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Tram à Liège : on arrête tout et on recommence

Mélanie Geelkens
Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Comment expliquer l’étonnante décision du gouvernement wallon ? Lâchage, marchandage politique et (manque de) gros sous : le dossier ressemble à une série pleine de rebondissements. Sans oublier l’intrigue : le tram va-t-il mourir ?

Malgré les attentats, le rendez-vous n’avait pas été annulé. Au soir du 22 mars dernier, Marcel Miller, managing director d’Alstom, était invité à Liège par la Banque nationale de Belgique. Le patron bruxellois avait bien préparé son intervention : un PowerPoint de 55 pages sur le thème « PPP, de la théorie à la pratique. Illustration du tram de Liège ». Les partenariats publics-privés, Marcel Miller connaît, lui dont l’entreprise avait été sélectionnée pour réaliser le projet liégeois. Aussi expert soit-il, il n’avait pourtant pas prédit le camouflet du gouvernement wallon. Trois jours après que le boss d’Alstom ait évoqué « son » futur chantier en long et en large lors de la conférence, le ministre de l’Aménagement du territoire Carlo Di Antonio (CDH) annonçait que le permis ne lui serait finalement pas attribué.

Pan, dans les dents ! Le dirigeant n’avait absolument pas vu venir l’uppercut. « Nous sommes fort surpris car c’est contraire aux décisions qui avaient été annoncées jusqu’alors », confirme Sonia Thibaut, directrice de la communication d’Alstom Benelux. De fait, on a beau réécouter tous les débats parlementaires, cette éventualité n’avait jamais été évoquée.

Rétroactes, pour ceux qui auraient perdu le fil. Le tram liégeois, on en parle depuis 2008. Le précédent gouvernement PS-CDH-Ecolo s’était mis d’accord pour le réaliser mais, ne pouvant se le payer, avait opté pour un contrat DBFM (Design, Build, Finance, Maintain). Un type de PPP où le privé en gros paie et fait tout, sauf l’exploitation de la ligne une fois celle-ci terminée. Tandis que le public exploite et rembourse petit à petit ; en l’occurrence ici 41 à 45 millions par an durant vingt-sept ans. Beaucoup plus cher que débourser 380 millions d’un coup mais c’est bien connu : emprunter de l’argent coûte aussi de l’argent.

Grain de sel européen

Bref. Un consensus politique avait émergé, un permis avait été délivré, un appel d’offres avait été lancé et, des trois soumissionnaires en lice, le consortium Mobiliège (Alstom et BAM) avait été sélectionné. Restait à entamer les travaux. C’est là qu’Eurostat a mis son grain de sel : trois avis négatifs consécutifs. Le DBFM n’était pas au goût de l’organe de contrôle budgétaire européen qui, au regard de ses nouvelles normes comptables, estimait que le marché n’était soit pas assez public, soit pas assez privé.

Le gouvernement wallon eut beau essayé de négocier, sans succès. Au pied du mur, il avait promis de trancher avant le 31 mars, date d’expiration de l’offre remise par Mobiliège (même si le consortium était d’accord de la prolonger). Lors de débats parlementaires en janvier, Carlo Di Antonio avait révélé que, parmi quatre solutions envisageables, celle sur laquelle il « travaillait en priorité » était l’attribution du DBFM. « Ce qui serait financièrement avantageux, mais également moins risqué en matière de marché public », ajoutait-il.

Deux mois plus tard, le ministre a donc fait tout le contraire. On arrête tout. Mais on recommence ! La solution prônée pour sortir de l’ornière est de lancer un nouveau marché, le même que précédemment. « A chaque avis d’Eurostat, on corrigeait le DBFM. Mais pas à 100 % parce que nous étions tenus par le contrat », justifie-t-il. A force de trop le triturer, les soumissionnaires évincés auraient pu protester. « En faisant un nouveau DBFM, le plus propre possible, on a plus de chances d’y arriver. »

Carabistouilles !

