Pathokh Chodiev © ANDREY RUDAKOV/GETTY IMAGES

Transaction: ce que les Kazakhs ont réellement payé

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

La commission d’enquête parlementaire Kazakhgate se penche désormais sur le volet judiciaire à Bruxelles. Voici les principaux feuillets du document de la transaction pénale signée le 17 juin 2011 par le trio kazakh au parquet général. Récit et analyse.

C’est un document qui aura fait couler beaucoup d’encre. Vingt-huit pages dactylographiées, égrenant les faits de faux en écriture, de blanchiment d’argent et d’association de malfaiteurs dont était accusé le fameux trio – Patokh Chodiev, Alijan Ibragimov, Alexander Machkevitch – dans le scandale des commissions de Tractebel. Vingt-huit pages qui concluent à l’extinction de l’action publique dans le chef des inculpés, moyennant le paiement d’une amende et l’abandon, au profit de l’Etat, des biens saisis au cours de l’instruction judiciaire qui aura duré dix ans. Vingt-huit pages qui n’auraient jamais pu être rédigées sans l’adoption en avril 2011, dans une exceptionnelle urgence, d’une loi élargissant la transaction pénale aux délits financiers.

Le 17 juin 2011, les avocats des sept inculpés du dossier Tractebel sont conviés au parquet général de Bruxelles pour signer ces vingt-huit pages. Leurs clients, eux, ne sont pas là. Il s’agit de Me Catherine Degoul, Me Dirk Libotte et Me Jean-François Tossens (pour Chodiev, Machkevitch, son épouse Larissa et ses filles Alla et Anna), Me Véronique Laurent (pour Alijan Ibragimov qui, trois mois plus tôt, a changé d’avocat) et enfin Me Jonathan Biermann (pour Natalia Kajegueldina, épouse de l’ex-Premier ministre kazakh). Manque Armand De Decker. Une défection étrange. D’autant qu’il connaît les autres avocats, qu’il a participé à des réunions préalables avec l’avocat général Patrick De Wolf et qu’il a tarifé 450 unités horaires dans cette affaire. Visiblement, son absence, ce jour-là, était prévue, car son nom – c’est le seul – ne figure pas dans le texte de la transaction.

La séance s’avère solennelle. Les avocats passent d’abord dans la salle de réunion du parquet général, où Patrick De Wolf, qui ne cache pas sa fierté, vérifie avec eux que les vingt-huit pages correspondent bien à ce qui été négocié. Ensuite, la troupe de juristes se rend dans le bureau du procureur général, Marc de le Court, absent et remplacé ce jour-là par le premier avocat général Jacques De Lentdecker. Ce dernier explique à Degoul, qui est française, et Tossens, qui découvre les lieux, que ce bureau a été occupé, pendant la guerre, par la Gestapo qui y a signé de nombreuses condamnations à mort.

Le document conclu entre le parquet général et les inculpés contient deux volets. Le « montant à payer à titre de transaction » et « les biens saisis » dont l’équivalent doit être versé à l’Etat belge. Pour chacun des membres du trio ainsi que pour Kajegueldina, la transaction proprement dite s’élève à 522 500 euros, et, pour les trois autres membres de la famille Machkevitch, à 467 500 euros. Soit 3,49 millions en tout. Il s’agit de l’amende retenue par le parquet général pour faits de blanchiment. De Wolf n’a gardé que cette prévention, soit la plus grave des trois, et y a appliqué un niveau d’amende proche du maximum prévu (550 000 euros) par l’article 505 du code pénal sur le blanchiment. Selon la philosophie pénale de notre pays, lorsque plusieurs infractions sont liées à une seule intention, on ne retient que la plus grave et ne prononce qu’une seule peine.

Quant aux biens saisis au cours de l’instruction judiciaire par le juge Frédéric Lugentz, il s’agit de cinq propriétés ayant servi à blanchir l’argent des commissions Tractebel : la fameuse villa de l’avenue du Manoir à Waterloo (voisine de celle de Serge Kubla), une villa encore plus cossue à deux pas de là, toujours à Waterloo, et trois autres, à Uccle, Rhode-Saint-Genèse et Lillois, dans les beaux quartiers. La transaction décrit la maison du quartier du Prince d’Orange à Uccle comme appartenant aux Machkevitch. Et elle renseigne que les Ibragimov sont les propriétaires des quatre autres, y compris celle de l’avenue du Manoir habitée par la famille Chodiev. La valeur totale des cinq biens s’élève à 18,45 millions d’euros. Au total donc, si on y ajoute les frais de justice (251 000 euros), un peu plus de 22 millions ont été versés par les sept inculpés, mais seulement 522 500 par Chodiev lui-même.

Enfin, les avocats avaient demandé que les avoirs gelés en Suisse par le juge Lugentz soient aussi évoqués par la transaction. Leur saisie avait été levée en 2007, mais les biens des Kazakhs – entre autres, des comptes bancaires – étaient toujours bloqués en Suisse. Le trio voulait que tout soit réglé dans la transaction.

Il faut aussi noter que les Kazakhs ont renoncé au délai minimum prescrit de paiement de la transaction. Il s’agit d’un délai de réflexion avant le versement de la somme négociée, qui est de 15 jours au moins et de trois mois maximum. Comme on était mi-juin, s’ils n’avaient pas renoncé à ce délai de réflexion, la chambre des mises en accusation qui, au niveau de la cour d’appel, devait encore valider le texte sur la forme, n’aurait pu le faire que deux semaines plus tard. Or, à ce moment-là, les vacances judiciaires auraient commencé et l’audience devant la chambre des mises aurait dû être reportée à la rentré de septembre. Les Kazakhs ne voulaient pas attendre, les avocats non plus. Rappelons que le Salon du Bourget où devait être signé le contrat aéronautique (45 hélicoptères pour 2 milliards d’euros) entre la France et le Kazakhstan, se tenait fin juin. Et ce contrat, on le sait, était conditionné au sauvetage judiciaire des Kazakhs en Belgique…

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