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Odemian gagne sa vie en jouant à des jeux vidéo

Le Vif

Alexandre Leadley, 24 ans, plus connu sous le pseudonyme d’Odemian, exerce un métier qui n’en est pas encore un, du moins officiellement: il est joueur professionnel de e-sport (pro-gamer) et gagne sa vie en participant à des compétitions de jeux vidéo. Plongée dans le monde si particulier du l’e-sport.

Un an et demi après s’être lancé sur Hearthstone, un jeu de cartes en ligne, Odemian est le douzième joueur français. « Il a une vraie crédibilité, précise Rémy Chanson, directeur e-sport de Millenium, la première équipe française, qui emploie le jeune homme depuis fin 2015. Il est connu pour son analyse du jeu ».

Hearthstone est l’un des titres phares de l’e-sport, particulièrement en France, où il figure dans le top 3 des plus joués. Le principe: constituer des paquets de cartes, tirées de l’univers médiéval-fantastique de Warcraft, un autre jeu vidéo de l’éditeur américain Blizzard Entertainment, pour affronter des adversaires.

Odemian, c’est « Demian », le personnage du roman initiatique d’Hermann Hesse, précédé du « o » japonais, « signe de royauté, de grandeur », raconte Alexandre Leadley, bouc soigné, veste à capuche siglée Millenium sur les épaules.

Il s’entraîne entre quatre et six heures par jour dans les locaux de l’équipe à Levallois-Perret, en banlieue parisienne, et s’exerce lors de tournois en ligne trois soirs par semaine.

« A chaque fois qu’on construit un paquet de cartes, on a énormément de possibilités, donc il faut vraiment toutes les étudier pour optimiser son jeu. Si le moindre petit changement peut augmenter les chances de victoire de 1 ou 2%, ça peut avoir un énorme impact sur un grand nombre de parties », explique-t-il.

Ses propos sont rythmés par les clics d’un de ses coéquipiers, un peu plus loin dans la salle d’entraînement, vaste espace aux murs blancs bordé d’une baie vitrée, où sont diposés une vingtaine de PC et de sièges baquets flanqués du nom de la « team ».

‘Pari’

Joueur de jeux vidéos et de cartes à collectionner « de façon relativement intensive depuis (ses) huit ans », Odemian s’est essayé à Hearthstone à sa sortie en 2014. « Je me suis rendu compte que le jeu me plaisait énormément et que ça se passait plutôt bien pour moi. J’ai gagné quelques tournois et je me suis dit: pourquoi ne pas essayer de rentrer sur la scène en tant que « pro »? »

Il est alors étudiant en école de commerce, mais ce cursus ne l’intéresse pas. « On se projette et on se dit: si ça s’arrête au bout de six mois ou un an, qu’est-qu’on devient ?, se souvient-il. Mais il y avait tellement d’envie de faire ce pari que je me suis lancé », zappant la case diplôme.

Alexandre Leadley a, depuis, connu trois équipes, dont deux comme professionnel, salaire et prise en charge de ses déplacements en compétition à la clé.

Il gagne aujourd’hui entre 2000 et 2200 euros par mois: 400 euros pour ses activités de joueur et le reste en « streamant », c’est-à-dire en diffusant et en commentant entre trois et six heures de vidéos quotidiennes sur le site de Millenium.

Au total, il dédie quelques 70 heures par semaine à son job. « Mais tout le côté entraînement et jeu, c’est vraiment borderline avec du travail, tempère-t-il. Parce qu’au final, c’est ce qu’on ferait même si on avait un autre travail à côté ».

L’an dernier, il a aussi « déclaré 4000 euros de gains en compétition ». Bien moins que les stars d’Hearthstone, qui culminent à plus de 200.000 dollars (quelque 180.000 euros) en deux ans, selon le site esportsearning.com, qui comptabilise les primes versées dans l’e-sport.

Alexandre/Odemian s’inquiète moins pour son avenir. « Je pense qu’il va être plus facile de se fixer en tant que personnalité sur la scène e-sport. Il y a déjà des gens qui l’ont fait en France, note-t-il. On peut aussi devenir community manager, coach… Et ça ne fera qu’évoluer ».

