Jonathan Piron

Wallonie : « il faut tout changer pour que rien ne change »

Jonathan Piron ETOPIA - Conseiller à la prospective

Ces dernières semaines ont vu émerger toute une série d’interventions de la part d’élus wallons sur une régionalisation plus accrue, sur une valorisation plus grande de la Wallonie voire une liquidation pure et simple de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

La Cité de la Peur est probablement un film trop vieux pour les 18-25 ans. Pour les 25-35, c’est un film culte. L’une de ses scènes est restée emblématique: l’arrivée répétée de la sous-préfète au Festival de Cannes. Montant et remontant les marches sous les flashs des photographes, peu désireuse finalement d’aller au bout de sa logique et d’assister à la projection, le passage de la sous-préfète est celui de l’attrait pour les feux de la rampe. L’important est surtout qu’on parle d’elle. « Alors que revoilà la sous-préfète ! »

Le discours sur la Wallonie est un peu notre sous-préfète. Ces dernières semaines ont vu émerger toute une série d’interventions de la part d’élus wallons sur une régionalisation plus accrue, sur une valorisation plus grande de la Wallonie voire une liquidation pure et simple de la Fédération Wallonie-Bruxelles. À la manière d’un marronnier, ce propos revient régulièrement sur le devant de la scène. La comparaison avec le film cité plus haut tient dans cette volonté d’apparaître et de réapparaître sur la scène publique, sans avoir l’intention d’aller jusqu’au bout de la logique. Car ce débat sur la régionalisation de l’enseignement, aussi pertinent qu’il puisse être, pêche par un manque récurrent de vision sur la Wallonie et son avenir.

Ce n’est pas tant l’idée de régionalisation qui nous dérange, au contraire. Le manque de visibilité de nos institutions, de leur cohérence et de leur adaptation à des besoins différents est criant. Il suffit de poser la question autour de nous sur « qui gère quoi ? » pour se rendre vite compte de cette évidence : peu de personnes comprennent quels sont les rôles précis des provinces, de la région, de la fédération. Dans un climat de défiance grandissant par rapport aux élus, un peu plus de clarté et de rapprochement vers les citoyens ne feraient pas de mal. Cet effort, en ce sens, est à souligner.

Cependant, une fois encore, cette initiative se lance de manière totalement désincarnée. Sans audace. Et sans aucune vision par rapport aux enjeux futurs.

Désincarné car une région dessinée économiquement ou affirmée politiquement par quelques-unes de ses élites n’est pas nécessairement un « espace vécu ». Une région se vit et se construit d’abord par rapport aux besoins de ses populations, de leurs envies, de leurs ressentis. Ce n’est pas un rapport vertical, imposé du haut vers le bas. C’est avant tout des liens entre chacun, une appropriation par ceux qui y vivent. Bref, l’exact contraire de ce qui se fait aujourd’hui. Le fait wallon est largement désincarné. Ou construit sur une opposition, à savoir que les Wallons se définissent comme le contraire de la Flandre. Or, on ne construit pas un projet mobilisateur sur un rejet ou une caricature.

Dans ce cadre, voir la régionalisation de l’enseignement comme un outil du redéploiement économique wallon serait une erreur. L’enseignement, comme la culture, doit permettre de construire un projet commun et émancipateur, et non être au service de l’économie. Ce n’est pas d’une Wallonie technique et bureaucratique dont les Wallons ont besoin, ni d’une confrontation stérile aux régions voisines, voire même entre les bassins wallons, mais bien d’un projet commun on l’on retrouve le goût pour l’utopie et l’engagement collectif. C’est aussi dans cet esprit que la revendication d’une Belgique à 4 régions prend sens, où la Communauté germanophone se voit reconnaître comme un acteur plein et entier.

Sans aucune audace, ensuite, car, à entendre les différents acteurs qui se sont exprimés ces dernières semaines, « il faut tout changer pour que rien ne change ». Le mal wallon est aussi celui d’un système politique et d’un espace public dépassé, poussiéreux, conservateur. Malgré des déclarations ampoulées sur la relance de la démocratie, et malgré la mise en place d’une commission de « renouveau démocratique », et en dehors de la future mise en oeuvre, bienvenue, des consultations populaires régionales, les vieilles pratiques ne changent pas. Bazardées les idées de décumule, de réforme des nominations et mandats dans l’administration, de suppression des provinces, de contrôle accru des intercommunales, de tirage au sort… . Mise sous cloche la lutte contre les baronnies politiques, les lasagnes d’institutions pléthoriques et les besoins de rationalisation des outils. Or, les institutions doivent être au service des sociétés et évoluer avec elle. Et la société wallonne actuelle bouge vers une plus grande autonomie et une transformation de la participation. L’essor en cours des coopératives, des projets citoyens, des mouvements en transition témoigne de cette soif d’engagement. Refuser la mise à jour des outils et instruments de décision tout en appelant à une réforme des macros structures équivaut dès lors à une hypocrisie, ni plus ni moins.

Sans aucune vision par rapport aux enjeux futurs, enfin. La Wallonie va faire face, dans les 25 années à venir, à une explosion démographique : + 200.000 habitants en 2020, 500.000 en 2040. Les défis énergétiques et climatiques vont imposer aux Wallons des choix drastiques si rien n’est fait pour les anticiper. L’économie elle-même est en train de changer. L’économie circulaire, collaborative, de fonctionnalité, l’écologie industrielle, les circuits courts… bouleversent la façon dont s’appréhendent les liens économiques à l’échelle d’une région. Or, rien ne démontre qu’une telle compréhension des changements à venir s’intègre dans les récents positionnements régionalistes. Les politiques énergétiques renouvelables sont drastiquement revues à la baisse, les projets de mobilité nous ramènent au « tout à la voiture » des années 60 et le soutien aux innovations économiques et aux alternatives vertes, pourtant définies comme largement créatrices d’emplois, est totalement insuffisant.

Il ne s’agit pas de tuer tout esprit wallon et de s’opposer à une régionalisation de l’enseignement et de la culture, au contraire. La Wallonie doit se réinventer. Il s’agit notamment d’une question de responsabilité face à la réforme de l’État à mettre en oeuvre et face à notre architecture institutionnelle, trop complexe. Mais tout ceci ne peut se faire sans penser aux Wallons de demain. Plutôt que la transformation des institutions, c’est à la transformation citoyenne qu’il faut s’intéresser, au « pourquoi » plutôt qu’au « comment « . Dans une société où le citoyen est replacé au centre du jeu, avec des moyens propres d’émancipation et d’épanouissement personnel, dans un système politique simplifié, plus participatif et plus transparent. Et rassurant car anticipant les chocs économiques, climatiques et énergétiques futurs. Bref, une Wallonie plus ouverte, et non plus une Wallonie de sous-préfecture. C’est déjà ce que proposait Le Manifeste pour la culture wallonne de 1983 : « En tant que communauté simplement humaine, la Wallonie veut émerger dans une approche de soi qui sera aussi ouverture au monde ». Allons donc maintenant vers l’avant, et faisons monter la sous-préfète tout en haut des marches.

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