© Frédéric Pauwels

Un gouvernement peu courant

La Belgique agonise, les vautours financiers attendent leur heure. Afin d’éviter un scénario fatal, Laurette Onkelinx presse le gouvernement de prendre des mesures énergiques. Drôle de conception des affaires courantes.

La peur panique qu’inspirent les marchés financiers aux responsables politiques ne semble plus connaître de limites. Au fur et à mesure que la crise s’éternise, le scénario du pire gagne en vraisemblance : et si les spéculateurs s’attaquaient à la Belgique, tels de grands fauves bondissant sur une antilope malade ? Pour rassurer ces « marchés », aussi insaisissables que menaçants, des décisions énergiques seraient bienvenues. Seulement voilà : depuis son sabordage officiel le 26 avril 2010, le gouvernement Leterme II est en affaires courantes. « Il doit se borner à gérer les affaires banales, les affaires en cours et les affaires urgentes », traduit Hugues Dumont, professeur de droit aux Facultés Saint-Louis, à Bruxelles. « Elaborer un budget, c’est un acte politique par excellence. On ne peut imaginer qu’un gouvernement en affaires courantes prenne ce genre de mesures », ajoute le sénateur Francis Delpérée (CDH).

Deux mises en garde qui n’empêchent pas la vice-Première ministre Laurette Onkelinx de vouloir étendre la notion d’affaires courantes, comme elle l’a dit dans La Libre Belgique. « Que sont les affaires courantes quand on est depuis de si nombreux mois dans l’expectative ? Pour autant que le gouvernement travaille sous le contrôle du Parlement, il peut pratiquement tout faire. » Une interprétation extra-large que la socialiste justifie doublement : par le souci de « démontrer qu’on fait mieux que ce qu’impose l’Europe », et par celui de « défendre la Belgique contre d’éventuels spéculateurs ».

« La plus grosse pression qui s’exerce sur la rue de la Loi ne se situe pas à l’intérieur du pays, mais à l’extérieur », constate Carl Devos, politologue à l’université de Gand. Tant l’Union européenne que les marchés financiers pourraient forcer le gouvernement démissionnaire d’Yves Leterme à sortir de sa léthargie. « Dans le cadre du Pacte de stabilité de la zone euro, si l’Europe n’apprécie pas le budget belge, elle peut exprimer sa désapprobation. Or, sur les marchés financiers, la perception, cela compte. Une telle remontrance pourrait inciter les spéculateurs à viser la dette belge. »

Pas chaud, le Nord

Bien qu’en affaires courantes, le gouvernement se lancera-t-il dans un programme de rigueur budgétaire, pour préserver la réputation de la Belgique ? L’idée n’enchante guère le nord du pays. Si l’Open VLD a débranché la prise en avril dernier, ce n’est pas pour que ses ministres (Guy Vanhengel, Vincent Van Quickenborne et Annemie Turtelboom) se retrouvent indéfiniment coincés dans un gouvernement honni, à assumer des décisions impopulaires.
Même réticence au CD&V. En 2007, vu la difficulté de mener à bien la réforme de l’Etat, les chrétiens-démocrates avaient fini par accepter la mise sur pied d’un gouvernement intérimaire (Verhofstadt III). Résultat : la réforme de l’Etat n’est jamais venue, et le CD&V a juré qu’on ne l’y reprendrait plus. « Du côté flamand, il existe cette crainte que le gouvernement en affaires courantes se transforme peu à peu en un vrai gouvernement Leterme III », épingle Carl Devos. Du coup, le CD&V s’en tient à cette ligne de conduite : pas de réforme de l’Etat, pas de gouvernement. Gérer les affaires courantes, oui, mais réduites à leur plus simple expression.

Le trio Vande Lanotte-Di Rupo-De Wever, remis en selle par le roi, ne planche d’ailleurs que sur l’institutionnel. Et rien que l’institutionnel. « Si on commence à négocier sur le budget, le marché du travail ou l’asile, ces négociations entreront dans une dynamique propre, estime Carl Devos. On trouvera peut-être un accord sur ces points-là. La réforme de l’Etat risquerait alors d’être reportée aux calendes grecques. Pour cette raison, l’idée d’un cabinet d’urgence, limité au socio-économique, n’est pas du tout à l’ordre du jour en Flandre. » Sous la pression des marchés financiers, conjuguée au réveil de l’aile gauche du CD&V, le blocage pourrait toutefois ne pas être définitif.

FRANÇOIS BRABANT

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