Tout ce qu’il faut savoir sur l’e-sport

L’e-sport, ou sport électronique, désigne la pratique compétitive des jeux vidéos, individuellement ou en équipes, apparue dans les années 1990. Pour être estampillé e-sport, un jeu doit offrir une arène virtuelle pour s’affronter, avec un objectif précis synonyme de victoire.

Quels sont les principaux jeux vidéo e-sport ?

League of Legends, dont la finale du Championnat du monde 2015 a attiré 17.000 spectateurs à Berlin et plus de 30 millions sur internet, est le jeu phare du moment. Son but: détruire la base de l’équipe adverse tout en protégeant la sienne. Il est, avec Dota 2, le plus célèbre des MOBA (pour « multiplayer online battle arena », ou arène de bataille en ligne multijoueurs).

Les jeux de tir à la première personne (ou FPS, pour first person shooter), comme Counter-Strike, les jeux de stratégie en temps réel (ou RTS, pour real time strategy), comme Starcraft II, ou encore les jeux de cartes à collectionner, comme Hearthstone, et les jeux de combat se prêtent également bien à la compétition. Les simulations de sport, dont Fifa ou PES pour le football, sont par contre à la traîne. « Comparées aux sports traditionnels, les simulations de sport seraient l’équivalent du badminton, Counter-Strike, celui du rugby ou du tennis, et League of Legends du football », précise Rémy Chanson, directeur e-sport chez Millenium, principal média et structure e-sport en France.

Quelles sont les principales compétitions ?

L’organisation de l’e-sport n’est pas comparable à celle du sport traditionnel. Ce ne sont pas des Fédérations qui organisent les compétitions mais des associations, des organisations professionnelles et, plus récemment, les éditeurs de jeux vidéos eux-mêmes.

Riot Games a ainsi son propre championnat de League of Legends, tout comme Activision (Call of Duty), Blizzard Entertainment (Starcraft II) et Valve (Dota 2), qui sont « l’équivalent e-sport de la première division », note Rémy Chanson.

D’autres compétitions sont organisées par l’Electronic Sports League (ESL), N.1 mondial, la Major League Gaming (MLG), implantée surtout aux Etats-Unis, ou encore l’Electronic Sports World Cup (ESWC), plutôt européenne. Les fabricants de matériel informatique, qui sponsorisaient déjà des équipes, se mettent aussi à organiser leurs propres compétitions (Intel Extrem Masters, Halo Championship France par Microsoft XBox).

E-sportif est-il un métier ?

A l’exception de rares pays, comme la Corée du Sud, il n’existe pas de statut à proprement parler pour les joueurs professionnels, ou « pro-gamers ». Mais à mesure qu’il se développe, le secteur se professionnalise. D’après Rémy Chanson, entre 1000 et 1200 joueurs dans le monde vivent de leur activité, grâce aux salaires versés par leurs équipes et aux « cash prizes » gagnés en compétition. Beaucoup complètent leurs revenus en « streamant », c’est-à-dire en diffusant leurs prouesses sur internet.

D’après le site esportsearnings.com, qui recense les dotations touchées en compétition, onze joueurs, essentiellement des Américains et des Chinois, ont amassé plus d’un million de dollars et quelque 350 affichent des gains de plus de 100.000 dollars.

L’e-sport est-il vraiment un sport ?

« La vie d’un joueur professionnel est assez semblable à celle d’un sportif de haut niveau. Il faut s’entraîner plusieurs heures chaque jour et parcourir le monde pour disputer des matches », décrivait à l’AFP en 2014 Kurtis Lau, plus connu sous le pseudonyme de « Toyz » dans League of Legends. Les professionnels du jeu vidéo ont en effet emprunté les codes du monde du sport: les joueurs de haut niveau sont recrutés par des équipes, au sein desquelles ils s’exercent jusqu’à une dizaine d’heures par jour, sous la houlette d’entraîneurs. Mais l’e-sport requiert des qualités mentales et d’endurance plus qu’un effort physique, relèvent les puristes, ce qui le rapprocherait plutôt des sports cérébraux, comme les échecs ou le bridge.

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