Liza Lebrun

COP21 : pour un sommet climatique dans l’intérêt des peuples et pas des multinationales

Liza Lebrun Activiste pour le climat et la justice sociale, coauteur du chapitre « Une ville neutre en carbone » dans le livre La Taxe des Millionnaires et sept autres idées brillantes pour changer la société

Le 30 novembre s’ouvrira à Paris le 21e sommet international sur le climat (COP21). Ce sommet rassemble les représentants de plus de 200 pays afin de répondre à l’urgence de la crise climatique.

Réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre, alimentation du Fond international pour le climat, partage des connaissances technologiques, mesures contraignantes : les défis ne manquent pas. Depuis Kyoto, chaque sommet sur le climat se clôture sans réelles avancées, mais sur la promesse sans cesse répétée que tout se débloquera en 2015 à Paris. Pourtant, dans les circonstances actuelles, il y a peu de chance que ce sommet puisse être à la hauteur des promesses. La COP21 s’annonce surtout comme un sommet sur mesure pour les multinationales.

Un sommet pollué par les multinationales

Le sommet parisien semble en effet d’abord bien parti pour être la plus grande entreprise de greenwashing de l’histoire. EDF, Engie, Renault-Nissan ou Air France sont en effet sur la liste des sponsors officiels aux côtés de dizaines d’autres multinationalesparmi les plus polluantes au monde. Ils ont ainsi l’occasion de se racheter une image écologique pour quelques millions d’euros. Le sponsoring de la COP21 offre non seulement à ces multinationales le droit d’utiliser le logo du sommet climatique pendant un an, mais également d’avoir une « vitrine exceptionnelle » et un « accès privilégié aux espaces de rencontres et d’expression » durant le sommet, selon les autorités françaises qui organisent la COP.

Pour rappel, Engie et EDF, ces deux géants de l’énergie sont responsables de l’émission de 151 millions de tonnes de CO2 chaque année (via leurs centrales à charbon). Cela équivaut à la moitié des émissions de CO2 de la France (Agence internationale de l’énergie (AIE) (2014) « CO2 Emissions from Fuel Combustion : Highlights »). Les banques et assurances BNP Paribas et Axa sont, elles, connues pour leurs investissements polluants dans les énergies fossiles. BNP est en effet classée 5e mondiale dans le classement des banques qui contribuent le plus au financement du charbon (énergie fossile la plus polluante), elle a ainsi investi plus de 10 milliards d’euros dans ce secteur entre 2005 et 2014. Et Axa n’est pas en reste puisqu’elle est, comme les quatre autres, fervente partisane du gaz de schiste et des sables bitumineux, deux sources d’énergie hyper polluantes décriées par toutes les organisations environnementales du monde. Quant aux autres entreprises comme Renault-Nissan ou Air France, nul besoin d’un dessin pour comprendre les enjeux qu’il y a pour elles derrière le débat sur le réchauffement climatique. Apprendre que ces multinationales sont les « mécènes » officiels d’un sommet censé lutter contre le réchauffement climatique, c’est un peu comme imaginer Marlboro qui financerait des recherches sur la lutte contre le cancer des poumons. Outre l’hypocrisie flagrante, cela pose clairement la question de leurs intérêts.

Un politique climatique sous influence

Le problème de la participation de ces multinationales au sommet parisien va bien au-delà de leur caractère climato-incompatible. Au-delà du greenwashing dont elles bénéficient ainsi le but est clairement d’influencer également les négociations en fonction de leurs intérêts. Un groupe d’une quarantaine de grands patrons menés par Gérard Mestrallet (le PDG d’Engie) participera ainsi directement aux négociations de la COP21. Ces entreprises qui ont investi des milliards d’euros dans les énergies fossiles et les technologies polluantes veulent éviter à tout prix une quelconque remise en question du système actuel. En leur ouvrant les portes du sommet, les dirigeants politiques leur offrent un énorme espace de lobbying et une grande capacité à peser sur les négociations. Or, c’est justement ce lobbying des multinationales qui bloque toute avancée sur la question du climat depuis plusieurs années, malgré des rapports scientifiques toujours plus alarmants.