L’explication en laisse certains sceptiques. « Déplorable !, lance le député Ecolo Philippe Henry, qui avait monté le premier PPP lorsqu’il était ministre. On a un nouveau report, sans qu’il y ait un nouveau calendrier. Je ne comprends pas l’intérêt, sauf à gagner du temps. » « On nous raconte des carabistouilles d’un mois à l’autre, le dossier patauge, c’est très inquiétant », enchaîne la députée libérale Christine Defraigne. Chez les humanistes liégeois aussi, on rumine. « Je suis très déçu, concède Michel Firket, échevin de la Mobilité. Jusqu’au dernier moment, il y avait une autre solution sur la table. Elle aurait impliqué de se serrer la ceinture mais c’était jouable. Je crains que cet effort pour Liège n’ait pas trouvé de chauds partisans. »

Cette autre solution, c’était l’attribution du DBFM et l’inscription des 380 millions (ou 420, selon les versions) au budget wallon, répartis sur les trois années de construction. Eurostat aurait eu ses apaisements. Impayable, réplique Carlo Di Antonio. « On ne va pas dépenser de l’argent qu’on n’a pas ! Où aurait-on été le chercher ? Il aurait fallu puiser çà et là, or tous les ministres ont déjà réalisé beaucoup d’efforts. »

Même si le ministre le réfute, recommencer le DBFM à zéro permettrait surtout d’éviter les grands marchandages. Plusieurs acteurs affirment que d’autres villes auraient refusé de faire une telle fleur à Liège sans rien recevoir en retour. « Un téléphérique à Namur, des projets autoroutiers un peu partout, une maison de repos, un centre sportif… Dans ces cas-là, toutes sortes de réclamations émergent », imagine Philippe Henry. « Il s’agit d’une somme énorme pour une ville, constate Savine Moucheron, députée montoise CDH. Forcément, ça fait grincer des dents. Je ne doute pas que la discussion ait été tendue. » « Finalement, observe un Liégeois, c’est plutôt un signe de bonne gestion que le gouvernement ait refusé de rentrer dans de telles négociations. »

« Marcourt doit sortir du bois »

Liège n’a pas réussi à faire pencher la balance en sa faveur. Illustration du manque de poids politique de la Cité ardente, selon Christine Defraigne. « Le seul ministre liégeois, Jean-Claude Marcourt (PS) se tait dans toutes les langues, regrette-t-elle. Il faut qu’il sorte du bois ! » Ce ne sera pas pour cette fois : le ministre de l’Economie se refuse à tout commentaire. Volonté de ne pas heurter ses collègues wallons ? Désintérêt ? « Il n’y a aucun leadership, se désole François Schreuer, conseiller communal Vega. Marcourt et Demeyer pourraient constituer un tandem mais, dans les faits, ils se tirent dans les pattes. »

Le bourgmestre de Liège Willy Demeyer (PS) est l’un des rares à rester optimiste. « Il n’y a pas de raison de douter de la décision politique finale. A nous d’y veiller. » Mais beaucoup estiment que ce rebondissement inattendu est un moyen détourné d’enterrer le tram. Au mieux de le reporter à la prochaine législature. Carlo Di Antonio s’en défend, assurant qu’il ne s’agit-là que d’un retard d’un an et demi, deux ans maximum.

Un ajournement qui aura coûté 1,6 million d’euros (plus 22 millions de remboursement de travaux préparatoires), indemnité prévue dans le cahier des charges pour les entreprises non-retenues. Reste à savoir si Mobiliège se contentera de ça, lui que le gouvernement a fait lanterner pendant plus d’un an.

Reste aussi à savoir si le DBFM nouvelle mouture contentera cette-fois l’Europe. Rien n’est moins sûr, selon Daniel Wathelet, conseiller communal Ecolo et président du TEC Liège-Verviers. « J’ai pu consulter une note de clarification d’Eurostat et je peux dire qu’il ne changera pas d’avis ! Les chances d’aboutir sont quasi nulles. » Ce serait dommage : indemnisations, travaux préparatoires, études et expropriations s’élèvent déjà à 42 millions d’euros.

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