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Alimentation: pourquoi le consommateur se moque des pesticides

Caroline Lallemand
Caroline Lallemand Journaliste

Haute dose de pesticides dans les fruits et légumes, trace de mercure dans le poisson,…les informations sur les produits de la grande distribution peuvent parfois faire peur au consommateur. Dans ce contexte alarmiste, sommes-nous libres de nos choix alimentaires ou plutôt « piégés » par le système ? Nous avons demandé l’avis d’un spécialiste en marketing agro-alimentaire et comportement du consommateur sur cette problématique.

La pomme est le fruit préféré du Belge, il en consomme en moyenne 9,2 kilos, selon une étude réalisée par GfK Panel Services auprès de 5 000 familles du royaume en 2013. Le fruit aux courbes toujours plus parfaites a cependant un secret révélé récemment par des journalistes de l’émission Envoyé Spécial France 2. Il est l’un des plus gourmands en pesticides: 30 pulvérisations de produits chimiques par récolte, en moyenne. Parmi ces substances, un conservateur, appliqué après la récolte, permet de garder les pommes intactes pendant douze mois.

De plus en plus d’études démontrent en effet que les pesticides sont dangereux pour la santé. Parmi eux, il y en aurait au moins cinq qui favoriseraient le cancer selon une agence de l’OMS. Ces résidus sont aussi accusés de perturber le système hormonal et de causer des problèmes de comportement chez les enfants. Et avec en moyenne 1,6% des fruits et légumes qui dépassent les limites recommandées pour les résidus de pesticides qu’ils contiennent, la Belgique fait partie des mauvais élèves d’Europe : elle est dixième sur une trentaine à peu près, selon un rapport de 2013.*

Les experts préconisent dès lors d’opter pour des produits issus de l’agriculture biologique ou des fruits et légumes qui nécessitent moins de pesticides, voire de se tourner vers les pesticides bio, un marché en plein boom.Dans ce contexte alimentaire alarmiste, sommes-nous libres de nos choix en tant que consommateur ou nous retrouvons-nous « piégés » par la grande distribution ? Wim Verbeke est professeur en marketing agro-alimentaire et comportement du consommateur à l’université de Gand, il nous donne son avis sur la question.

Qu’est-ce qui motive le consommateur dans son acte d’achat ?

« Le consommateur lambda achète en premier lieu des produits qui sont ou semblent frais et beaux à ses yeux. L’esthétique, le goût et le prix sont les trois critères principaux qui régissent son comportement d’achat. Il prévaut une certaine dualité chez le consommateur, il veut des produits beaux mais qui sont aussi bons pour sa santé. Prenons l’exemple d’une pomme, qui même s’il soupçonne qu’elle soit recouverte de pesticides, doit avoir des courbes parfaites. En définitive, il se voile la face car il est plus facile d’acheter ce qu’on lui propose et ce qu’il connait bien, sans trop réfléchir. La majorité des consommateurs font de cette manière une confiance aveugle aux marques de producteurs et de supermarchés pour ne pas avoir à trop réfléchir dans l’acte de base de se nourrir. Pour manger au jour le jour, un réel conditionnement se met en place. Manger doit demander le moins d’investissement possible dans la routine quotidienne. Le consommateur manque en général d’intérêt, de réflexion, d’argent et de temps et prend ce qu’il trouve à portée de mains. Il est en quelque sorte piégé par la grande-distribution et ses mécanismes marketing. »

Ne devrait-il pas être alarmé par les études sanitaires qui incriminent des résidus de pesticides présents dans certains aliments?

« A l’heure actuelle, le flou est toujours présent sur les conséquences des pesticides sur la santé, cela dépend des progrès de la sciences. A ce sujet, le consommateur est noyé dans les informations souvent contradictoires – faut-il manger bio ou non, délaisser le poisson à cause de sa teneur en mercure, réduire sa consommation de sel,… ? – et se retrouve souvent complètement perdu. Le plus de détails il connait sur un produit, le plus il se sent concerné et au final, ne sait plus quoi acheter. Le consommateur va alors rejeter ces prétendus risques sanitaires dont il est pourtant bien conscient. Il se dit que si quelque chose devait arriver, cela se passera de toutes façons dans 10 ou 20 ans et cela, sans connaître vraiment la corrélation entre son alimentation d’aujourd’hui et certains problèmes ou maladies futurs. Il se dit : « J’achète le produit que j’aime et après, on verra, je me fiche des conséquences au jour le jour ». En général, il fait confiance aux produits des marques et des supermarchés au niveau sanitaire. Il se dit que s’il y avait vraiment un risque, la législation européenne ou nationale se verrait obligée d’interdire tel ou tel produit. »

Des alternatives sont-elles possibles ?

« Oui, elles existent mais le consommateur doit être prêt à bouleverser ses habitudes et à faire des efforts financiers et d’organisation. Il n’est pas donné à tout le monde de devenir acteur de sa propre consommation et de se diriger vers la filière bio ou locale. Cela dépend de nombreux facteurs socio-économiques en plus d’efforts physiques, financiers et cognitifs. Une minorité s’éveille en tant que « consomm’acteur », elle augmente de jour en jour. En réalisant une enquête sur les yaourts bios: on a, par exemple, remarqué que les gens étaient prêts à payer jusqu’à 20% de plus pour un yaourt bio mais en réalité le prix est de 50 à 100% plus élevé. On remarque aussi que les personnes qui ont le pouvoir d’achat se dirigent souvent plus facilement vers les produits bios, s’ils en ont le choix et que cela fait partie de leur intérêt personnel. »

* Sources : The 2013 European Union report on pesticide residues. EFSA Journal 2015 ;13(3):4038

Se passer de pesticides, c’est possible !

La semaine sans pesticides s’est déroulée du 20 au 30 mars. Dans ce cadre, plus d’une centaine d’activités ont été mises sur pied par les ASBL Adalia et Natagora en Wallonie et à Bruxelles. Ces initiatives à destination d’un public familial ont pour but de démontrer qu’il est possible de se passer des pesticides. Au programme: des projections de films, des conférences, des spectacles, des ateliers pour apprendre à fabriquer du purin d’ortie ou un nichoir à insectes ou encore à greffer des vieilles variétés d’arbres fruitiers, des expos photo, des animations sur les batraciens ou encore, des balades nature. La thématique 2015 était axée sur l’eau et sa pollution due aux pesticides.

Lire aussi : Les pesticides bio, un marché en plein boom

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