La COP19 en 2013 à Varsovie a été une des meilleures illustrations de cette emprise des multinationales. En effet en novembre 2013, suite au « contrôle pris par le secteur privé sur la COP19 et le climat « , plus de 140 organisations et réseaux environnementaux du monde entier ont claqué la porte du sommet. Parmi ces organisations on retrouvait notamment Friends of the Earth, Oxfam, Greenpeace et plusieurs syndicats. Ces organisations ont tiré le bilan qu’à Varsovie, une fois encore, les intérêts des entreprises les plus polluantes ont été mis au-dessus des besoins de la planète et de l’ensemble des citoyens. A l’époque c’était Arcelor Mittal, BMW, Air Emirates et General Motors qui avaient sponsorisé la COP et se retrouvaient à la table des négociations. La part de financement de la COP par les entreprises privées était alors chiffrée à 4%. Jamais avant Varsovie, la voix des lobby pro-CO2 ne s’était fait entendre aussi fort lors d’un sommet climatique. Aujourd’hui le ministre des affaires étrangères français ambitionne entre 10 et 20% de financement privé. Dans ce domaine, Paris semble bien parti pour surpasser largement Varsovie.

Les effets de ce type de lobbying sont aussi visibles dans les résultats des récentes négociations de Bonn, où se tenait il y a quelques jours l’ultime session préparatoire de la COP21. On y discutait le document qui servira de base aux négociations parisiennes. Les observateurs ont dénoncé la même logique de protection des intérêts des multinationales. Ce document ne prévoit en effet aucun objectif contraignant et ambitieux, les références à l’énergie (présentes dans le projet de document avant Bonn) ont disparu et on ne prévoit aucun financement conséquent pour aider les pays du sud dans leur transition durable et dans l’adaptation aux conséquences déjà visibles du réchauffement climatique. Bonn semble avoir concrétisé une incroyable prouesse, celle de ne pas aborder les questions énergétiques dans un document préparatoire au sommet climatique de la dernière chance : exit la mise en cause des énergies fossiles (jugées responsables de 80?% des émissions de CO2), exit aussi les perspectives chiffrées de développement des énergies renouvelables. Tout bénéfice pour les producteurs d’énergies fossiles.

Les intérêts des peuples ou des multinationales ?

La France a annoncé récemment qu’elle comptait rétablir les contrôles aux frontières à l’occasion de la COP21et en prévision des mobilisations et manifestations prévues. En vertu du Code Frontières Schengen, les états membres ont en effet la possibilité de suspendre la libre-circulation des personnes « en cas de menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure ». En France, dans le cadre de la COP21, il y a donc d’un côté la ré-instauration du contrôle aux frontières pour les activistes et les gens qui se mobilisent contre la politique climatique actuelle, et de l’autre un accueil privilégié pour les multinationales. Un deux poids, deux mesures plus que révélateur.

Aucun accord ambitieux et juste socialement ne pourra être atteint à la COP21 si l’on ne remet pas en question la logique du profit maximal

Cette attitude n’est finalement que le reflet de la logique actuelle défendue par nos États. Dans ce cadre, on peut en effet d’ores et déjà affirmer que les mesures prises à Paris seront bien en deçà de ce qui est nécessaire pour lutter contre le réchauffement climatique et pallier aux conséquences qui se manifestent déjà aujourd’hui aux quatre coins du monde. On peut prédire que les mécanismes proposés resteront dans le cadre du marché. Comme c’est le cas avec le marché des droits d’émissions – qui, sous couvert de lutte contre le réchauffement climatique est en fait une nouvelle source de profit pour les multinationales – ou des mécanismes qui feront porter le poids des politiques (pseudo) environnementales et climatiques à la population et pas aux vrais responsables de la situation actuelle, les entreprises et leurs actionnaires.

Aucun accord ambitieux, contraignant et juste socialement ne pourra être atteint si l’on ne remet pas en question cette logique du profit maximal qui guide actuellement les politiques de nos gouvernements. L’immixtion des multinationales à la COP21 est l’un de symptôme le plus frappant de cette logique. Voilà pourquoi nous exigeons un sommet climatique qui mette réellement les intérêts des peuples au centre, pas ceux des multinationales.

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