de manifestations organisées en commémoration de la catastrophe, certains déploient de vieilles photos en noir et blanc de leurs proches décédés dans la nuit du 2 décembre 1984, d’autres demandent à ce que le site soit enfin nettoyé, affirmant que les efforts ont été ralentis par le rachat d’Union Carbide par le conglomérat américain Dow Chemical en 2001.

Saagar, 5 ans, ici avec sa mère, souffre de retard mental et physique.
Saagar, 5 ans, ici avec sa mère, souffre de retard mental et physique.© REUTERS

« Nous demandons justice« , peut-on lire sur une pancarte des manifestants montrant la photographie glaçante d’une main dégageant de la terre la tête d’un bébé mort partiellement enseveli, une des images les plus tristement célèbres de la catastrophe. « Dow doit assumer les conséquences du désastre toujours en cours à Bhopal », exige une autre pancarte.

« En manifestant, nous voulons nous assurer que le gouvernement ne relègue jamais cette affaire au second plan« , a expliqué à l’AFP Rashida Bee, une activiste de longue date qui milite en faveur des victimes et des enfants touchés par la catastrophe. « C’est une honte que rien de significatif n’ait été entrepris ces trois dernières décennies. Nous espérons toujours que les demandes, justifiées, d’indemnités supplémentaires seront imposées par le gouvernement indien aux entreprises responsables de la catastrophe ». Les riverains ont également ouvert un musée d’histoire orale, « Remember Bhopal » (Souviens-toi de Bhopal) qui expose des photographies et des effets personnels des victimes, accompagnés de commentaires audio enregistrés auprès de leurs proches. Les survivants ont enregistré leur propre témoignage, douloureux, pour le musée afin que leur tragédie ne tombe jamais dans l’oubli.

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