Charlotte Flechet

Réserves naturelles en Wallonie : Une solution pour le climat ?

Charlotte Flechet Jeune professionnelle dans le domaine des politiques environnementales.

Les politiques publiques en matière de nature et climat sont trop souvent traitées de manière cloisonnée en Wallonie. Pourtant, la nature fournit une série de services écosystémiques qui soutiennent l’atténuation des changements climatiques et facilitent l’adaptation à ceux-ci. Pourquoi ne pas mieux intégrer ces thématiques et tirer profit de leurs synergies ?

Le 10 mai dernier, l’association de protection de la nature, Natagora a lancé un appel urgent au ministre wallon en charge de la nature, René Collin, en faveur de la création de nouvelles réserves naturelles en Wallonie. Cet appel fait suite à la décision de la Région Wallonne de mettre fin au cofinancement des réserves naturelles agréées, généralement gérées par des associations privées comme Natagora.

Avec près de 400 sites naturels classés en Wallonie, ces réserves nous entourent, mais qu’en connaissons-nous réellement? Nous sous-estimons souvent la richesse de ces zones protégées, qui, bien au-delà de leur fonction de gardiennes du patrimoine naturel, fournissent une série de « services écosystémiques » gratuits au bénéfice de la société et de l’économie. Le réseau européen Natura 2000, qui regroupe près de 27,000 sites naturels « d’intérêt communautaire » dans l’UE, (cliquez ici pour une carte interactive du réseau) génère des bénéfices monétaires annuels dont les montants s’élèvent aux alentours de 200 à 300 milliards d’euros par an, soit l’équivalent d’environ 2-3% du PIB européen.

Selon le Rapport sur l’Etat de la Nature dans l’UE, publié le 20 mai dernier par l’Agence Européenne pour l’Environnement, Natura 2000 semble être une mesure effective de protection des espèces menacées. Les résultats en terme de conservation étant meilleurs dans les zones protégées que dans les zones qui ne le sont pas. Le rapport indique également qu’environ 70% des habitats en Belgique sont en mauvaise condition. Ce nombre fait malheureusement écho aux statistiques déjà défavorables de la biodiversité en Wallonie où 31 % des espèces sont en danger ou vulnérables et 9% ont déjà disparu.

Pourtant, au-delà de leur valeur intrinsèque et culturelle, il est crucial de préserver et renforcer la biodiversité et nos écosystèmes wallons afin de faire face aux enjeux climatiques.

Selon l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature le réseau mondial d’aires protégées stockerait environ 15% du carbone terrestre. Il fournit également une série de services écosystémiques qui soutiennent l’adaptation de nos sociétés aux changements climatiques tels l’approvisionnement en eau et en nourriture et la réduction des risques liés aux catastrophes naturelles.

Les tourbières des Hautes Fagnes, par exemple, jouent un rôle crucial et peuvent stocker jusqu’à 10 fois plus de CO2 que les sols minéraux. Une étude publiée sous la direction de Jean-Pascal van Ypersele et Philippe Marbaix sur les impacts du changement climatique en Belgique en 2004 tirait déjà la sonnette d’alarme et affirmait que les dernières tourbières wallonnes intactes étaient menacées dans les 20-50 ans à venir.

Les terres marécageuses et autres zones humides aux abords des fleuves propices aux inondations permettent non seulement d’atténuer les crues, mais également de lutter contre la sécheresse tout en soutenant une biodiversité plus riche et florissante.

Enfin, augmenter le nombre de réserves naturelles urbaines et promouvoir davantage d’espaces verts en ville permettrait, par exemple, de participer à la réduction de la température des villes en atténuant les effets de « l’îlot thermique urbain », d’augmenter la qualité de l’air, et dans certains cas, d’améliorer leur approvisionnement en eau.

Une nature saine, caractérisée par une riche diversité biologique permet en effet aux écosystèmes de mieux résister aux effets du changement climatique.

La stratégie belge d’adaptation aux changements climatiques, approuvée en 2010, appelle d’ailleurs à protéger la diversité génétique de nos forêts et à conserver les écosystèmes qui n’ont été que faiblement altérés par l’activité humaine afin d’augmenter leur résilience. Cette stratégie qui est censée régir les politiques d’adaptation en Belgique insiste sur l’importance de connecter autant que possible les dossiers climat et biodiversité dans les processus décisionnels. Elle recommande d’ailleurs de faire de la protection des systèmes naturels l’une des cinq catégories du futur plan d’action national d’adaptation.

Le rapport final sur l’adaptation au changement climatique en Wallonie, commandité par l’Agence Wallonne pour l’Air et le Climat, fait écho à la stratégie et rappelle que la « biodiversité, constitue le principal capital génétique dans lequel nous pourrons puiser les ressources pour nous adapter à la modification du climat, que ce soit dans les domaines comme l’agriculture et la forêt ou la santé« . Elle va plus loin en affirmant qu’ « il est urgent de la préserver pour maintenir nos capacités d’adaptation« .

Pourquoi donc une telle lenteur de la Wallonie à mettre en oeuvre cette protection, pourtant cruciale pour la prospérité future de la région?

En Wallonie, seul 0.7% du territoire bénéficie du statut de réserve naturelle, alors que les scientifiques préconisent une couverture de 5-10% pour une conservation efficace. Le territoire wallon est par ailleurs particulièrement touché par la fragmentation des habitats, en raison notamment de son fort degré d’urbanisation et de certaines pratiques agricoles et sylvicoles. Cette fragmentation nuit encore davantage à la biodiversité wallonne en empêchant certaines espèces de migrer d’un endroit à l’autre, un élément clé de leur adaptation aux changements climatiques.

Malgré la décision du gouvernement wallon jeudi dernier de designer 18 nouvelles réserves domaniales et d’élargir trois réserves existantes gérées par les services publics, la Région a encore un long chemin à parcourir. La Belgique a récemment été mise en demeure par la Commission européenne qui pointe du doigt le lourd retard accumulé dans la mise en place effective des sites Natura 2000 wallons. Les mesures requises n’ont été prises que pour 57 sites sur les 240 que compte le territoire wallon.

Force est de constater que la Wallonie est encore loin de réaliser les objectifs inscrits dans la stratégie nationale pour la biodiversité, rédigée suite aux engagements pris par notre pays dans le cadre de la Convention sur la Diversité biologique des Nations Unies. Dans cette stratégie, la Belgique s’est engagée à protéger 17% de ses zones terrestres et eaux intérieures au moyen de réseaux d’aires protégées. La stratégie mentionne qu’il est « vital d’adopter et de mettre en oeuvre de toute urgence des plans de gestion appropriés « . Elle insiste également sur l’importance de préserver les petits éléments du paysage, essentiels pour assurer la connectivité entre ces réseaux, afin d’augmenter la résilience de ces écosystèmes. Cependant, en l’absence d’une cartographie complète du patrimoine naturel wallon et de son réseau écologique, la protection de ces espaces est ralentie.

Il importe donc que la Région Wallonne, à travers son ministre de l’environnement en charge du climat et son ministre de l’agriculture, en charge de la nature, décloisonne ces deux débats et prenne des mesures urgentes pour mieux protéger nos écosystèmes et mieux coordonner les politiques en matière de climat et biodiversité. Considérer ces deux thématiques comme les deux faces d’une même pièce permettra de maximiser leurs synergies et d’agir effectivement et efficacement en faveur du développement durable de notre région.

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